Prédication pour la Saint-Etienne par le pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 26 décembre 2023

Prédication pour la Saint-Etienne par le pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 26 décembre 2023

Esaïe 35, 1 à 10, Actes 7, 55 à 60 et Jean 1, 9 à 13 – Pasteur J.-B. Lipp

Sœurs et frères,
Hier, nous fêtions un peu partout Noël, dans les paroisses et dans les familles. Aujourd’hui, nous sommes quelques-uns seulement à fêter, avec vous, et quelques autres communautés, la Saint- Etienne. Calendrier liturgique oblige. Le 26 décembre est devenu, dans l’Eglise, le jour de la commémoration du premier martyr chrétien, appelé pour cette raison protomartyr. Je me garderai bien de contester le bien-fondé de ce passage, à vrai dire quelque peu abrupt, du jour au lendemain, entre la nativité de notre Seigneur et la mort de son premier témoin. Je nous propose plutôt de nous laisser entraîner par les possibles mises en tension et mise en relation de ces deux célébrations.
Après tout, comment être étonné de cette proximité des extrémités, lorsque l’on sait que la naissance du Christ Jésus se passe d’entrée de jeu dans un univers certes d’accueil, mais principalement et principiellement, dans un univers de refus de la Lumière qu’il incarne pour le monde. L’Evangéliste le plus sévère, mais le plus lucide aussi, sur le bilan globalement négatif de la réception du Christ Jésus est celui de Jean, dont nous avons écouté un extrait du prologue. Le Verbe, en venant dans le monde, illumine tout être humain. Cependant, les siens ne l’ont pas accueilli. Seuls celles et ceux qui l’ont reçu sont devenus enfants de Dieu. A Noël, il s’agit ni plus ni moins que de naître, ou de ne pas naître, avec le Christ, à ma vocation de fils ou de fille de Dieu. Ainsi Jean, l’Evangéliste.
Chez Matthieu, cette alternative entre l’accueil et le refus se raconte autour de la figure des mages et de la figure d’Hérode. Comme l’a si bien relevé la théologienne Marion Muller-Colard dans sa grande interview pour le Temps : d’un côté, il y a Hérode, qui se sent menacé au point d’ordonner le massacre de tous les garçons de moins de deux ans, de l’autre, les Rois mages. Réagir en Rois mages, revient à dire, pour cette théologienne contemporaine : « Je m’incline devant la vie. » Est-ce que je suis au service de ma vie, ou au service de la vie ? Telle est la question.
C’est donc sous le signe du service que nous pouvons passer de la fête de Noël à celle de la Saint- Etienne : au service de cette vie incarnée par le Christ, né, mort et ressuscité pour que nous aussi, nous passions, avec lui, de la mort à la vie. Lui, au notre service de notre humanité : c’est ce que nous fêtions hier. Nous, au service de sa divinité : c’est ce que nous fêtons aujourd’hui. Le service n’est-il pas, au fond, le maître mot de la vie d’Etienne à la suite du maître Jésus ? Certainement, puisque le livre des Actes, au chapitre 6, nous fait connaître Etienne comme premier de la liste des sept ministres affectés au service des tables.
A ce stade, qui est celui du livre des Actes, les apôtres sont au service… au service de la Parole, et les sept nouveaux ministres au service… au service des tables. (Les premiers sont des juifs d’origine hébraïque, les seconds des juifs d’origine grecque.) Le point commun étant le service au nom d’un seul et même Seigneur. Et dans le cas d’Etienne, force est de constater que le service des tables du chapitre 6 va déborder sur un magnifique service de la parole qui rend témoignage au Christ Jésus, dans la droite ligne d’Abraham, de Joseph et de Moïse.
C’est le grand plaidoyer du chapitre 7 devant le Sanhédrin. Le discours magistral qui va tout faire basculer d’un procès sommaire, basé sur de faux témoignages, à un lynchage des plus arbitraires. S’il sera qualifié plus tard de diacre, et même de protodiacre, Etienne est ici un excellent théologien, dans sa manière de revisiter l’histoire de Dieu avec les humains, un Dieu préférant de loin habiter dans la vie des personnes plutôt que dans des institutions telles que le Temple de Salomon. Non, Etienne n’a rien ni contre Moïse, ni contre le Temple, comme le prétendent ses détracteurs.
