Homélie par le pasteur Guillaume Klauser, le 10 novembre 2024

Homélie par le pasteur Guillaume Klauser, le 10 novembre 2024

 

Marc 12, 41-44 et 1Rois 17, 8-16

Chères sœurs, chers frères
C’est un très court passage de l’Evangile qui nous est donné ce matin. Pourtant, comme tout dans le plus ancien des Evangiles, l’essentiel y est décrit, l’essentiel pour nous faire grandir dans la foi.
Car c’est bien de foi, de vie de foi, et de relation à Dieu qu’il est question ici, et non d’un enseignement moral sur le don d’argent ou sur le don de soi. Ce n’est pas non plus un hymne à la sainteté qui nous grandirait par rapport aux autres face à Dieu.
On peut alors se questionner sur la logique qui est celle de ce texte et ce qu’elle dit de la foi.
Etrange posture que celle de Jésus, qui, pour une fois, n’est pas debout sur le chemin, mais qui est assis et qui observe. Ce qu’il observe, ce sont des gens, mais c’est également tout un système, qui demandait à tout un chacun de venir déposer de l’argent au Temple. Un système qui entretenait financièrement une administration religieuse immense, et qui reposait sur une idée très simple : celle d’un échange avec la divinité. Tu donnes de l’argent, je t’assure ma protection.
Le récit de cette veuve nous est rapporté juste après que les spécialistes des Ecritures, les scribes, soient eux aussi venus déposer leur offrande, eux qui se pavanent dans leurs beaux habits pour se faire voir. Alors au vu des sommes colossales que devait brasser l’institution religieuse, une question vient : pourquoi la pauvre femme n’a-t-elle pas mis seulement une pièce dans le tronc, et non les deux qu’elle possédait ? Personne ne lui en aurait voulu ! Même avec une seule pièce donnée, elle aurait illustré un magnifique acte de générosité. Mais ce n’est pas la générosité qui est ici en question. Evitons alors de réduire cet épisode à la démonstration d’une performance en matière d’altruisme.
L’intérêt du geste de la veuve tient bien plus au fait qu’elle ne mesure pas, qu’elle ne compte pas. Si l’important avait été « de participer », elle n’aurait déposé qu’une seule pièce. Mais elle en dépose bien deux. En donnant le tout, en rompant avec la logique comptable, la veuve va ébranler les murs de la comptabilité religieuse du Temple, donnant un autre sens à son acte.
Ce que Jésus relève chez cette femme et qu’il ne trouve pas chez les scribes, c’est bien la foi. Jésus vise la racine du mal, la divinité institutionnalisée, contrôlée par l’institution religieuse du Temple. Ce que Jésus relève en observant la veuve, c’est la bonne nouvelle d’une relation à Dieu fondée sur la gratuité.
Car la question du don est délicate. Le don gratuit existe-t-il ? Les sciences sociales nous aident à comprendre qu’en réalité, le don est toujours associé à un contre-don. Ainsi, sous l’angle du don, le geste de celles et ceux qui viennent déposer là de l’argent n’est pas gratuit, puisqu’ils en attendent quelque chose en retour, une compensation quelconque comme une meilleure place dans la société.
Mais Jésus n’est pas, je l’ai déjà dit, en train d’enseigner la bonne manière de donner. Il parle plutôt de ce qui fonde la foi. La foi n’est pas dans la logique du don : elle est bien plutôt l’ordre de l’aban-don. Et la logique de l’abandon est radicalement différente de celle du don.
Contrairement au don qui procure bonne conscience et satisfaction de soi, l’abandon demande quant à lui de lâcher ses sécurités, d’accepter de dépendre des autres, d’un Autre. C’est là ce que nous dit le geste de la veuve. La foi de la veuve qui donne sans compter ce qu’elle avait pour vivre relève de cet abandon en pleine confiance à Dieu. C’est d’ailleurs aussi cette pleine confiance qu’Elie et une veuve, une autre veuve, sont invités à vivre, dans notre lecture du livre des Rois. C’est encore avec cette pleine confiance que retentira la parole de Jésus avant la croix « Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mt 26, 39).
Je dirais que c’est là que ça se corse. C’est là que nous touchons une question bien difficile. Si la foi ne réside pas dans le don ni dans le contre-don, mais dans l’abandon, qu’est-ce que cela signifie, pour moi, aujourd’hui ? C’est peut-être là la question de toute une vie…
Je repense à cet « abandon » à la grâce de Dieu par Dietrich Bonhoeffer lorsqu’il est en prison, traduit malheureusement par « soumission » en français… Ce que les germanophones ici comprendront parfaitement, cet « Ergebung », qui n’est ni une reddition, une capitulation, ni une mièvrerie pieuse, qui dit cette mise dans les mains du Père mais qui reste en même temps un engagement de toute sa personne, quelque chose qui tient bon.
Nous vivons un temps d’incertitudes, ce n’est pas nouveau et je ne vous apprends rien. Incertitudes parfois dans nos vies personnelles et parfois dans la marche de notre monde. La nouveauté, qui date de mardi dernier avec les élections américaines, n’est pas pour nous donner d’emblée et d’elle-même confiance. Pourtant je crois que c’est là qu’en tant que chrétiens, que chrétiennes, nous avons une réponse radicale, un mode d’être au monde, une manière de résister au découragement, depuis que Jésus est venu renverser les choses.
Cet abandon à la grâce de Dieu que Jésus nous révèle lorsque la veuve se présente au Temple me semble être une voix majeure, une voix qui compte, une voix à porter dans notre société. Cette confiance, c’est cette « petite espérance qui n’a l’air de rien du tout », comme disait Charles Péguy, mais qui est pourtant bien ce qui nous permet de continuer à vivre, de continuer à nous lever le matin et constater que « La cruche de farine ne tarit pas, et la jarre d’huile ne désemplit pas, selon la parole que le Seigneur a dite par l’intermédiaire d’Elie ».
Amen !

