Prédication de Christian Miaz, le 2 mars 2025

Prédication de Christian Miaz, le 2 mars 2025

1 Corinthiens 13 ; Luc 18, 31-43

Chères sœurs, chers frères,

Quel texte extraordinaire que ce chapitre 13 de la Première Lettre de Paul aux Corinthiens. Il a été choisi par de nombreux couples pour leur célébration de mariage. Je l’ai aussi pratiqué en paroisse en lien avec les personnes que j’accompagnais. Aujourd’hui, à la retraite, sans responsabilité ecclésiale, je le lis en lien avec mes lectures et les nouvelles du monde.

L’ouverture au monde entier d’aujourd’hui m’interpelle : lire ce texte ici, en Suisse, ou par exemple dans les régions des grands lacs africains, des territoires occupés par Israël ou la Russie, à Gaza, en Ukraine, n’engendre certainement pas la même écoute, la même compréhension. Peut-on aimer tout en tuant pour se défendre ? Peut-on aimer tout en attaquant ? Peut-on aimer tout en étant violent pour que justice soit rendue ? Ces interrogations demeurent, car je n’ai jamais été placé dans une situation de violence comme peuvent le vivre des femmes, des hommes, des enfants, au sein de leur famille, de leur travail, de leur pays. Par conséquent, mon message est celui d’un privilégié et ne peut répondre à ces questions.

Ces questions sans réponses de ma part limitent la portée existentielle du message de ce matin à une part de notre société.

L’amour est un absolu, mais un amour absolu limité, ici et maintenant : limité par les désirs, les violences et l’orgueil des humains qui impactent les relations sociales. A cause de sa faiblesse et de sa dépendance envers ses parents lors des premières années de sa vie, l’être humain doit gérer les impacts psychiques des rapports de dépendance–domination qu’il a reçus : il doit gérer ces impacts sur sa manière d’être et d’agir en société au quotidien. L’amour s’immisce dans cette gestion des pulsions psychiques. Mais revenons au texte de la Première Lettre aux Corinthiens qui se trouve au cœur de notre tradition chrétienne :

Ce texte s’origine dans le double commandement de Jésus : « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Dans quelques jours nous allons entrer dans le temps de Carême qui va nous conduire à Vendredi Saint : au don d’amour suprême de Jésus pour ses frères et sœurs humains. Cet amour inconditionnel de Jésus a conduit Paul à introduire cet éloge de l’amour dans son développement sur les dons de l’Esprit. Pourquoi l’amour est-il indispensable aux dons de l’Esprit ? La réponse est évidente : sans amour, les dons de l’Esprit peuvent devenir des instruments de pouvoir, d’oppression, de domination et d’exploitation. Et cela s’est vérifié au cours des siècles : que n’a-t-on légitimé au nom de l’Esprit Saint qui me parle et me dicte mes paroles pour mon bien propre ou mon institution. Sans amour, les dons de l’Esprit deviennent parfois les instruments du mal, de Satan. L’amour est la puissance, force, qui conduit les dons de l’Esprit aux biens du prochain, et par conséquent de soi.

A qui est destiné l’amour ? Dans les Evangiles, il y a trois destinataires : Dieu, le prochain, soi-même. Le destinataire du texte de 1 Corinthiens 13, c’est le seul prochain, l’autre. Par conséquent, ce matin je n’évoquerai que l’amour pour le prochain, pour l’autre. Paul ne définit pas le prochain, ni sa situation, ni son genre, ni son orientation sexuelle, ni la couleur de sa peau, ni sa religion. Paul parle du prochain, c’est-à-dire de toute personne qui vit ici et au loin. Il me parle de l’amour qui devrait m’habiter en tant que dépositaire des dons de l’Esprit Saint.

En quoi consiste l’amour, ici au sens d’agape ? Il est une puissance de transformation engendrée par l’Evangile de Jésus Christ. En tant que chrétien, sans amour, ce que je dis, ce que je suis, ce que je fais, n’est rien ; sans amour, je ne suis que bruit ; sans amour, je ne suis rien ; sans amour, je ne gagne rien.