Le premier martyr, le premier témoin ne renie rien, bien au contraire : il relit et il relie Moïse et le Temple à la venue de Jésus. En Jésus le Christ, Dieu est venu habiter notre humanité pour la transformer. En somme, Etienne témoigne de l’incarnation, cette incarnation que nous célébrons à Noël et dans le temps qui suit. Et ce faisant, Etienne va incarner lui-même le sort de son maître, dont nous ne cessons de rappeler, notamment dans la tradition protestante, à Noël, que cette naissance a lieu dans le bois de la crèche pour signifier le bois de la croix. Alors non, ce n’est pas tellement étonnant que l’Eglise nous fasse passer de Noël à la Saint-Etienne, comme nous le faisons ce matin.
Tenez, ce matin, avant que le soleil ne se mette à luire, j’entendais le chant d’un oiseau, et je me disais ceci : « L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. » Dans le récit de ce matin, c’est l’Esprit Saint qui ouvre les yeux d’Etienne sur le ciel, pour y voir la gloire de Dieu et Jésus, debout, à sa droite. Et le Saint-Esprit non seulement ouvre les yeux, mais encore la bouche d’Etienne pour en témoigner encore, une dernière fois, publiquement, comme un « amen » : c’est vrai, ce n’est pas qu’un discours que je vous fais. Je n’ai plus rien à perdre. Maintenant, j’ai tout à y gagner. Et peut-être même que l’une de ces pierres se transformera en un cœur ouvert…
Hier, il était question d’une naissance au monde. Celle de Jésus, la nôtre aussi. Aujourd’hui, il est question d’une naissance au Ciel, celle d’Etienne, à la suite de Jésus. Etienne passe aussi devant un pseudo tribunal. Il crie comme son Seigneur. Il prie comme son Seigneur. Il meurt comme lui. Jusqu’à prononcer deux paroles de son Seigneur en croix. Mais ici, c’est à Jésus qu’Etienne remet son esprit. Et comme lui, il invoque le pardon pour ses bourreaux. Il est pourtant une parole qu’Etienne ne prononce pas, et qu’un martyr serait en droit de prononcer : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Pourquoi, en un mot. Ou pour quoi, en deux.
Je me la pose. Nous nous la posons peut-être, pour lui, comme pour d’autres martyrs. Et je trouve une réponse dans la mention de ce jeune homme nommé Saul, et qui joue le rôle de vestiaire pour les témoins de cette horrible lapidation. Saint Augustin disait que si nous avions Saint Paul, c’était grâce à Saint Etienne. Sans oublier tous les autres qui ont suivi, puisque le livre des Actes nous dira que cette lapidation a engendré de grandes persécutions, et une mission hors de Jérusalem. Alors, je retrouve ma réflexion de ce matin : « L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. »
Oui, Etienne salue le monde du Ciel, où Jésus est assis à la droite du Père. Mais il salue aussi, de loin, et peut-être à la manière de ce Moïse dont il avait témoigné, le monde qui va recevoir l’Evangile. Le monde où nous sommes, ici et maintenant. Ce monde est promis à cheminer avec un Dieu vulnérable, comme nous le suggère déjà le prophète Esaïe. De même que Noël n’est que le germe d’une naissance, – mais quel germe ?!, – de même le martyr d’Etienne, comme celui de toute vie consacrée et qui vit ce qu’elle prêche, n’est que le germe d’une renaissance, – mais quel germe ?!
« L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. » Le monde qui est venu et qui va venir encore est comparable à cette image découverte chez vous, chères Sœurs : des galets visibles au bord de l’eau, sous l’eau claire, et qui forment comme un chemin. Ces galets ont peut-être été ceux d’une lapidation verbale ou physique. Ils sont devenus ceux d’un chemin de pacification et de clarification. Alors marchons, à la suite du Christ, à la suite d’Etienne et de tous les témoins, vers ce monde promis à la vie.
Amen