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 9 novembre 2024

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 9 novembre 2024

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier
Samedi 9 novembre 2024 – Mémoire des premières professions

1 Cor. 3, 9-11 + 16-7 ; Évangile selon St. Jean 15, 1-5 + 9-17

« Aimez-vous les uns, les autres comme je vous ai aimés »

C’est le cœur de l’Évangile, la colonne vertébrale de notre existence, l’orientation proposée donnant sens à notre vie = « Aimez-vous »… une parole essentielle, proclamée, entendue, dite et redite sans fin, si difficile à vivre, et nous nous l’approprions, mais, comme dit Maurice Zundel, parlant de religion, nous en faisons « une confidence d’amour, répétée sans amour ».

Alors, ce matin, nous essayons de la recevoir comme une parole neuve, afin que se réalise la promesse de Jésus = « Demeurez dans mon Amour afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ».

Dieu est Amour, et nous, nous sommes le temple de Dieu, nous sommes donc habités par l’Amour, et invités à demeurer dans son Amour.

Le Christ est Vie de notre vie, notre cœur battant au rythme du Sien : Il est donc vivant au cœur de notre cœur.

L’Esprit Saint est joie ; quand Il souffle la présence du Christ dans l’Eucharistie, cette joie est la nôtre.

Que dire de plus ? Sinon demeurer relié, en dialogue, en conversation avec cette présence intérieure à nous-mêmes, silencieuse mais active, rejoignant le désir du psalmiste disant :

« La seule chose que je cherche, habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie (ps 26) ».

Habiter notre âme, cette résidence de l’Amour, de la Vie, de la Joie irradiant cette présence de Dieu en nous : demeurer en dialogue avec Jésus, l’Ami, pas en vue d’une réponse, mais pour être imprégné de sa Présence qui rejoint cette parole d’Hildegard de Bingen : « Le corps est le chantier de l’âme où l’Esprit vient faire ses gammes ».

