Homélie par le pasteur Félix Moser pour le 2ème dimanche de carême – La Transfiguration, le 28 février 2021

Homélie par le pasteur Félix Moser pour le 2ème dimanche de carême – La Transfiguration, le 28 février 2021

Gn 35,1-15
2 Tim 1,8-10
Luc 9,28-36

Neige, une blancheur cristallisée, saupoudrée de toutes petites paillettes d’or, caressée par un soleil levant. Petite pause pour souffler dans la montée.
Instant d’éternité : une vue.
Voix de ténor qui chante le Printemps de Franz Schubert et qui nous emporte à tous vents. Une voix, puis le silence rempli de notes de musique.
Instant d’éternité : une voix.
Un visage parcheminé, un battement de cil, un signe de vie. Une complicité naissante alors que je loge ma main dans une autre main, toute fine et amaigrie. Un visage, une rencontre furtive.
Instant d’éternité : un visage et un signe de vie.
Je n’en doute pas, vous en avez sans doute aussi vécu, de ces instants de joie intense, de ces moments d’autant plus fragiles qu’ils sont éphémères.
La Transfiguration nous offre quant à elle une expérience religieuse. Une expérience humaine du divin. Une rencontre avec Dieu. Un visage qui s’illumine, une robe blanche étincelante. Trois personnes bibliques en conversation. Moment d’éternité pour les disciples.
Mais voyons de plus près l’originalité de notre récit.
Le lien avec le récit de Moise qui rencontre Dieu sur le mont Sinaï et qui scelle l’alliance avec Dieu est ostensible. Cet entretien avec deux personnages centraux de l’Ancien Testament reflète la continuité de l’alliance.
Chez Luc, le temps et le lieu sont marqués par la retraite et le recueillement. Jésus est en prière lorsque « l’aspect de son visage changea ».C’est bien Jésus qui est transfiguré et qui apparaît dans la gloire. Lui, et non ses disciples. Luc souligne par ce trait que Jésus le Christ est bien le Seigneur. Le récit de la Transfiguration peut ainsi se lire comme une anticipation de la résurrection du Christ.
Le temps est ici celui de d’éternité de Dieu, puisque les disciples s’entretiennent avec Moise et Elie. Mais de quoi parlent-ils ?
« Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem[1] », autrement dit de tout ce qui va se jouer au procès de Jésus, à sa mort à le Vendredi saint et à sa résurrection à Pâques.
Il est significatif que le mot traduit par départ soit la traduction du mot grec exodos : une traversée[2]
On peut dire que Luc a été inspiré de placer le récit de la Transfiguration à ce moment-là de son évangile. En effet, quelque temps avant la vision de Christ en gloire, Pierre Jacques et Jean réalisent que Jésus vient d’annoncer sa Passion en affirmant : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit mis à mort et que, le troisième jour, il ressuscite[3] ».
Les disciples parlent de cette annonce qui les déboussole, eux qui voyaient en Jésus un roi et un maitre à la manière humaine.
Dans les épisodes qui précèdent la Transfiguration, Jésus indique aussi quelle est la condition des disciples de tous les lieux et de tous les temps. Le Christ demande de le suivre. Cette marche est rude, parfois difficile. Le disciple lui aussi vit sur le mode de l’Exode, sur un chemin qui passe par les épreuves du doute et de la solitude.
Nous en avons aussi conscience en ces mois de début 2021. Suivre le Christ signifie vivre dans le monde et dans une société où les injustices vont en s’accroissant. Dans nos Églises, la vie n’est pas simple. Les conflits déchirent le tissu de nos communautés, et nous vivons dans des Églises qui présentent bien des contradictions. L’expérience religieuse du divin qui est rapportée ici vient alors au tout bon moment, puisqu’elle vient dire que ce chemin est aussi le chemin de la vraie grandeur, de la vraie gloire, et que ce chemin peut se vivre comme un compagnonnage avec Dieu.
Vivre et marcher à la suite du Christ, c’est aussi recevoir l’assurance de la gloire de Dieu lui-même. En d’autres termes, vivre aussi l’éclat de la lumière et entendre une voix qui désigne avec certitude le Christ comme Fils de Dieu. Et il y eut une voix. Elle disait : « Celui-ci est mon Fils celui que j’ai élu[4] ».
La liturgie de ce dimanche offre un espace de renouveau. Elle nous incite à une belle et bonne pause plus que bienvenue dans ce temps de carême qui sollicite si fort notre repentance et notre intercession.
Aujourd’hui, nous sommes invités à lever le regard pour découvrir l’horizon et entrevoir le but de la marche.
Le récit de la Transfiguration vient comme une lueur d’espoir. Il apporte une consolation. Il donne aux disciples l’assurance et le courage qui leur manquent. Oui, c’est bien vrai, Jésus est celui qui a la puissance de faire des miracles et qui parle au nom de Dieu. Celui que la société de son temps va rejeter est bel et bien son Fils, vous pouvez lui faire confiance. Il participe pleinement à la divinité : il est véritablement aussi vrai Dieu qu’il est vrai homme.
Être témoin de la Transfiguration du Christ ne peut se commander, s’obtenir à force de volonté. Il en va de recevoir la lumière et l’aura qui émanent de ce récit. La Transfiguration du Christ vient parler à nos yeux, à nos oreilles et à notre cœur. Pour que nous entrions pleinement dans l’acte de recevoir. C’est dire que la conscience de l’être humain est d’abord un réceptacle, une ouverture à Dieu et à autrui, une attention à un événement qui surgit. Notre conscience n’est pas d’abord une petite voix qui dit ce qu’il faut faire, mais elle est ouverture pour entrapercevoir ce qui advient.
Et aussi (mais cela nous ne le savons que trop), toute pause dans la marche ne peut être qu’éphémère.
Nous savons que les signes de Dieu, les instants d’éternité, ne peuvent se retenir. Mais nous sommes de la même pâte humaine que Pierre et tous les autres. Comme lui, nous aimerions dresser des tentes ; revivre, ne serait-ce qu’une fois, ce qui nous a tant marqués et réjouis.
J’ai aussi été très frappé par la toute fin de ce récit de la Transfiguration :
« Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu’ils avaient vu[5]. »
Il y des instants si forts dans nos vies que l’on ne peut pas tout de suite en parler. Nos mots se cherchent et se perdent. Il vaut mieux alors se taire, attendre.
La rencontre avec Dieu, à en croire les disciples, provoque aussi la crainte (mot qu’il est juste de traduire par respect). La Transfiguration nous replace devant l’Altérité. Il est normal que cette rencontre provoque alors en nous le silence requis par le temps de la réception.
Oui, il existe bel et bien un silence autorisé. Un silence qui protège l’expérience. Qui la met à l’abri pour qu’elle ne soit pas tout de suite diluée dans la parole dite et redite, et aussi pour qu’elle ne se mélange pas trop vite avec celle des autres.
Un silence nécessaire qui témoigne à sa manière de l’intensité de l’expérience humaine du divin. Celle-ci imprime en nous non pas seulement un instant d’éternité, mais bien une trace décisive d’éternité.