Homélie pour le 14 décembre par le pasteur Pierre Marguerat

Homélie pour le 14 décembre par le pasteur Pierre Marguerat

Luc 21, 25 – 33

25 « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation, 26 tandis que les hommes défailleront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde ; car les puissances des cieux seront ébranlées. 27 Alors, ils verront le Fils de l’homme venir entouré d’une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire. 28  Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche. »
29 Et il leur dit une comparaison : « Voyez le figuier et tous les arbres : 30 dès qu’ils bourgeonnent vous savez de vous-mêmes, à les voir, que déjà l’été est proche. 31 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche. 32 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n’arrive.
33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.

Mes chères Sœurs, mes chers Frères,
Le passage de ce soir ne peut pas être lu pour lui-même. Au risque de nous laisser comme suspendus, avec un manque d’enracinement dans l’histoire.
Le passage de ce soir ne peut pas être lu sans regarder ce qui vient avant et ce qui vient après.
Le passage de ce soir se tient en équilibre entre le monde dans lequel nous vivons et l’espérance du monde nouveau que Dieu promet. Il tend une passerelle entre le monde dans lequel nous vivons et le monde nouveau que Dieu promet.
Avant que ne se déclenchent les événements de la Passion, Jésus enseigne dans le Temple. Il y passe la journée avec la foule qui vient dès l’aurore. La nuit, il se retire sur le Mont des Oliviers.
Au terme de ces jours d’enseignement, il évoque la destruction du Temple alors que certains s’extasient sur sa beauté. Les gens lui demandent quand cela sera, à quel signe on reconnaîtra que le monde ancien bascule vers le monde nouveau. Autrement dit, quand viendra la fin des temps. Jésus ne donne ni calendrier, ni délai, ni date. Ailleurs il dit que lui-même ne connaît ni le jour ni l’heure. Seul Dieu les connaît. Mais il évoque ce moment de bascule.
Jésus parle de guerres, de tremblements de terre, de nations qui se dressent les unes contre les autres, d’épidémies, de gens persécutés pour leurs idées et pour leur foi.
Tout ce que nous connaissons dans notre histoire, dans le monde où nous vivons. Les guerres en Ukraine, en Israël et en Palestine, et ailleurs encore. Avec leurs cortèges effrayants de souffrance et de mort. Les catastrophes naturelles, tremblements de terre, sécheresses, inondations, Turquie, Maroc, Inde, Soudan. Sans oublier la pandémie qui est dans nos mémoires.
Jésus invite à ne pas se laisser égarer par ceux qui disent que ces événements marquent le commencement de la fin des temps. Non, dit Jésus, ces drames ne sont pas la fin (21,9). Ce sont des troubles et des convulsions de notre histoire. Ils appartiennent à notre monde. Je pense à mon pasteur de catéchisme à Berne, Charles Brütsch, qui a commencé de s’intéresser à l’Apocalypse au moment de la Seconde Guerre mondiale. Il était troublé par celles et ceux qui voyaient dans ces événements le début de la fin du monde et l’annonce de l’avènement prochain du Christ. Il y en avait, semble-t-il. Alors qu’il s’agissait de la folie humaine, d’une manifestation de la folie humaine. Et il a commencé d’écrire un volumineux commentaire sur l’Apocalypse et son espérance.
Je ne sais pas si l’on entend beaucoup dire de nos jours que les convulsions de notre monde sont des signes du commencement de la fin des temps. Peut-être dans de petits groupes qui se retirent du monde, persuadés que la fin est proche et qui se perdent dans des spéculations et de vains calculs. « Ne vous laissez pas égarer par ceux qui disent cela », ce n’est pas la fin. Ne vous laissez pas détourner de vos responsabilités de vivantes et de vivants.
Il poursuit en disant, et nous voilà à notre texte, que quand viendra le moment de la fin, on ne s’y trompera pas.

« Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles ». le cosmos sera ébranlé. Marc dit les choses ainsi :
24 Mais dans ces jours, après cette détresse, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, 25 les étoiles tomberont du ciel, et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.
Jésus veut dire que ce seront des signes dont nous n’avons pas une connaissance naturelle, des signes extra-ordinaires dont nous n’avons pas idée, car ils viennent de Dieu. Quand vous les verrez, dit Jésus, redressez-vous, relevez la tête, pensez aux bourgeons du figuier qui annoncent l’été. Quand vous les verrez, le Fils de l’Homme sera proche, vous le verrez, le Règne sera proche. Ce sera le temps de la plénitude. Et il ajoute :
32 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n’arrive.
Cette phrase est déconcertante, étrange. Si Jésus veut dire « la génération dans laquelle il vit », Luc, qui écrit une cinquantaine d’années plus tard, sait bien que l’avènement du Fils de l’Homme n’a pas eu lieu. D’autant plus que Luc écrit aussi le livre des Actes qui est le livre du développement de l’Évangile dans le monde, le livre du temps qui passe et de l’Église qui grandit, qui ne se fige pas dans l’attente, qui ne reste pas immobile. Pourtant, il conserve ces paroles, même si elles sont démenties par les faits. Pourquoi ? Certains pensent que Jésus veut dire que ce monde ne passera pas que tout n’arrive.
D’autres, dont je suis, pensent que Luc conserve cette parole pour inciter les croyantes et les croyants à ne pas oublier que la foi est une attente, une ouverture, une espérance, une persévérance, une confiance en l’avenir qui est entre les mains de Dieu, une vigilance. Ce n’est pas pour rien que ce texte vient à nous durant le temps de l’Avent.

Et Jésus ajoute cette phrase impressionnante :
33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
Dans ce passage un peu déroutant, que nous pourrions avoir envie de laisser de côté tant ces images de la fin des temps nous semblent parfois difficiles à recevoir, dans ce passage Jésus rappelle que ses paroles demeurent solides, stables. Quoi qu’il en aille, nous pouvons nous appuyer sur elles, en faire notre référence de vie au jour le jour.
Et Jésus poursuit par une exhortation à la vigilance. C’est ce qu’il attend de nous.
Ne laissons pas nos cœurs s’engourdir dans les tendances du monde, restons éveillés dans la prière et dans l’amour. Restons ancrés dans les Paroles du Christ qui ne passent pas et qui sont la source de la vie véritable. C’est notre manière d’habiter le temps, c’est notre vocation.
Amen

Homélie pour le 2 ème Avent du pasteur Marc Balz, le 10 décembre 2023

Homélie pour le 2 ème Avent du pasteur Marc Balz, le 10 décembre 2023

Mc 1,1-8 // Es 40,1-11 et 2Pi3,8-14
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La Bible aime parler des commencements qui ouvrent un chemin tout neuf.

Dans  premier testament, au commencement de toute chose, alors que tout n’est que tohu et bohu, Dieu crée le ciel et la terre. Une terre qui aujourd’hui encore nous porte, nous nourrit et dont nous sommes appelés à prendre soin (ça, ce n’est pas gagné), et un ciel qui marque autant la grandeur ducréateur que le potentiel de sa créature.

La Genèse commence par «au commencement» (au moins dans nos traductions, mais en vrai, c’est intraduisible tant le mystère de ce 1er mot est grand). Dans la version grecque du 1erTestament, on lit en archè qui se traduit par «au commencement), mais aussi par «dans le principe, dans le fondement de tout».

Au commencement de tout, on n’assiste donc pas seulement à un lever de rideau, au commencement d’un grand spectacle, mais on est d’entrée de jeu plongé dans les profondeurs de l’être.
Ce commencement nous parle deciel et deterre quisont intérieurs àchacun, qui disent qui nous sommes, d’où nous venons, et quelle est notre vocation d’êtres humains créés par Dieu, et aimés.

Bien plus tard, lorsque l’Evangéliste Marc rédige son Evangile, il commence de la même manière que la Genèse : c’est aussi un commencement de tout. Et c’est vrai : personne avant lui n’a écrit d’Evangile, son œuvre est totalement nouvelle, inouïe.