Pour dire ce lien de communion, Jésus parle de la relation étroite, vitale, liant le vigneron à sa terre, le cep aux sarments portant le fruit de Son amour pour sa vigne : « vous en moi », « moi en vous » : Amis.

L’ordre d’aimer trouve son appui en Jésus qui a tout donné, en se donnant. Ce n’est pas un sentiment généreux ou une émotion profonde, mais une décision, un engagement de tout l’être, l’absolu d’un appel, une loi de Vie.

Aujourd’hui, nous faisons mémoire des premières professions, ici à Grandchamp, et, nous pensons à vous toutes, sœurs, qui répondez à cette vocation d’être amies de Jésus, vivant, sa Présence au plus intime de vous-mêmes, votre identité.

Quand, dans les années 1930, invitée par la belle-mère d’Hélène Bovet (Hélène que beaucoup d’entre vous ont connue) Mère Geneviève, signant encore son courrier : Madame Léopold Micheli, est venue visiter Grandchamp, en vue des premières retraites spirituelles, prémices de la communauté, elle a été conquise : « c’est le lieu rêvé » a-t-elle dit, « pas d’hésitation possible » !

Que nous soit faite la grâce d’accueillir le Christ – Amour avec la même détermination, pas par intuition, mais par conviction.

« Aimez-vous, les uns, les autres, comme je vous ai aimés », pour en cueillir son fruit : « la joie parfaite ».

Amen.

