Homélie pour Pentecôte 2024 par la pasteur Béatrice Perregaux Allisson

Homélie pour Pentecôte 2024 par la pasteur Béatrice Perregaux Allisson

Jn 20, 19-23
Ac 2, 1-13
Joël 3
Dimanche de Pentecôte
16 mai 2024, Grandchamp

Nous avons entendu deux textes de Pentecôte : L’un plus connu, tiré des actes où l’Esprit comme des langues de feu, descend sur la communauté rassemblée, et crée une communication possible entre gens d’origine et de langue très différentes.
L’autre texte celui tiré de l’évangile de Jean est spontanément moins souvent associé à Pentecôte, c’est cette touche de surprise qui m’a donné envie de le creuser pour aujourd’hui.

Dans le récit des Actes, le don de l’Esprit se situe 50 jours après Pâques. Dans le récit de Jean, Jésus souffle l’Esprit sur les disciples le soir de Pâques, le jour même de la résurrection (Jn 20, 1.19). Cela place le don de l’Esprit dans un horizon symbolique supplémentaire lié au thème de la vie.

Dans le récit des Actes, des langues de feu apparaissent ; elles sont précédées d’un bruit qui vient du ciel, comme un vent impétueux, un violent coup de vent. Dans l’évangile de Jean, le don de l’Esprit se fait dans un simple souffle ‘ et dans le cadre d’une rencontre.

C’est cohérent avec tout l’évangile de Jean qui valorise la relation au Christ comme le lieu de la vraie vie, d’une vie au goût d’éternité.

Jésus et ses disciples se connaissent, ils se reconnaissent.
Et pourtant, il y a eu tant de changements ces derniers jours :

Ce n’est plus simplement Jésus, leur compagnon de route et de pain, qui est là. Celui qui se tient debout devant eux est le gisant du tombeau ; celui qui a été relevé est le crucifié. Et le texte insiste sur les marques de la passion que porte le Ressuscité : les mains percées, le côté frappé par le coup de lance du soldat (Jn 19, 34). La souffrance, la douleur, la vulnérabilité, la mort ne sont pas niées, cachées, tues, effacées, mais désormais, c’est la vie du Christ qui les porte. Qui dit l’espoir et l’amour malgré elles, à travers elles.
Le Ressuscité n’est pas l’invulnérable, c’est le Vivant avec ses blessures, ses cicatrices.

Du côté des disciples aussi, il y a eu des changements : ce ne sont plus simplement les élèves et amis qu partage le chemin et le vin qui sont là. Ce sont les disciples qui ont disparu à son arrestation, qui ont nié le connaître et qui se sont enfermés, par peur. Ils avaient bien entendu « Je ne vous laisserai pas orphelin, je viens à vous (Jn 14,18) ». Et pourtant vu les événements de ces derniers jours, je peux imaginer, mêlé à l’attente ou l’espérance peut-être, leur incompréhension, leur déception, leur peur.

Quand vient Jésus, c’est une rencontre en vérité. Chez ceux qui se rencontrent, il y a place pour les blessures, les ombres, les parties mal-aimées en soi. Elles sont portées et accueillies par le Vivant.

« La paix soit avec vous » dit le Crucifié Ressuscité. C’est peut-être d’abord un simple bonjour, c’est aussi une paix qui pardonne, qui délie, qui nous accueille avec nos questions et nos cibles manquées.

« La paix soit avec vous » : les disciples sont tout à la joie. Dans l’évangile de Jean, cette joie vient du fait d’être enracinés dans l’amour du Père (Jn 15,9ss) : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour (…) Je vous ai dit cela, afin que votre joie soit parfaite. » « et cette joie, nul ne vous la ravira » (Jn16, 21-24).

« La paix soit avec vous », dit-il une 2e fois, c’est son vœu pour eux, pour nous.

C’est dans ce condensé de rencontre que Jésus souffle l’esprit sur les disciples. L’au-delà de tout prend forme dans un simple mouvement. Un souffle. Comment ne pas penser à l’écho en Genèse 2 où Dieu « modela l’humain avec de la poussière du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie et l’humain devint un être vivant. » (Gn 2,7)
Nous sommes chez Jean, le jour de Pâques ; le Ressuscité donne la vie par l’Esprit : Nouvelle création, nouvelle vie pour les humains aussi. L’Esprit vivifie en nous tout l’humain que nous sommes. L’événement de la résurrection débouche pour nous, par l’Esprit, sur l’expérience d’une résurrection, déjà maintenant.

C’est l’Esprit du livre de Joël pour tous sans exception. Il ne dépend pas de nos prières ; il vient de la seule initiative de Dieu ; il nous est donné.
C’est la promesse du don du Paraclet, une nouvelle forme de la présence du Christ, pour nous, aujourd’hui encore. Une présence qui donne la paix (Jn 14, 26-27).