Avant ce premier Evangile,il n’existe que les lettres de Paul qui renseignent peu sur la vie du Christ, sinon pour évoquer le repas de la cène et les apparitions du ressuscité. Mais voilà que 2 générations après les événements fondateurs, au moment où les premiers témoins et apôtres disparaissent, au moment où les voix des anonymes mais directs se taisent, il devient urgent et essentiel de garder la mémoire de tout ce qui s’est passé. Certainement porté et encouragé par sa communauté, rempli d’Esprit Saint, Marc imagine et construit pour la toute première fois une œuvre littéraire suivie et cohérente de la vie de Jésus-Christ, un récit génial, fondateur, universel et tellement inspirant que pour beaucoup, il nous nourrit durant toute notre vie.

L’Evangéliste Marc nous prend dans ce nouveau commencement par la main et nous conduit à la suite du Christ du désert au Jourdin, d’une rive à l’autre de la vie, d’une montagne à une colline, d’une ville à un village, d’une maison à une autre, d’un temple à un jardin, des foules aux solitudes de l’écart, de la pierre roulée d’un sépulcre à un matin nouveau (ainsi quel’écrit François Vouga). A sa manière, il chante la beauté et les drames de la vie, cette vie que Jésus a vécue d’une manière totale, accomplie, debout, afin de nous sauver de tous nos enfermements et de tous nos désespoirs, pour que nous naissions à nous-mêmes. Pas d’autre nativité chez Marc que la nôtre lorsque nous nous mettons en chemin à la suite du Christ.

Alors ici, dans ce commencement du tout premier Evangile du monde, chaque mot choisi par Marc compte, chaque mot résonne, chante et à vibre dans ce temps de l’Avent :Commencement, Evangile, Jésus-Christ, Fils de Dieu,chemin, pardon, Esprit Saint… et même le mot ange (traduit par messager ici, un ange pour préparer le chemin).

Et comme la Genèse bien avant lui, Marc commence son Evangile avec ce mot «archè», et il nous plonge immédiatement dans le fond du fond de notre être.
Dans la Genèse, le fondement est Dieu qui crée ciels et terre ; chez Jean qui commence aussi son Evangile par ce même mot archè, le fondement de tout est la Parole, le logos qui est Dieu. Et chez Marc, le fondement, c’est l’Evangile de Jésus Christ, fils de Dieu. La prière du coeur est toute proche, elle trouve son fondement dans ce commencement de tout.

Marc au commencement de son Evangile nous dit donc qu’au plus profond du monde, au plus profond de l’être, de toute éternité, se tient la bonne nouvelle de Jésus Christ Fils de Dieu. Là exactement se situe le fondement de tout. Rien n’est plus essentiel dans ma vie, et sans ce fondement, rien ne tient.

Maître Eckhart avait très bien compris cela, lorsqu’il a dit :
« Nous fêtons Noël pour que cette naissance se produise aussi en nous. Si elle ne se produit pas en moi, en quoi m’aide-t-elle ? Justement, qu’elle se produise aussi en moi ; c’est en cela que tout réside ».

 

Ainsi donc, mes sœurs, mes frères, Marc l’Evangéliste qui le tout premier invente cette narration de 16 chapitres dont nous vivons, place au centre Jésus vivant et debout, il nous invite pour commencer à nous relier au centre de notre être, qui est notre part divine, à prier le Christ qui nous met en chemin, toutes et tous. Même si notre vie est encombrée d’obstacles, escarpée, parfois désespérante et quelques fois merveilleuse, elle n’en finit pas de commencer.

Frère Roger a dit :
« Qui avance vers Dieu
va d’un commencement à un autre commencement.
Seras-tu de ceux qui osent se dire :
« Recommence ! Quitte ton découragement ! Que ton âme vive ! »

Homélie du pasteur Jean-Louis L‘Eplattenier pour la mémoire de la mort de Mère  Geneviève, le 7 décembre 2023

Homélie du pasteur Jean-Louis L‘Eplattenier pour la mémoire de la mort de Mère Geneviève, le 7 décembre 2023