Prédication du pasteur Guy Lasserre, le 7 novembre 2024

Prédication du pasteur Guy Lasserre, le 7 novembre 2024

Prédication sur Luc 15,8-10
Jésus dit : 8 « Ou encore, quelle femme, si elle a dix pièces d’argent et qu’elle en perde une, n’allume pas une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvée ? 9 Et quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines, et leur dit : “Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, la pièce que j’avais perdue !” 10 C’est ainsi, je vous le déclare, qu’il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
La parabole de la pièce perdue, que nous venons d’entendre, est une parabole négligée. Pourquoi ? Peut-être parce que c’est une histoire de femmes, nous y reviendrons. Mais surtout car elle est entourée de deux paraboles qui ont eu beaucoup de succès. Luc, l’évangéliste, raconte avec ces trois paraboles la réponse de Jésus aux pharisiens et aux scribes qui lui reprochent de partager la même table que des pécheurs, et de se laisser ainsi contaminer par eux plutôt que de s’en tenir éloigné. Le pécheur ou le péché est donc l’un des thèmes importants qui apparaît dans ces paraboles et les relie. Des personnes vivent une séparation de Dieu mais surtout des retrouvailles avec lui. Notre parabole suit celle de la brebis perdue que le berger va chercher et ramène sur ses épaules, une image qui a marqué l’art chrétien, que l’on trouve déjà dans les catacombes de Rome et encore dans les livres pour enfants. La parabole qui vient ensuite, c’est celle du fils prodigue ou des deux fils, une des plus connues des Évangiles qui a suscité beaucoup de réflexions. Entre les deux, notre parabole semble un doublet qui n’apporte rien de neuf. Je vous propose de la voir ce soir plutôt comme une variation musicale sur un thème, chaque variation mettant en valeur un aspect particulier du thème. Mon hypothèse de lecture est qu’il s’agit de valoriser ce qui est propre à cette parabole et de le comprendre de manière complémentaire à ce que disent les autres. J’en retiendrai deux traits, ce qui est perdu est ici un objet et c’est une histoire de femmes.
Ce qui est perdu est ici une pièce d’argent et non un animal, comme dans la première parabole, ou un être humain, un ou deux fils, comme dans la troisième parabole. Qu’est-ce que cela change ? La pièce d’argent est un objet, sans volonté propre. Vous avez déjà sans doute tous perdu une pièce d’argent. Comment cela se passe-t-il ? Pour moi, en général, c’est quand j’ouvre mon porte-monnaie pour y chercher une pièce. Une autre glisse et tombe par terre. Parfois elle s’arrête à mes pieds et je la ramasse, parfois, elle se met à rouler, suit la pente ou la force de sa chute et disparaît. Elle se retrouve égarée dans un coin, incapable de regagner mon porte-monnaie si quelqu’un ne la cherche et ne la ramasse. Parfois notre éloignement de Dieu est un peu comme celui de la pièce. Je ne choisis pas de m’éloigner de lui mais je me laisse prendre par mes préoccupations, par mon désir de bien faire, par la pente, les courants du monde qui m’entoure et je me retrouve ensuite égaré, incapable de revenir par moi-même. La repentance, ici, n’est pas, comme dans la parabole du fils prodigue un retour sur soi qui amène à un retour au père dont le fils se souvient mais elle dépend entièrement de celui qui cherche. La pièce ne peut que consentir à se laisser retrouver, un peu dans la ligne de ce que Paul disait aux Corinthiens, comme une supplication : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20). Le retour ou la repentance est d’abord un cadeau que je reçois de celle ou celui qui se soucie de moi et me cherche.
L’autre particularité de cette parabole est qu’elle est une histoire de femmes. C’est une femme qui perd une pièce, allume la lumière, balaie et cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle trouve, puis, dans sa joie invite ses amies et voisines à fêter avec elle. Amies et voisines, ce sont aussi des femmes qu’elle invite. Même pour parler de la pièce, Luc utilise un mot grec féminin. Il ne parle pas du denier, comme dans d’autres passages, mais de la drachme, un mot féminin qui n’est utilisé qu’ici dans les Évangiles. J’y vois comme un clin d’œil de l’évangéliste. Dans cette histoire, tous les rôles peuvent être tenus par des femmes, elles y ont partout leur place. Comme celles qui sont perdues et retrouvées, comme celles qui cherchent avec soin, comme celles qui sont conviées à partager la joie des retrouvailles. Cela correspond à la pratique de Jésus, à son attitude avec les femmes qu’il interpelle, qu’il accueille et par qui il se laisse accueillir, toucher ou oindre, avec lesquelles il discute et qu’il accepte dans le groupe de ses disciples. Toutes les places sont aussi pour elles dans l’histoire de Dieu avec les humains.
Dans l’histoire de l’exégèse, les paraboles ont souvent été lues de manière allégorique. On a ainsi dit que le berger est figure de Dieu ou du Christ, comme le père dans la parabole du fils prodigue, mais, pour la femme, on y a vu la figure de l’Église. Je crois que ce n’est pas juste. Comme le berger, la femme est ici figure de Dieu ou du Christ. Elle le représente dans sa manière de chercher avec soin et jusqu’à ce qu’elle trouve, comme dans sa manière de faire la fête avec ses amies et voisines. La parabole invite à élargir notre vision de Dieu et à le voir aussi comme cette femme. En même temps la parabole nous montre que le comportement de cette femme qui balaie laisse transparaître Dieu, comme dirait Zundel. Elle fait apparaître son visage et son attitude pour nous, son soin et sa persévérance, son désir de retrouver chacune et chacun pour se réjouir avec elle. Quand je vois une femme qui balaie avec soin sa maison, je peux me dire, Dieu me cherche ainsi quand je me suis égaré.
Cette parabole est une parabole négligée, et c’est dommage. Elle vient élargir notre regard sur Dieu et nos histoires avec lui, sur ces éloignements qui peuvent égarer loin de lui et sur le retour à lui comme consentement à se laisser retrouver. Elle vient aussi élargir notre regard sur l’importance des femmes dans l’histoire entre Dieu et les humains. Elles ont leur place dans tous les rôles, perdues et retrouvées, chercheuses avec soin et conviées à la fête des retrouvailles. Dans leurs attitudes, elles sont aussi transparence à la figure de Dieu ou du Christ, manifestations de sa présence au milieu de ce monde. Amen

Guy Lasserre, prédication pour la communauté des Sœurs de Grandchamp, le 7 novembre 2024.