Une parole de sagesse juive attribuée à Bounam de Pssiskhe, dit que nous, êtres humains, devrions toujours avoir deux poches remplies de terre : l’une pour se rappeler que nous sommes poussière et que nous retournerons à la poussière ; l’autre pour se rappeler que nous sommes poussière, terre, et que c’est la terre qui fait pousser l’herbe, les plantes, les arbustes et les arbres.

L’Esprit soufflé sur notre terre -humus-, nous rend humain, vivant. Le souffle de l’Esprit nous permet de vivre notre humanité avec humilité…. Et humour et (mêmes racines) : conscient de nos forces et de nos vulnérabilités, nos maladresses.

Une différence du texte de Jean d’avec le texte de la Genèse est que le souffle est soufflé non sur un seul humain, mais sur eux tous rassemblés : « il souffla sur eux ». C’est la dimension communautaire de la Pentecôte, comme dans le livre des Actes (et le texte de Joël !).

Me savoir accueillie dans mon humanité par le crucifié ressuscité me facilite l’accueil de mes semblables, eux aussi accueillis tels qu’ils sont dans la paix et l’amour du Christ. Cette humanité accueillie devient ferment de communauté, ferment d’Eglise.
De l’Eglise qui « nait » à Pentecôte
Amen

Homélie de la pasteur Nicole Rochat, le 12 mai 2024

Homélie de la pasteur Nicole Rochat, le 12 mai 2024

Prédication sur Actes 1,12-14

J’ai été particulièrement interpellée lorsqu’il est dit : « Tous, unanimes, étaient assidus à la prière » (TOB).
Mais comment peut-on être unanimes quand on traverse un deuil ? Car oui, ils sont en deuil. Deux types de deuil :
1. Jésus est de moins en moins présent
2. Ils vivent de profonds bouleversements au niveau de leurs croyances. Ils doivent donc faire le deuil de certaines représentations qu’ils avaient jusque-là sur Dieu – nous y reviendrons.
3. Oui, Jésus étant toujours moins présent ou plutôt toujours différemment présent, ils doivent apprendre à croire sans voir. Mais si cela nous semble normal, pour eux, ça ne l’est pas encore. Ils viennent de voir Jésus disparaître à leurs yeux, entrer dans la présence même de Dieu.

Ils commencent seulement à croire que, même si le Christ a l’air absent, il est vivant, mais imperceptible à leurs yeux. C’est important si l’on veut pouvoir prier et on nous dit qu’ils sont assidus à la prière. Mais jusque-là, on ne sait pas s’ils ont beaucoup prié. On sait qu’ils n’ont pas accompli les jeûnes rituels du judaïsme, parce que Jésus était au milieu d’eux. On sait qu’ils se sont endormis lorsque Jésus leur demandait de veiller et de prier avec lui…

Maintenant, Jésus a passé à un nouveau niveau d’être, un autre niveau de réalité. Il leur a dit qu’il est préférable pour eux qu’il s’en aille, mais ils n’en perçoivent pas encore les avantages. Ils ne réalisent pas encore que si, jusque là, la présence de Dieu était limitée à un lieu : le lieu très saint du temple de Jérusalem, où le grand-prêtre ne pouvait pénétrer qu’une fois par an, puis la présence de Dieu en Jésus, qui était lui aussi présent qu’en un seul lieu, mais qui, déjà, pouvait bouger, se déplacer, se rapprocher, aller auprès des gens, toucher les personnes qui avaient besoin de guérison. Bientôt, la Pentecôte inaugurera la présence de Dieu dans tous les lieux où le Saint-Esprit est invoqué, même dans les cœurs des croyants. C’est un mode de présence radicalement nouveau.

Peut-être que tout cela fait beaucoup pour certains des disciples ! Je ne pense pas qu’on puisse dire que certains auraient pour autant perdu la foi, car on ne nous dirait pas qu’ils sont unanimes. Au contraire, je pense que leur foi a été fortifiée par tout ce qu’ils ont vécu. Par contre, ils ont assurément perdu des croyances, des représentations, des images qu’ils s’étaient faites de Dieu, du Christ – c’est le deuxième type de deuil qu’ils traversent.

Leur perception de Dieu avait déjà été transformée par les enseignements de Jésus. Puis sa vie offerte, sa résurrection, ses apparitions, son départ auprès du Père, tout cela aura fini par ébranler très profondément leurs croyances. Mais, encore une fois, ce n’est pas pour autant qu’ils ont perdu la foi, bien au contraire, c’est peut-être maintenant qu’ils la trouvent vraiment ! Parce que avoir la foi, c’est ouvrir son intelligence et son cœur à l’Inconnu, à ce qui arrive, à « Celui qui vient », et qui se révèle comme étant infiniment plus que tout ce qu’on a pu en dire, en savoir et même en expérimenter.