Amen

[1] Luc 9,31.

[2] Luc 9,31.

[3] Luc 9,22.

[4] Luc 9, 35.

[5] Luc 9,36.

Homélie par le pasteur Guillaume Ndam Daniel, le 25 février 2021

Homélie par le pasteur Guillaume Ndam Daniel, le 25 février 2021

Jacques 3.1-18 et Matthieu 18.23-35

Le pardon généreux qui libère.

Il y a comme une grande tension dans l’air en ces temps incertains.
D’énormes injustices et des grandes inégalités sont étalées au grand jour avec cette pandémie, provoquant un vent de panique, nourrissant de grandes rivalités et révélant le besoin immense de libération et de paix. Il y a aussi une attention particulière à nos comptabilités, pas seulement à cause des déclarations d’impôts, mais liée à la conjoncture économique actuelle.

J’ai reçu un jour sur mon WhatsApp ce texte amusant, mais révélateur d’une certaine vérité.

« Nous sommes appelés à rendre compte de toutes nos actions tant sur Terre qu’au Ciel ».
TA NAISSANCE : C’est L’Ouverture de ton Bilan ou Ton Bilan d’ouverture.
Tout ce que tu obtiens est un Crédit dans ta vie.
Tout ce qui te quitte est un Débit dans ta vie.
Toutes les idées que tu développes sont pour toi des Actifs immobilisés.
Toutes tes mauvaises actions sont pour toi des Passifs ou dettes
Ton caractère représente ton Capital
Ton Bonheur quant a lui représente ton Profit.
Tes chagrins, tes douleurs, tes larmes sont tes Pertes.
Tes Connaissances et expériences de la vie sont ton Investissement
Ton âge représente tonAmortissement ou la Dépréciation de ta vie.
Ta Mort symbolisera La clôture de ton exercice.
A la fin de tous ces états comptables de ta vie : DIEU PROCÉDERA A L’AUDIT DE TA VIE. »

Certains de ces aspects de notre vie transparaissent dans ces deux textes bibliques.
Nous sommes au 4e des cinq discours de Jésus selon Matthieu. C’est-a-dire vers la fin de son ministère terrestre. Jésus raconte cette parabole pour illustrer son discours qui tourne autour de la comptabilité et de laréhabilitation. Dans les temps bibliques et à l’époque de Jésus, de sérieuses conséquences attendaient celui qui ne pouvait pas rembourser ses dettes. Son créancier pouvait l’obliger, lui et sa famille, à travailler jusqu’au remboursement du dernier sou. Il pouvait également le faire jeter en prison ou le vendre comme esclave avec toute sa famille et récupérer ainsi une partie de la dette. C’est ce qui pouvait arriver à ce serviteur qui se jeta par terre et se prosterna devant le maître, signe de dépouillement, car Il y avait une grande quantité d’argent en jeu. Dix milles talents dans le langage courant signifiait un nombre infini, incalculable. Le maître pris de compassion lui remis sa dette… Avoir compassion dans la version Chouraqui de la bible est traduit par « être pris aux entrailles ». …

Cette attitude symbolise le pardon généreux de Dieu. Le Seigneur est rempli de compassion, pris aux entrailles, envers le pécheur qui implore le pardon pour une dette qu’il n’est pas en mesure de payer. Cf Col 2.14. Le maître pris de compassion lui remit sa dette… c’est à dire le Laissa partir, ou laissa aller, en grec cela donne… le délier … en clair la dette est annulée.

