Lectures : Baruch 4, 30+36–5, 9 Mi 5, 1-4a Es 11, 1-10 Es 9, 1-6,
Tt 2, 11-14 + 3, 4-5a Lc 2, 1-20, fin : Jn 1, 1-18

 

« Un rameau sortira de la souche de Jessé ;
un rejeton jaillira de ses racines.
 »
(Es 11,1)

Chères sœurs, chers frères,

Avez-vous déjà pris le temps de regarder des arbres ou des arbustes en cherchant à reconstituer l’histoire de leur croissance à partir de leurs racines ? Quelles sont les parties les plus anciennes, quelles sont les plus récentes ? Prenez un rosier, par exemple, un vieux rosier. Son pied a peut-être l’air de n’être plus que du bois mort dont sortent quelques tiges qui, elles aussi, ont l’apparence de vieux bois. Et, voilà qu’aux milieu de ces tiges jaillit une tige bien verte et vigoureuse.

Ou alors, vous avez pu observer la souche d’un arbre qu’on a coupé. Il était imposant, mais il est maintenant couché à terre. Mais voici que, de la souche, un rameau sort, tout nouveau.

Ce sont les images que le prophète Esaïe utilise pour annoncer la bonne nouvelle de l’intervention de Dieu en faveur de son peuple. Cela fait très longtemps que Dieu est apparu à Abraham pour lui promettre une descendance nombreuse. Au moment où le prophète Esaïe annonce qu’un rameau sortira de la souche de Jessé, de nombreux siècles ont passé. La descendance d’Abraham a pris le nom de peuple d’Israël, nom reçu de la part de Dieu par Jacob, le petit-fils Abraham. Le peuple s’est transformé en royaume et après Saül, le premier roi, son successeur David, fils de Jessé, a fondé une dynastie prospère. Mais au temps de la prophétie d’Esaïe, le royaume est séparé en deux. Il a perdu de sa gloire, sous les coups répétés de ses puissants voisins. Le peuple d’Israël est devenu un vieux peuple, abattu comme l’arbre par la tempête.

Or, voici que le prophète annonce un nouveau départ : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné » (Es 9,5). De la descendance de David, un « Prince de paix » va naître, qui mettra fin aux rapports de domination violente. Il ne viendra pas pour répéter les conflits sans fin et jouer au jeu du plus fort. Il va instaurer une autre manière de vivre ensemble, fondée sur la connaissance du Seigneur (Es 11,9). Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur Dieu.

Cette prophétie, les premiers chrétiens ont vu son accomplissement dans la naissance de Jésus à Bethléem. Lui, le descendant de David (Mt 1,6 ; Lc 3,31-32), en qui s’est manifestée la « grâce de Dieu, source de salut pour tous les êtres humains » (Tt 2,11) écrit l’apôtre Paul à Tite. Jésus « s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne, qui soit plein d’ardeur pour les belles œuvres » (Tt 2,14).

En voyant ce qu’était devenu le vieux peuple d’Israël au temps de Jésus, on pouvait se demander : que peut-il encore sortir de bon de ce vieux peuple ? A l’image de Zacharie et Elisabeth, qui étaient avancés en âge et sans enfants, et dont on pouvait penser qu’ils n’avaient plus à attendre grand-chose de la vie. C’est à eux, pourtant que l’ange annonce la naissance de Jean, le Baptiste, et c’est le signe qu’il donne quelques mois plus tard à Marie lorsqu’il lui annonce qu’elle sera enceinte et enfantera un fils à qui elle donnera le nom de Jésus (Lc 1,31). L’ange lui dit alors : « Et voici qu’Elisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d’un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile, car rien n’est impossible à Dieu. » (lc 1,36-37). C’est à la suite de cette déclaration que Marie répondit : « je suis la servante du Seigneur, Que tout se passe comme tu l’as dit ! » (Lc 1,38). Du vieux tronc peut jaillir un rameau. Marie comprend que, comme le lui dit l’ange, du vieux peuple d’Israël peut naître le fils du Très-Haut dont lui a parlé l’ange, celui dont le règne n’aura pas de fin. Elle acquiesce tout simplement.