Épître aux Romains 13, 11 – 14,Évangile selon St. Jean 17, 1 – 6 + 20 – 24
Amour de tout Amour : la mission est accomplie ; dans ce cœur à cœur avec Dieu, Jésus lui remet ceux qu’Il lui avait confiés.
Il y a, bien sûr, dans cette prière de Jésus, son désir = « Je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés y soient avec moi, afin qu’ils voient ma gloire » , fruit de cette intimité tissée avec les siens depuis le premier appel. Et puis, il y a surtout l’amour unique, l’obéissance absolue de Jésus, unissant le Père et le Fils : « tout ce qui est à moi est à toi »…
Tout est don – offrande – Amour, dans cet échange : du Père au Fils, du Fils au Père, du Fils à l’humanité, de l’humanité rendue au Père, et, la Gloire de Dieu est au cœur de cette prière.
Et là, je me sens comme indiscret, parce que je m’enfile dans un tête-à-tête entre le Père et le Fils qui s’entretiennent de l’ineffable, car, qu’est-ce que la Gloire de Dieu ?
Dieu seul et son Christ le savent et la vivent ; nous, nous ne pouvons qu’imaginer l’inimaginable, et croire à cette Lumière, à cet Amour, à cette Beauté, à cette vie sans fin, à cette gloire.
Et pourtant, le passage du Christ dans notre vie laisse la trace de sa gloire et nous donne de la goûter et de la vivre, en aimant de son Amour, parce que sa vie et sa Parole, les miracles, les délivrances, jusqu’à la croix, ne sont qu’Amour, mais pas sans nous : c’est un Amour d’aujourd’hui qui se cultive dans la fréquentation de la Parole et de l’Eucharistie, et dans la communion fraternelle : pour nous, c’est ça la Gloire de Dieu et nous n’avons pas à en vouloir plus ; Dieu ne faisant rien sans nous, nous avons aussi notre partition à jouer, nous sommes des partenaires avec lesquels Jésus compose, entre autres, dans la réalisation de sa prière nous invitant à être un, et à l’être pour que le monde croie, ce monde que Dieu aime tant ; ce monde en grande souffrance devrait avoir l’Église comme témoin-relais de l’amour du Christ ; c’est ainsi qu’elle glorifierait son Seigneur.
En ce soir de mémoire, ça me plaît de rappeler l’émerveillement de Mère Geneviève, plongée dans les Évangiles – comme elle l’écrit  elle-même – « J’ai vu grandir la figure du Christ, avec une émotion très grande ; figure libérée de tout, qui ne classe rien ni personne, ne rétrécit aucune question, ne pose aucun dogme, est au-dessus de tout, en étant merveilleusement humain et vivant » !
Vies données, consacrées, on peut dire que nos sœurs dans la Lumière ont glorifié Dieu.
Amen.
Homélie pour le 1er Avent par la pasteure Diane Friedli, le 2 décembre 2023

Homélie pour le 1er Avent par la pasteure Diane Friedli, le 2 décembre 2023

 

Lectures bibliques : Esaïe 63,16b-64,7, Romains 13, 11-14 et Marc 13,33-37

Il fait nuit.
Quand la nuit est là, elle recouvre tout. Rien ne lui échappe.
Elle envahit l’entier de la réalité. Le moindre recoin est sous son emprise.
Dans la nuit, nos perceptions sont faussées. Le monde qui nous entoure ne ressemble en rien à ce que l’on connaît de jour.
Ce que nous franchissons de jour sans même y réfléchir devient un obstacle. Un seuil, quelques marches, un cadre de porte se transforment en autant de dangers.

Dans la nuit, ce que perçoivent nos oreilles ne ressemblent en rien à ce qui leur parviennent de jour. Un craquement, le cri d’un animal, un silence…
Quand on ne voit pas, on imagine. Et notre imagination tend à nourrir nos craintes.

La nuit, c’est un refuge aussi. Une occasion de garder secret ce qu’on ne souhaite pas exposer au grand jour. La nuit cache. La nuit masque. La nuit engloutit ce qui n’est pas reluisant.
Veillez !
Ne vous laissez pas aller à l’obscurité, à la noirceur.
Ne nous laissons pas gagner par l’engourdissement.
Cette somnolance qui s’insinue et anesthésie toute résistance aux ténèbres.