Chers amis, avons-nous conscience , du nombre de fois par jour ou nous sommes déliés ? Combien de fois Dieu est-il pris aux entrailles devant nos trébuchements quotidiens lorsque nous supplions sa miséricorde? Comment accueillons-nous la générosité de Dieu ? Qu’en faisons nous ?

La suite de l’histoire est étonnante car il y a un retournement inattendu de la situation. En langage cinématographie on l’appelle, twist final (de l’anglais twist ending).

Nous voici devant un autre endettement totalement disproportionné, avec une issue dramatique car ce qui va suivre est terrible. On aurait pu s’attendre à une suite logique et cohérente de pardon et de compassion. Ce même serviteur, pardonné par son maître n’est pas à mesure de faire de même à son compagnon qu’il connaissait bien. Puisqu’ils sont compagnons…. Mais non. C’est comme s’il n’avait pas d’entrailles,… insensibles. Devant certaines horreurs endémiques et ubuesques, je me demande si certaines personnes ont encore des entrailles sensibles ! 

Nous ne savons pourquoi ce serviteur était si endetté ! Avait il perdu en bourse ? Ou subit les conséquences insidieuses de certains emprunts comme pour la plupart des pays en voie de développement. On vous aide en vous plongeant dans un endettement pluri centenaire et systémique. Par ailleurs, parfois, selon ce que nous avons vécu, traversé, nos entrailles peuvent être abimées et devenir inactives, nous entrainant dans une spirale sans fin de la violence. Comme par exemple en Birmanie avec toutes les manifestations multiformes ,… ou en Éthiopie …

Ce n’était pas le cas de ce premier serviteur qui venait d’être comblé d’une si grande miséricorde et refuse d’imiter son maître et pour 100 deniers, conduira son compagnon en prison. Cent deniers, 100 pièces d’argents, étaient l‘équivalent de 3 mois de salaire. Toute fois, c’était des peanuts…. C’était important mais dérisoire en comparaison de ce qui avait été remis au premier serviteur. Ce serviteur aurait dû délier son compagnon. Il aurait dû réfléchir avant d’agir. Un proverbe africain dit : « il ne faut pas entrer dans la rivière sans connaître la profondeur ». Il jeta son compagnon en prison sans savoir ce qui pouvait suivre.

Chers amis, un manque de pardon constitue une offense à l’égard d’autrui et davantage si nous avons été pardonné nous mêmes. Le pardon est le don parfait par dessus tout. Quand il est donné et accueilli, il redonne vie à l’autre et à la relation. Quand on aime, on pardonne sans compter. Il n y a pas de comptabilité en matière de pardon. 7×70=infini

Celui qui a fait l’expérience d’avoir été pardonné par Dieu ne fait que rendre à son frère ou à sa sœur, du fond du cœur, ce qu’il a lui même reçu. Notre passif envers Dieu à cause de notre péché est comparable à celui du premier serviteur ; il est énorme. Il est impossible de nous en acquitter quelles que soient nos bonnes œuvres.

Mais Dieu dans sa miséricorde et sa générosité nous laisse aller totalement.

Comment, ayant reçu un tel pardon, ne pas nous montrer charitable vis-à-vis de nos semblables ? Osons nous interroger sur ces dettes à remettre, ces pardons à donner en actes, en paroles.

Parlant de la parole et de la langue, nous savons que sans la parole nous ne serions pas les humains. La parole transmet la vie, elle dit l’amour et permet d’entrer en dialogue. Mais la parole peut aussi blesser, lorsqu’elle n’est plus que monologue, ou transforme l’autre en objet. Elle peut aussi tuer lorsqu’elle condamne et exclut. Elle peut emprisonner et retenir le pardon. Le pardon dans sa dimension transcendantale a un lien avec la sagesse d’en haut. En remplaçant le mot « sagesse d’en haut » par le pardon, le verset 17 de Jacques 3 prend une autre dimension.

Jacques 3.17 « le pardon est tout d’abord pur, ensuite porteur de paix, doux,  conciliant, plein de compassion et de bons fruits, il est sans parti pris et sans hypocrisie ».

Chers amis, Nous sommes tous des mendiants devant Dieu, comme avait coutume de dire Martin Luther. Nous ne pouvons pas envisager le paiement  de notre dette.