Il en est de même pour nous. Tout ce que nous disons de Dieu est lié à notre histoire personnelle, à l’histoire de notre petite enfance, à nos souffrances, de même qu’à notre histoire collective. Mais Dieu est plus que cela. Il est au-delà de nos mots, il est tellement plus que tout ce que nous pouvons penser et dire de lui. Il est celui qui s’est révélé à Moïse en disant « Je suis celui qui est ». Mon désir le plus profond serait de me taire en sa présence, car parler de l’Absolu est toujours relatif. En présence de l’Infini, je reste « finie », limitée. Alors, la question que je devrais me poser aujourd’hui est : ma finitude est-elle ouverte ou fermée ?

Est-ce que je tiens à faire entrer Jésus dans les cases que je lui ai toujours réservées jusqu’à ce jour ou est-ce que je suis ouverte à ce qu’il se révèle toujours plus à moi, au risque de déborder, au risque que je doive déconstruire certaines choses que je considérais comme certaines jusque-là et qui, soudain, m’apparaissent dépassées.

Nous aussi, nous avons peut-être vécu des bouleversements qui ont amené des remises en question, des prises de conscience. N’ayons pas peur de ces remises en question ! Ce n’est pas grave de s’apercevoir qu’une croyance que nous avions, ne colle plus. Cela signifie juste que Dieu s’est révélé davantage à nous et que nous pouvons accueillir cette révélation. Il est préférable d’oser faire de l’ordre dans nos croyances que de perdre la foi. Car il y a des personnes qui perdent la foi car elles s’aperçoivent que certaines de leurs croyances ne collent plus, mais elles n’osent pas les modifier. Ce qui compte, ce n’est pas ce que l’on dit ou pense sur Dieu, c’est ce que l’on vit avec Dieu.

C’est avec tous ces chamboulements que les disciples attendent la venue du Saint-Esprit. Ils sont, pour cela, exhortés à se tourner vers l’avenir où il y aura encore du nouveau et à ne pas regretter le passé. Et malgré qu’ils ont été retournés comme un gant, Luc nous dit qu’ils sont unanimes. Ce mot Grec, « homothumadon », se trouve douze fois dans le Nouveau Testament, mais dix fois dans le livre des Actes, chaque fois pour parler de l’unité de la communauté chrétienne. « Homothumadon » est composé de deux mots : «même» et  «cœur, pensée, ressenti», donc on pourrait traduire par « d’un même cœur ». L’image pourrait être musicale : des notes sont jouées avec harmonie, bien que différentes en tonalité. Donc il y a une harmonie entre les disciples, mais il y a des différences de tonalité, ce qui n’est pas grave, ça fait leur richesse.

Les disciples sont donc tous unanimes, mais ils ne pensent assurément pas tous la même chose, et ils sont probablement tous différents au niveau de leur ressenti. De même qu’il n’y a pas deux personnes qui pensent exactement la même chose parmi nous ce matin, ni deux personnes qui ont exactement le même ressenti. Et pourtant, nous pouvons être tous unanimes, car tous à la recherche d’une communion plus grande avec le Christ ressuscité et prêts à abandonner certaines croyances, dont certaines sont peut-être mortifères. En effet, ce qui est saint, ce ne sont pas nos croyances, c’est notre relation avec Dieu. Amen.

Homélie du pasteur Marc Balz, le 28 avril

Homélie du pasteur Marc Balz, le 28 avril

Ac 9, 26-31   1 Jn 3, 18-24   Jn 14, 1-12
Grandchamp, 28 avril 2024
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Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures ; si ce n’était pas vrai, je vous l’aurais dit : en effet je vais vous préparer une place. (Jn 14,2)

Jésus se prépare à quitter ce monde, et il prépare ses disciples à vivre sans lui. Et dans ce cadre, il parle d’une maison de Dieu, dans laquelle il y a beaucoup de demeures et d’un chemin pour y parvenir.

Pour tenter de comprendre cela, je vous propose un parcours hasardeux des Ecritures, et de remonter jusqu’au tout début, avant le temps, jusqu’au principe et au fondement de tout ce qui est. Et ce début de tout, au commencement de l’Ecriture, est aussi ce qui est au plus intime, au plus profond de chacune et chacun de nous.

Au début du début, ou au fond du fond, on trouve ce grand chant de la Création, le chant du Créateur en train de créer sa demeure en quelque sorte, la terre et le ciel, un chant qui s’achève après 6 jours avec ces mots «voici, c’était très bon», et Dieu qui se repose ensuite, durant tout un jour.