Vous savez en quel temps nous sommes.
Vous savez que maintenant, c’est le kairos. Le moment décisif.
Il est temps de sortir du sommeil, de s’éveiller, exhorte l’apôtre Paul en choisissant précisément ses mots. S’éveiller, en grec c’est aussi ressusciter.

Paul tout comme Marc désigne le sommeil comme une forme d’engourdissement, d’aveuglement spirituel dans lequel, il nous faut bien le reconnaître, on aime parfois se complaire.
Dans l’indolence du sommeil, on ne s’expose pas. On ne se risque pas. On se cache.

Mais on ne peut plus vivre dans la nuit. Car depuis le Christ, le jour est là.
Il est juste là, on le voit déjà poindre.
Et quand le jour arrive, on ne peut plus retourner se réfugier dans la nuit.
C’est comme si le Christ cherchait à nous sortir du lit. On a beau faire de la résistance, dire qu’on aimerait dormir encore un moment, on peut mettre quelques instants la tête sur la couette en essayant de retrouver le confort du sommeil, mais on ne peut plus. Le moment du réveil a eu lieu.
Et il ne nous reste qu’une seule chose à faire : nous lever et entrer dans cette journée qui est là et qui ne demande qu’à être vécue.

Que nous le voulions ou non, le jour vient. Indépendament de nous.
Aucun de nos efforts ne permettrait de le faire advenir ou de le retenir. Il vient.
Le jour que fait advenir le Christ est là. Déjà là. Mais nous n’y vivons pas encore totalement. Déja… et pas encore.

Nous nous tenons au seuil, à l’aube. Dans ce moment, le kairos. En tension constante entre les ténèbres et la lumière. Entre le déjà et le pas encore.
Comment, dans cette tension, pourrions-nous nous trouver dans un autre état que celui de la veille ?
Veillez donc !
La théologienne Marion Muller-Collard désigne cet état spirituel par le terme d’intranquillité.
La venue du Christ nous tient dans cette intranquillité qui rend impossible l’engourdissement.

Ce matin, nous nous éveillons et le jour qui s’ouvre devant nous est le premier du temps de l’Avent.
Le temps de l’attente intense, nourrie de la promesse de la venue du Messie dans la nuit du monde.
Ah si tu déchirais les cieux ! Criait Esaïe.
Ah si ta venue, Seigneur, éclaboussait les ténèbres, et recouvrait de lumière tout ce qui dans ce monde nous fait mal !
Ah si chacun pouvait se montrer sous son vrai jour ! Plus de recoins obscurs, plus de mesquineries, plus de cachoteries.
Si ta lumière, ô Christ, venait tout révéler. Alors il ferait bon vivre en hommes et femmes.

Cette attente ne nous projette pas dans l’avenir, un hypothétique et inaccessible futur, cette attente nous ancre dans le présent.
Revêtons les armes de la lumière !
Nous voici debout, éveillés, ressuscités et invités à abandonner à la nuit les attributs du sommeil. Laisser derrière soi les forces mortifères, pour venir habiter le jour de toute notre énergie.

Revêtir. Tel un vêtement dont on habille son corps.
Nous sommes ce que nous portons. Et lorsque nous revêtons nos vêtements, nous devenons l’avocate, le chirurgien, la sœur, le mécanicien, la pasteure…
En enfilant le costume, on incarne l’être.

Paul fait ici allusion au vêtement blanc que porte le baptisé. En revêtant cette étoffe blanche, le baptisé renonce aux ténèbres de sa vie passée et revêt l’identité du croyant. Il s’habille de la foi en Jésus-Christ qui désormais fait totalement partie de qui il est.
Porter ce vêtement, ce n’est pas le fait seulement du jour de la célébration du baptême mais bien de tous les jours.
Les baptisés sont exhortés à revêtir chaque jour cette identité. A porter chaque jour le vêtement de lumière.