Dans sa compassion, sa grande générosité et par sa grâce souveraine, Le Seigneur a payé notre dette et nous accorde par Jésus un pardon total et gratuit. Si Dieu nous comble de ses grâces et de son pardon, ce n’est pas seulement pour que nous en jouissions en égoïstes, mais c’est afin qu’à son exemple nous devenions généreux pour les autres :

  • Généreux en miséricorde et en patience
  • Généreux en bonté et en bienveillance.
  • Généreux en charité, avec les biens que nous avons reçus
  • Généreux dans toutes nos activités spirituelles pour l’édification et le bien de ceux qui nous entourent.

C’est ce pardon généreux qui nous libère et permet tant de résurrection de bonheur. 

En ces temps de carême, quand nous prendrons la parole veillons à ce que ce soit pour dire du bien, et non pour maudire et emprisonner .

En ce temps de carême, donnons, aimons, Investissons et pardonnons avec abondance même confrontés à des situations mortelles dans notre vie.

Sachons qu’au bout de ce chemin de Pâques, le péché du monde sera balayé par la fidélité d’un Dieu de pardon et d’amour.

Amen.

 

Homélie par le pasteur Hyonou Paik pour le dimanche 14 février 2021

Homélie par le pasteur Hyonou Paik pour le dimanche 14 février 2021

Lc 18,31-43

Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Pour le dire de manière plus générale, qu’est-ce que vous attendez de celui ou celle qui se met devant vous à ce moment précis qu’on appelle le temps de l’homélie, du sermon ou de la prédication ?

Un enseignement sur le texte biblique ? Des informations nécessaires qui vous permettraient de le comprendre théologiquement ? Cinq minutes d’homélie, dix minutes de sermon, quinze minutes de prédication, même plus de trente minutes de témoignage évangélique ne seront pas suffisants. En plus, quelques bons commentaires et ouvrages théologiques vous apprendront beaucoup plus et mieux qu’un pauvre pasteur comme moi.

Attendez-vous un moment de rafraîchissement, d’enrichissement ou d’encouragement ? Vous vous êtes peut-être dit : « Tiens, c’est Hyonou ce matin. Qu’est-ce qu’il va nous raconter aujourd’hui ? Une anecdote de sa femme peut-être ? » Il est vrai qu’il fait du bien parfois d’entendre des histoires qui nous touchent, nous émeuvent, nous bousculent, nous réconfortent, mais nous savons que des histoires drôles ou émouvantes, en plus édifiantes, on en trouve aussi partout ailleurs. Personnellement, j’ai l’impression d’avoir beaucoup plus entendu et retenu des phrases vraiment poétiques et percutantes dans les romans de mes écrivains préférés ou dans des feuilletons coréens que dans des homélies.

Alors, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Qu’est-ce que nous voulons faire à ce moment précis qu’on appelle le temps de l’homélie ?

Peut-être espérez-vous entendre – comme moi quand je me retrouve sur les bancs d’une église – des affirmations et des interrogations, puisées et mises en lumière à partir d’un texte biblique, apportant un éclairage sur notre vie, notre existence ? Voulons-nous saisir la question que Jésus pose à cet aveugle-mendiant de Jéricho pour nous-mêmes : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » et trouver une réponse à cette question ? Autrement dit, voulons-nous savoir ce que c’est le salut pour moi, pour nous ? Voulons-nous oser nous demander encore une fois : Qu’est-ce qui me manque pour être pleinement moi-même devant Dieu ?

En parallèle à cette question du salut, il y a aussi une deuxième question qui surgit chaque fois que nous lisons les Écritures dans la prière et avec sincérité devant Dieu. C’est la question : « Que devons-nous faire ? » Tout comme les foules, des collecteurs d’impôts, et des militaires qui affluaient vers Jean le Baptiste en quête d’une vie en vérité, nous demandons : « Que nous faut-il donc faire ? » (Lc 3,10-14). Tout comme ces trois mille personnes qui ont eu le cœur bouleversé d’entendre le discours de Pierre au jour de Pentecôte, nous nous disons : « Que ferons-nous, mon frère ? Que ferons-nous, ma sœur ? » (Ac 2,37).

L’ennui, c’est qu’il n’y a pas parmi nous Jean le Baptiste, ni Pierre, ni Jésus – même si nous croyons que le Christ est mystérieusement présent[*]. En tout cas, je ne me prends pas pour l’un d’eux. Je me sens plutôt comme un de ces disciples qui ont entendu une parole de Jésus on ne peut plus explicite mais qui n’ont rien compris. Jésus annonce le sort qui l’attend à Jérusalem à l’instar du serviteur souffrant dont le prophète Esaïe avait parlé, et l’espérance de la résurrection. Mais ses disciples restent comme aveugles devant un tableau, comme sourds devant un discours, comme indifférents devant une vérité qui éclate. Dans la description de l’évangéliste Luc, ils restent même muets ; il sont incapables de rétorquer à Jésus en disant : « Mais qu’est-ce que tu veux dire ? Je ne comprends pas ! ». Aucun échange, aucune réaction qui suscite un quelconque partage. Ils ne comprennent rien ; ils n’ont donc pas à changer quoi que ce soit.