Immédiatement ensuite, une seconde demeure sous la forme d’un jardin que Dieu plante à la manière d’un jardinier, un jardin de jouissance, un jardin nourricier, dans lequel les fleuves coulent, où l’homme et la femme se découvrent vivants, où Dieu parle avec eux comme un intime, et se promène au souffle du jour. Et un serpent qui rôde alentours, à moins qu’il ne s’agisse d’un devin, puisque c’est le même mot (na’hasch). Bref, ce que je retiens ici, c’est que Dieu paraît très familier de ce jardin, et qu’il semble aimer y demeurer avec ses deux créatures, l’homme et la femme. Bon, on connaît la suite…

Ensuite dans l’Exode ces mots prononcés par Dieu lui-même : «Ils me feront un sanctuaire et je demeurerai parmi eux». Je demeurerai, c’est le verbe d’où est tiré le mot Shekina ( שכינה ), la présence, la lumière qui guide dans la nuit, mais aussi la forme féminine de Dieu. Et dans Zacharie, ce cri : «Crie de joie, réjouis-toi, fille de Sion, car me voici, je viens demeurer au milieu de toi» (Zacharie 2,14). Dieu se déplace avec son peuple, de jour comme de nuit. Présence de Dieu encore, dans l’histoire, au milieu du peuple ou au centre notre être.

Un trouble apparaît dans le 2e livre des Chroniques (6,18), avec cette question : «Dieu habiterait-il vraiment avec les hommes sur terre ? Voici que les cieux et les cieux des cieux ne le peuvent contenir, moins encore cette maison que j’ai construite». Alors Dieu est-il partout, ou en un seul lieu, est-il proche ou lointain, sur les chemins tortueux de la vie ou dans sa demeure, le Temple ? Vous voyez le dilemme.

Dieu dans l’histoire finit par s’établir au temple de Jérusalem (à
moins qu’il n’y soit assigné à résidence ?), et dans lequel le Grand Prêtre vient le rencontre, ou le visiter, une fois par an, dans le saint des saints. Une rencontre rare donc, un seul jour par an et pour un seul, dans une demeure où il n’est pas questions que les hommes habitent . Dieu se retrouve seul  dans sa demeure chaque jour de l’année, chaque jour sauf un.

La parole de Jésus prend dans ce contexte une tout autre dimension  : «Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures» et il y aura de la place pour vous (Jn 14,2-3). Dans les paroles et la compréhension du Christ, la maison du Père n’est pas un lieu de solitude et la solitude humaine ne doit pas non être plus une fatalités. Jésus ici voit ces nombreuses demeures, avec de la place pour beaucoup. Joie de Dieu, joie du Christ, et joie des invités  !

Celles ou ceux parmi nous qui vivent des temps de prière intense, de retraite ou de contemplation découvrent peu à peu, parfois après des traversées de déserts arides, découvrent ces oasis intérieures ou ces jardins dans lesquels la vie se met à vibrer, à couler, et où la solitude tout au fond n’existe plus. Un retour dans le jardin des origines en somme, où Dieu se promène, tout proche et attentionné.

Les disciples aspirent à cela, et Jésus inaugure ici un itinéraire nouveau, un chemin qui doit leur devenir familier, un chemin où il n’est plus question de se perdre, tout seul. Et ce chemin c’est le Christ, ce chemin devient lui-même le but, puisqu’il mène à Dieu, puisqu’il est la vie. C’est le chemin de toute notre vie !

Dans l’Histoire biblique comme dans notre histoire, beaucoup de demeures pour Dieu :
la création entière… un jardin… la présence de Dieu dans le monde et en nous… une demeure close pour un Dieu parfois bien seul… puis un jour une demeure avec Dieu, ouverte à toutes et tous… un chemin qui prend un visage : le Christ lui-même, reflet et présence du Père. Et nous voilà en marche !

Dans l’Apocalypse, tout à l’autre bout de l’Ecriture, tout à l’autre bout de notre histoire personnelle, il n’y a plus vraiment de jardin mais une ville nouvelle, dans laquelle une voix forte retentit :
«Voici la demeure de Dieu avec les hommes.
Il demeurera avec eux.
Ils seront ses peuples
et lui sera le Dieu qui est avec eux.
Il essuiera toute larme de leurs yeux.
La mort ne sera plus.» (Ap 21,3-4)

Et ce détail qui reprend la thématique du jardin des origines, mais dans le sens d’une bénédiction : «Au milieu de la place de la cité (…) est un arbre de vie produisant 12 récoltes. A chaque lunaison, il donne son fruit et son feuillage sert à la guérison des nations» (Ap 22.2).

Il n’y a plus qu’ à respirer large, à contempler, et à rendre grâce.