Regardons notre monde. Regardons nos vies. Il y en a parmi nous qui sont plus jeunes, comme Marie, d’autres plus âgés comme Zacharie et Elisabeth. Mais tous nous portons une part de nous-mêmes qui a vieilli, qui porte les traces d’une histoire, marquée aussi par des iniquités. Peut-il encore sortir quelque chose de bon de notre civilisation vieillissante, de l’environnement qui nous entoure et que nous épuisons à force de le sur-solliciter ? Il y a peut-être quelque chose de vieux en nous, que nous percevons comme poids mort.

La bonne nouvelle annoncée par Esaïe n’est pas le remplacement du vieux peuple par un autre peuple, mais que le salut de Dieu jaillit du vieux bois. La bonne nouvelle accueillie par Marie, c’est que Celui qui vient apporter la paix, Jésus, accomplit l’attente de ce vieux peuple.

La Bonne nouvelle de Noël, c’est que Dieu n’abandonne pas son peuple, qu’il n’abandonne pas les siens. David avait chanté « Le Seigneur est mon berger, rien de saurait me manquer » (Ps 23). Le peuple d’Israël a fait l’expérience que Dieu prend soin des siens comme un berger de son troupeau. Qui pouvait mieux le comprendre que des bergers ? C’est à des bergers que l’ange annonce en premier la naissance de Jésus : Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple. Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; et voici le signe qui vous est donné ; vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » (Lc 2,10-12).

Les bergers, qui veillent au milieu de la nuit de notre monde, sont disponibles pour accueillir la bonne nouvelle et la transmettre plus loin. Avec les bergers, regardons notre vieux monde et ses soubresauts ; regardons l’histoire de nos Eglises et leurs tâtonnements ; regardons nos histoires personnelles et leurs lourdeurs. Nous avons des racines et elles puisent plus ou moins profond dans le sol. Mais la souche et les racines ne sont pas le tout de la plante. Lorsque les racines puisent leur nourriture dans le sol, un rameau peut jaillir. Lorsque Zacharie et Elisabeth, Marie, les bergers, accueillent la bonne nouvelle de Dieu, le salut entre dans le monde et dans leurs vies personnelles.

Soyons sans craintes. Nous portons quelque chose de vieux en nous, parce que nous avons une histoire, que nous venons de loin. Nous pouvons avons la sensation parfois que cela nous tire en bas. Mais c’est que cela a du poids. Enraciné dans le sol, ce poids du pied de la plante lui donne sa stabilité. La sève qui parcourt la plante des racines jusqu’aux extrémités des branches lui donne son élan et la purifie. Elle fournit la nourriture nécessaire pour faire jaillir des rameaux d’espérance.

A Noël, nous pouvons laisser descendre les lourdeurs que nous portions. Elles appartiennent au passé, au vieux monde ; elles ont leur place dans le fondement sur lequel nous nous appuyons. Traversées par la bonne nouvelle de la naissance de Jésus dans notre monde et dans nos vies aussi, elles sont purifiées. L’apôtre Paul l’écrit à Tite : « Dieu nous a sauvé non en vertu d’œuvres que nous aurions accomplies nous-mêmes dans la justice, mais en vertu de sa miséricorde, par le bain de la nouvelle naissance » – c’est-à-dire le baptême – « et de la rénovation que produit l’Esprit Saint » (Tt 3,5).

Dé-préoccupés de ce qui nous alourdissait, nous pouvons, avec les bergers, nous pencher sur l’enfant de Noël, emmailloté dans la mangeoire, et louer Dieu qui, sans bruit, fait jaillir dans nos vies et dans notre vieux monde, la vie nouvelle dont tous bénéficieront un jour.