C’est aussi le danger de toute parole que nous connaissons bien ou, plus exactement, de la parole que nous croyons bien connaître. Je dis danger, mais en réalité c’est sans doute le destin inévitable de toute parole qui vaut vraiment la peine d’être entendue et comprise, c’est-à-dire la vérité de notre vie, la vérité sur notre vie. « Trahison », « moqueries », « outrages », « crachats », « flagellation », « mort » et « résurrection », tout cela, les disciples savent ce que c’est ou ils croient savoir ce que c’est, mais le sens véritable de toutes ces réalités en la personne de Jésus le Christ, ils ne le comprendront qu’à la lumière de Pâques. « Maladie », « isolement », « distance », « injustice », « pauvreté », « violence », « haine », « indifférence », « mort » et « résurrection », tout cela, nous savons ce que c’est ou nous croyons savoir ce que c’est, mais le pourquoi de toutes ces réalités, nous ne le comprendrons qu’à la lumière de Pâques, à la lumière du Royaume à venir.

Mais en attendant, voulons-nous être comme ces disciples interloqués ? Aveugles, sourds et muets ? L’aveugle-mendiant de Jéricho nous montre une autre voie. Contrairement aux disciples, il sait, il reconnaît qu’il est aveugle, et il veut en être guéri. Il n’est pas sourd car il entend les gens le rabrouer, et en réaction, il crie de plus belle. Mais surtout, il n’est pas muet. Il appelle le Christ, et il entre en relation avec lui en répondant à sa parole. La foi n’est pas quelque chose qu’on possède. La foi, la vraie, est quelque chose qu’on partage. La foi de l’aveugle-mendiant, qui est devenue aussi celle du Christ, l’a sauvé. Et cet événement de la foi n’est pas sans conséquence. Comme disait Dieu par le prophète Esaïe, « ma parole, du moment qu’elle sort de ma bouche, elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît et fait aboutir ce pour quoi je l’avais envoyée » (Es 55,11). La pauvre parole humaine transformée en la Parole de Dieu comme un événement, transforme la foule autour du Christ en un peuple de louange.

Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Nous n’avons que notre pauvre parole humaine pour appeler, crier, prier. Mais Dieu vient à notre secours. C’est notre foi. Et par cette foi, Dieu nous donne d’être un peuple de louange déjà dans ce monde. C’est notre vocation. Un jour, nous verrons à la lumière de Dieu le sens de tout ce qui nous est arrivé et arrive, mêmes des anecdotes les plus futiles et insignifiantes que je n’oserais même pas vous raconter pour capter votre attention au début d’une homélie. C’est notre espérance.

 

[*] Une petite discussion avec sr. Dana après l’eucharistie me permet d’apporter cette précision.

 

Homélie par le pasteur Pierre-Yves Brandt pour la fête de Noël, le 24 décembre 2020

Homélie par le pasteur Pierre-Yves Brandt pour la fête de Noël, le 24 décembre 2020

Lectures : Baruch 4, 30+36–5, 9 Mi 5, 1-4a Es 11, 1-10 Es 9, 1-6,
Tt 2, 11-14 + 3, 4-5a Lc 2, 1-20, fin : Jn 1, 1-18

 

« Un rameau sortira de la souche de Jessé ;
un rejeton jaillira de ses racines.
 »
(Es 11,1)

Chères sœurs, chers frères,

Avez-vous déjà pris le temps de regarder des arbres ou des arbustes en cherchant à reconstituer l’histoire de leur croissance à partir de leurs racines ? Quelles sont les parties les plus anciennes, quelles sont les plus récentes ? Prenez un rosier, par exemple, un vieux rosier. Son pied a peut-être l’air de n’être plus que du bois mort dont sortent quelques tiges qui, elles aussi, ont l’apparence de vieux bois. Et, voilà qu’aux milieu de ces tiges jaillit une tige bien verte et vigoureuse.

Ou alors, vous avez pu observer la souche d’un arbre qu’on a coupé. Il était imposant, mais il est maintenant couché à terre. Mais voici que, de la souche, un rameau sort, tout nouveau.

Ce sont les images que le prophète Esaïe utilise pour annoncer la bonne nouvelle de l’intervention de Dieu en faveur de son peuple. Cela fait très longtemps que Dieu est apparu à Abraham pour lui promettre une descendance nombreuse. Au moment où le prophète Esaïe annonce qu’un rameau sortira de la souche de Jessé, de nombreux siècles ont passé. La descendance d’Abraham a pris le nom de peuple d’Israël, nom reçu de la part de Dieu par Jacob, le petit-fils Abraham. Le peuple s’est transformé en royaume et après Saül, le premier roi, son successeur David, fils de Jessé, a fondé une dynastie prospère. Mais au temps de la prophétie d’Esaïe, le royaume est séparé en deux. Il a perdu de sa gloire, sous les coups répétés de ses puissants voisins. Le peuple d’Israël est devenu un vieux peuple, abattu comme l’arbre par la tempête.