Revêtir le vêtement mais aussi les armes.
Les armes de la lumière. Des armes peuvent-elles êtres de la lumière ?
On pense ici au passage de l’épître aux Ephésiens qui nous dresse le portrait du croyant équipé comme un soldat des armes que Dieu donne : la vérité pour ceinturon, la justice pour cuirasse, et comme chaussures aux pieds, l’élan pour annoncer l’Evangile de la paix. N’oubliez pas le bouclier de la foi, le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu.

Contre les forces de la nuit, il y a un combat à mener.
On se sent parfois désarmés face aux défis du monde, à la violence qui y règne, à l’égoïsme, à la soif de puissance.
Quand le monde qui nous entoure semble entièrement mu par ces forces de nuit et que même nous, les croyants, nous avons ces moments de doute où nous ne parvenons pas à voir le moindre rai de lumière.

Comment la lumière pourra-t-elle vaincre ? Il y a tant de combats, tant de fronts sur lesquels s’engager en même temps ?

Le combat de la lumière, le Christ compte sur nous pour le mener avec lui.
Mais il ne dépend pas de nous que fassions advenir le jour.
Il est déjà là. Le combat a déjà été gagné. Seulement nous seuls nous le savons. Et ce n’est pas le moment de nous endormir.

Veillez donc !
Dans cette intranquillité qui tient en éveil.
Toujours au point de rupture entre le déjà et le pas encore.
Entre le jour qui est là, tout proche et cette nuit qui ne nous lâche pas.

Aujourd’hui le salut est plus près de nous qu’au moment où nous avons cru.
L’histoire du salut n’est pas un éternel recommencement.
On avance.
L’entrée dans ce temps de l’Avent pourrait être pour nous l’occasion d’en distinguer les signes. A quel moment, dans quelle rencontre, dans quelle parole ou acte puis-je repérer l’avancée du jour ?
Comme une petite porte ouverte jour après jour jusqu’à Noël, puis-je distinguer dans chaque journée des signes de la lumière ?

Veiller, c’est ne pas se laisser assoupir. C’est aussi porter attention. Veiller à. Et prendre soin.
Veillez donc ! Soyons attentifs et attentives aux dimensions lumineuses des personnes qui se présentent sur notre chemin.

Pour trois semaines encore, les jours raccourcicent. Que notre espérance ne se réduise pas elle-aussi !

En méditant les textes de ce matin, une chanson est venue me trotter dans la tête. Vous la connaissez peut-être. C’est la chanson les insomnies de Barbara.
Elle y raconte ses nuits sans sommeil, son ardent désir de se laisser aller elle-aussi au repos mais cette crainte toujours présente que la mort ne vienne la tromper si elle s’endort.

Mourir ou s’endormir, ce n’est pas du tout la même chose
Pourtant, c’est pareillement se coucher les paupières closes
Une longue nuit, où je les avais tous deux confondus
Peu s’en fallut, au matin, que je ne me réveille plus

Le sommeil et la mort ne sont parfois pas si éloignés.
Et si l’Evangile n’a rien contre le sommeil réparateur et serein – on pense à Jésus qui s’endort dans la barque – le sommeil synonyme d’engourdissement spirituel, d’habitude lasse ou de somnolance indolente est dangereux.
Si mon souvenir est bon, dans la mythologie grecque, Hypnos (le sommeil) est le frère jumeau de Thanatos (la mort).
Veillez, pour ne pas tomber dans ce sommeil qui n’est rien d’autre que la mort spirituelle.

Barbara termine ainsi sa chanson :

À voir tant de gens qui dorment et s’endorment à la nuit
J’aurais fini, c’est fatal, par pouvoir m’endormir aussi
Mais si s’endormir c’est mourir, ah laissez-moi mes insomnies
J’aime mieux vivre en enfer que dormir en paradis

Les insomnies de Barbara l’obligent à la veille, à l’intranquillité.
Elles la forcent à rester dans cet état de veillance dans lequel nous aussi nous entrons sans jamais nous y installer.

Le monde dans lequel nous vivons est certes souvent celui des ténèbres, mais nous vivons de la lumière.
Que ce temps de l’Avent soit celui de la veille et des armes de la lumière du Christ !
Amen