Comment laisser jaillir en moi cette puissance d’amour du prochain ? Paul essaie de me guider en déterminant les capacités de l’amour, en les listant aux versets 4 à 7 que je résume par la fin : l’amour excuse tout, croit tout, espère tout, endure tout. Paul m’apprend que je n’ai rien à attendre du prochain, ni avant, ni pendant, ni après. L’amour du prochain dépend de moi, et de moi seul, de ma confiance en la force transformatrice de l’amour comme espace de vie, de pardon, de renouvellement et de partage.

Laisser jaillir durablement en moi cet amour du prochain m’est pourtant impossible. Je peux certes y parvenir parfois, mais seulement de manière brève. L’apôtre connaît les faiblesses humaines, il connaît dans sa chair cette épine. C’est pourquoi il développe ce passage entre le « maintenant » et le « alors ». Le maintenant est limité, imparfait, où je ne vois qu’à travers un miroir. Paul pousse à regarder en avant vers cet alors où je verrai face à face, en plénitude, ce que je suis, ce que sont les « autres » !

J’ai reçu la foi, l’espérance et l’amour pour avancer sans cesse vers la révélation ultime du face-à-face. Ici et maintenant, je ne peux que croire et espérer qu’un amour infini m’habite ; maintenant et ici, je ne peux qu’en révéler des bribes.

On dit que l’amour ne se commande pas, puisque c’est l’amour qui commande. L’amour révélé par le Christ s’élève contre une telle maxime. L’amour du Christ m’engage sur un chemin de foi et d’espérance envers mon prochain.

Et en ces temps, la force de l’argent et du pouvoir domine les politiques et les conduit à mépriser les petits, les pauvres, les pousse à abattre toute personne s’opposant à elles, à exclure les réfugiés, les migrants, à diviser les pays, à s’accaparer des biens pour leurs seuls profits. Nous vivons un présent angoissant, renforcé encore par le crash entre les présidents Trump et Zelensky, vendredi soir dernier. Pour nous chrétiennes et chrétiens d’Europe, poussés par un désir de justice et d’amour du prochain, les décisions américaines prises par Trump sont un cataclysme. L’orgueil, le mépris et la force sont les puissances qui régissent les grands de ce monde dont les USA. Que pouvons-nous faire ? Que puis-je faire ?

Paul, et à travers lui Jésus Christ, nous appelle à poursuivre notre chemin de foi, d’espérance et d’amour. Même si nos pensées et nos actes sont limités, même s’ils ne révèlent que partiellement l’amour du prochain, ils sont notre seul chemin de vie. Sur ce chemin de vie, l’amour est la lumière qui me donne confiance et soutient mon espérance : cette espérance que rien n’est définitif et qu’ensemble, nous pourrons avancer vers plus d’empathie et de bienveillance envers celles et ceux qui sont nos sœurs et frères en humanité sur toute la terre, et pas seulement dans les limites des nos frontières.

L’amour est la plus grande force de vie, nous rappelle Paul : l’amour fonde ma foi et mon espérance ici et maintenant, toujours, éternellement. Comme l’écrit Gerd Theissen : « La foi, l’espérance et l’amour sont la présence de Dieu dans l’être humain. La foi justifie l’humain. L’espérance justifie Dieu. Seul l’amour ne se justifie pas. C’est le plus grand des trois. Par l’amour, nous approuvons le monde, le prochain et la vie. » Je rajoute : et nous luttons pour la justice et la paix en n’écartant aucune stratégie, même celle de s’interroger sur la lutte armée contre la violence. Mais notre but reste toujours : la paix entre les nations pour que l’amour puisse se vivre entre des individus d’origines diverses.

Amen.