Or, voici que le prophète annonce un nouveau départ : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné » (Es 9,5). De la descendance de David, un « Prince de paix » va naître, qui mettra fin aux rapports de domination violente. Il ne viendra pas pour répéter les conflits sans fin et jouer au jeu du plus fort. Il va instaurer une autre manière de vivre ensemble, fondée sur la connaissance du Seigneur (Es 11,9). Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur Dieu.

Cette prophétie, les premiers chrétiens ont vu son accomplissement dans la naissance de Jésus à Bethléem. Lui, le descendant de David (Mt 1,6 ; Lc 3,31-32), en qui s’est manifestée la « grâce de Dieu, source de salut pour tous les êtres humains » (Tt 2,11) écrit l’apôtre Paul à Tite. Jésus « s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne, qui soit plein d’ardeur pour les belles œuvres » (Tt 2,14).

En voyant ce qu’était devenu le vieux peuple d’Israël au temps de Jésus, on pouvait se demander : que peut-il encore sortir de bon de ce vieux peuple ? A l’image de Zacharie et Elisabeth, qui étaient avancés en âge et sans enfants, et dont on pouvait penser qu’ils n’avaient plus à attendre grand-chose de la vie. C’est à eux, pourtant que l’ange annonce la naissance de Jean, le Baptiste, et c’est le signe qu’il donne quelques mois plus tard à Marie lorsqu’il lui annonce qu’elle sera enceinte et enfantera un fils à qui elle donnera le nom de Jésus (Lc 1,31). L’ange lui dit alors : « Et voici qu’Elisabeth, ta parente, est elle aussi enceinte d’un fils dans sa vieillesse et elle en est à son sixième mois, elle qu’on appelait la stérile, car rien n’est impossible à Dieu. » (lc 1,36-37). C’est à la suite de cette déclaration que Marie répondit : « je suis la servante du Seigneur, Que tout se passe comme tu l’as dit ! » (Lc 1,38). Du vieux tronc peut jaillir un rameau. Marie comprend que, comme le lui dit l’ange, du vieux peuple d’Israël peut naître le fils du Très-Haut dont lui a parlé l’ange, celui dont le règne n’aura pas de fin. Elle acquiesce tout simplement.

Regardons notre monde. Regardons nos vies. Il y en a parmi nous qui sont plus jeunes, comme Marie, d’autres plus âgés comme Zacharie et Elisabeth. Mais tous nous portons une part de nous-mêmes qui a vieilli, qui porte les traces d’une histoire, marquée aussi par des iniquités. Peut-il encore sortir quelque chose de bon de notre civilisation vieillissante, de l’environnement qui nous entoure et que nous épuisons à force de le sur-solliciter ? Il y a peut-être quelque chose de vieux en nous, que nous percevons comme poids mort.

La bonne nouvelle annoncée par Esaïe n’est pas le remplacement du vieux peuple par un autre peuple, mais que le salut de Dieu jaillit du vieux bois. La bonne nouvelle accueillie par Marie, c’est que Celui qui vient apporter la paix, Jésus, accomplit l’attente de ce vieux peuple.

La Bonne nouvelle de Noël, c’est que Dieu n’abandonne pas son peuple, qu’il n’abandonne pas les siens. David avait chanté « Le Seigneur est mon berger, rien de saurait me manquer » (Ps 23). Le peuple d’Israël a fait l’expérience que Dieu prend soin des siens comme un berger de son troupeau. Qui pouvait mieux le comprendre que des bergers ? C’est à des bergers que l’ange annonce en premier la naissance de Jésus : Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple. Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; et voici le signe qui vous est donné ; vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » (Lc 2,10-12).

Les bergers, qui veillent au milieu de la nuit de notre monde, sont disponibles pour accueillir la bonne nouvelle et la transmettre plus loin. Avec les bergers, regardons notre vieux monde et ses soubresauts ; regardons l’histoire de nos Eglises et leurs tâtonnements ; regardons nos histoires personnelles et leurs lourdeurs. Nous avons des racines et elles puisent plus ou moins profond dans le sol. Mais la souche et les racines ne sont pas le tout de la plante. Lorsque les racines puisent leur nourriture dans le sol, un rameau peut jaillir. Lorsque Zacharie et Elisabeth, Marie, les bergers, accueillent la bonne nouvelle de Dieu, le salut entre dans le monde et dans leurs vies personnelles.

Soyons sans craintes. Nous portons quelque chose de vieux en nous, parce que nous avons une histoire, que nous venons de loin. Nous pouvons avons la sensation parfois que cela nous tire en bas. Mais c’est que cela a du poids. Enraciné dans le sol, ce poids du pied de la plante lui donne sa stabilité. La sève qui parcourt la plante des racines jusqu’aux extrémités des branches lui donne son élan et la purifie. Elle fournit la nourriture nécessaire pour faire jaillir des rameaux d’espérance.

A Noël, nous pouvons laisser descendre les lourdeurs que nous portions. Elles appartiennent au passé, au vieux monde ; elles ont leur place dans le fondement sur lequel nous nous appuyons. Traversées par la bonne nouvelle de la naissance de Jésus dans notre monde et dans nos vies aussi, elles sont purifiées. L’apôtre Paul l’écrit à Tite : « Dieu nous a sauvé non en vertu d’œuvres que nous aurions accomplies nous-mêmes dans la justice, mais en vertu de sa miséricorde, par le bain de la nouvelle naissance » – c’est-à-dire le baptême – « et de la rénovation que produit l’Esprit Saint » (Tt 3,5).

Dé-préoccupés de ce qui nous alourdissait, nous pouvons, avec les bergers, nous pencher sur l’enfant de Noël, emmailloté dans la mangeoire, et louer Dieu qui, sans bruit, fait jaillir dans nos vies et dans notre vieux monde, la vie nouvelle dont tous bénéficieront un jour.

Homélie par le pasteur John Ebbutt pour le 4ème Avent, l’Annonciation, le 20 décembre 2020

Homélie par le pasteur John Ebbutt pour le 4ème Avent, l’Annonciation, le 20 décembre 2020

Lecture : Luc 1, 26-38

 

« Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi »

Voici la salutation qui résonne dans la maison de Marie. Une parole qui s’invite sous son toit comme une promesse offerte, une reconnaissance donnée mais aussi une part de mystère partagé.

Salutation la plus célèbre de la Bible, la plus fascinante aussi. 

« Ave Maria gratia plena » : Salutation en latin, parmi la plus recopiée, la plus illustrée, peinte, représentée.

L’ange Gabriel et Marie qui sont l’un en face de l’autre. Marie souvent à genoux, une main sur le cœur, l’ange les ailes déployées, une fleur de lys entre les deux, symbole de pureté. Et tout ce qui respire à la fois la majesté et l’humilité : « Je suis la servante du Seigneur » dit-elle face à son Envoyé.

Une salutation qui a nourri pendant des siècles les débats de théologiens.

Parce qu’on peut la traduire de tant de manière différentes. Elle n’a l’air de rien – comme lorsque l’on se salue entre voisins, quoique ce n’est pas spontanément ce que je dirais – je ne suis pas un ange, vous le savez bien !

On pourrait l’écouter aussi de cette manière : « Réjouis-toi Marie, le Seigneur t’a accordé une grâce particulière, il est avec toi » ou encore « Salut, toi que le Seigneur favorise et accompagne » ou bien encore, « je te salue, comblée de grâce ! » Marie avait-elle déjà ces qualités en elle ou devait-elle les faire grandir à cause d’une grâce ? Les deux certainement !

Ce qui compte c’est que dans ces quelques mots, il y a tout l’Evangile qui est nouveauté et reconnaissance.

Car entre l’ange et Marie, l’Envoyé et la jeune fille, le messager et la destinataire c’est bien la rencontre des opposés. Tout les sépares mais tout les rapproches aussi. Et c’est cela que l’on a trouvé extraordinaire depuis la nuit des temps. Ces quelques mots qui ont tout bouleversé. Voici l’irruption d’un ange, et une jeune fille tout juste fiancée.

« Kairé ! » dit l’ange en grec : réjouis-toi, sois joyeuse, une parole comme une belle entrée en matière !

Ca donne tout de suite le ton de son message. Une salutation non pas habitée par le sérieux, le formel, la soumission ou la crainte, mais la joie de la proximité, la joie d’une bonne nouvelle à entendre et à écouter sur le seuil de la vie qui s’engouffre d’un coup en elle.

Et puis l’ange ajoute : « tu es, littéralement, la favorisée, la bien-aimée », comme un nouveau nom qu’il lui donne à la place du sien. Marie, c’est celle qui se découvre appelée, choisie et aimée. Une belle mise en confiance ! Une belle salutation pour la rejoindre là où elle est ! Comme au baptême, à chacun de nos baptêmes : tu es mon fils, ma fille bien-aimée. KAIRE ! Réjouis-toi. Le temps de l’Avent, c’est un temps pour faire grandir la joie. Voilà un ciel qui se déchire, une parole qui rejoint, un souffle de fraicheur qui éveille également en elle, nous dit-on, un trouble intérieur.

« Elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation », qui ne l’a pas laissée indifférente!

Déconcertée, surprise, étonnée elle l’est, mais non pas habitée par le doute comme Zacharie mais plutôt par une interrogation, une quête de sens qui la parcourt, un désir de comprendre, et d’apprendre, de faire sienne une promesse qui trouble une quiétude, ce beau mot qui est une question. Qui es-tu de ? Etudier qui l’on est. Qui suis-je ? Il a porté son regard sur son humble servante, dira-t-elle dans sa louange toute magnifiée de cette découverte.

Oui, elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation pour elle, pour son être, pour sa vie.