Prédication par Heiner Schubert, le 6 février 2025

Prédication par Heiner Schubert, le 6 février 2025

Mt 9,18-26 Grandchamp

 

Une femme s’approche de Jésus; son nom ne nous est pas donné. Cela se passe alors que Jésus, sollicité par un notable, est en route pour rappeler sa fille à la vie.  

J’aime ce mot « notable ». C’est quelqu’un bien dans sa chair; que l’on remarque, que l’on connait; qui a un statut: quelqu’un qui dispose de moyens considérables, il est entouré par ses subalternes. Habitué à être entendu, il ne doute à aucun moment que Jésus va exaucer sa demande.

Fort contraste entre cet homme sûr de lui et la femme!

Elle, elle n’ose même pas adresser la parole à Jésus. Cependant, elle doit se rassurer en se parlant à elle-même, en se disant que s’approcher de Jésus par-derrière, c’est la bonne démarche, qu’elle a pris la bonne décision.

Nous comprenons que cette femme est habitée par un profond désir. Elle perd du sang, tout le temps, elle est épuisée et rejetée comme impure. Elle est au bout de ses forces, elle est désespérée.

Le sang symbolise la vie, ce qui nous rend vivants et capables.

Son désir c’est de pouvoir enfin participer à la vie, de ne plus être exclue, de pouvoir contribuer à la marche de la société et d’en devenir un membre égal et respecté. L’écart entre ce désir et la réalité décrite par Matthieu est abyssal.

Cette femme me fait penser à ces personnes déçues de la vie, épuisées par des combats sans espoir; ces hommes et ces femmes à qui la vie n’a réservé que des défaites. Je me souviens de personnes qui ont donné, donné et donné tout au long de leur vie. Quand les forces diminuent, quand le moment vient de faire un bilan, c’est le grand désenchantement. Il leur semble que le résultat de tous leurs efforts ne correspond pas du tout à l’engagement dont elles ont fait preuve. L’amertume les guette, elles tombent dans un vide profond.

Mais, au milieu du récit il y a un tout petit geste, un geste qui déploie un grand effet et produit un grand bouleversement; un geste plein de lumière. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué.

Il est plutôt masqué par cette foule bruyante, déployée par la présence du notable.

Cette foule qui donne une sorte de cadre aux malheurs qui touchent la femme et la fille du notable; cette foule voyeuriste qui ne sait que fairedes commentaires destructifs en se moquant de Jésus.

Jésus se retourne et il voit la femme. Enfin, elle est vue, elle est remarquée, notée, elle aussi, comme le notable habitué à être vu. Cette femme désemparée et sans moyens; elle est enfin perçue; elle qui était sans cesse rejetée. Jésus crée un ilot de paix au milieu de cette foule agitée et excitée. Il est là, il est avec cette femme, il n’y a rien de plus important en cet instant.

C’est le moment clé de ce passage. Jésus regarde la femme qui vient de toucher les fils de son vêtement comme il regardera plus tard la petite fille et prendra sa main.

Les paroles que Marie a chantées quand elle a senti le bébé bouger dans son ventre se réalisent alors.: Il a précipité les puissants de leurs trônes, et il a élevé les humbles (Luc 1.52).

Le notable et la femme désespérée sont tous les deux désemparés face à la souffrance.

Jésus entend leur souffrance et il les délivre.

Le récit de Matthieu nous invite à nous retourner comme l’a fait Jésus, à nous laisser interrompre dans les occupations si importantes de notre vie.

Il nous invite à écouter, à être présents quand une personne nous sollicite. Il nous invite, nous qui animons des maisons de retraite àsoigner nos lieux d’accueil.

Ils sont plus précieux que nous ne l’imaginons.

Je suis profondément touché quand je vois Jésus se retourner.

Je veux apprendre de lui.

Je veux apprendre à discerner ce qui compte vraiment.

Je veux apprendre à voir son visage à travers autrui.

Il sera présent parmi nous quand nous partagerons le pain et le vin tout à l’heure.

Nous serons toutes et tous touchés.