Je suis reconnaissant pour ces petits détails que l’Evangéliste Luc nous a laissés dans cette annonciation qu’on pourrait voir de manière un peu figée, académique ou stéréotypée. L’ange, la jeune fille, tout semble aller de soi, et pourtant, derrière les représentations et les affirmations dogmatiques, moi je vois d’abord un ange qui ne s’adresse pas à une personne religieusement qualifiée, mais à une jeune fille qui est à l’aube de sa vie, qui est à l’heure des choix, des enthousiasmes, des incertitudes aussi.

Il n’y a pas de voix céleste, de halo de lumière, de chants au firmament : c’est une rencontre dans une modeste maison de Palestine. C’est dans son intérieur, avec un ange qui ne portait certainement pas des ailes, que quelque chose d’essentiel s’échange.

Et si ça se passe ainsi, c’est certainement pour nous dire que dans nos vies, entre deux tâches, dans le banal d’une journée à s’affairer entre l’évier et la foyer à entretenir, il peut y avoir la grâce d’un rendez-vous, d’un face à face, d’un dévoilement, d’une parole qui tout à coup fait le jour sans trompettes ni tambour, mais avec simplicité, clarté et franchise…

Marie devient par cette salutation, celle qui écoute. Oui, au fil de la rencontre, elle choisit d’écouter non ses résistances personnelles, une promesse absurde, incompréhensible, mais une demande particulière, pour petit à petit, faire une place au projet de Dieu en elle. Ce qui fait l’écoute de Marie, ce n’est pas sa grandeur d’âme, sa sainteté, mais c’est sa capacité à faire de l’espace. Elle laisse venir, elle se laisser habiter sans refus ni méfiance. Elle a cette ouverture de cœur qui la rend si sensible et attachante.

Ainsi, comme la graine tombe en terre, comme Dieu prend corps, la parole a le pouvoir de faire jaillir du neuf et du fertile.

C’est quand Marie écoute, qu’elle devient alors habitée par l’Esprit. Le temps de l’Avent, c’est celui d’une venue qui s’immisce, s’infiltre, se glisse au plus profond de nous.

L’Avent, c’est le temps des salutations. L’ange Gabriel est entré dans l’ordinaire des jours en suscitant un trouble qui s’est transformé en paix. Un Ainsi soit- il. Une acceptation, mais bien plus… et j’ai cherché le mot… mais peut-être que vous en aurez un meilleur, un acquiescement.

De même nous pouvons tendre l’oreille à cette salutation qui résonne de manière bienveillante, joyeuse, amicale, fraiche : Réjouis-toi ! 

Il n’est pas dit que les lassitudes et les fatigues doivent toujours avoir le dernier mot.

Comme la promesse d’un bourgeon dans l’hiver de nos vies, malgré le gel et la nuit qui semblent ne jamais vouloir finir, la semence grandit au secret de la foi qui acquiesce, qui dit oui

Que ce oui soit votre quiétude

Amen

Homélie par le pasteur Joël Pinto pour le 3ème Avent, le 13 décembre 2020

Homélie par le pasteur Joël Pinto pour le 3ème Avent, le 13 décembre 2020

Lectures : Philippiens 4, 4 – 9 (Es 61, 1-2a et 10-11 ; Jean 4, 4-7)
Dimanche Gaudete

En ce troisième dimanche de l’Avent, nous sommes invités à nous laisser envahir par la joie. Tout d’abord, c’est le messager d’Esaïe chap. 61 qui nous dit, devant une ville de Jérusalem ruinée par la guerre et par l’exil de ses élites, que le Seigneur lui a confié un joyeux message adressé à celles et ceux qui ont le cœur brisé, qu’il en est lui-même enthousiasmé et que son âme exulte à cause de la promesse que Dieu lui a faite. Ensuite, c’est l’apôtre Paul, dans sa lettre aux Philippiens, alors qu’il est lui-même enchaîné : Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps. Je le répète, réjouissez-vous !

En effet, il est important de nous réjouir car la joie est une émotion qui augmente le bien-être qui engendre lui-même encore plus de joie… Mais il ne faudra pas confondre la joie avec la gaité et la bonne humeur car, comme il est dit dans le livre des Proverbes chap.4, 13 « Même dans le rire le cœur s’attriste et la joie finit en chagrin ». La joie dont il est question dans les encouragements bibliques entendus tout à l’heure, n’est pas la joie des fêtards, ni le rire du naïf, mais plutôt, une paix intérieure née d’un profond sentiment de sécurité, la certitude que, quoi qu’il arrive, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, ainsi que l’espérance d’un monde nouveau. Mais comment se réjouir en ces temps moroses troublés par la pandémie et la perspective d’une crise économique d’une grande ampleur ?

Disons d’emblée que la joie dont nous parle le livre d’Esaïe et la lettre aux Philippiens s’inscrit dans un contexte troublé qui n’avait, d’ailleurs, rien d’exceptionnel. Voilà une réalité que nous oublions trop souvent aujourd’hui. Dans notre société de consommation, nous avons l’impression que toutes choses nous sont dues et qu’il est normal de pouvoir bénéficier de la nourriture, d’un logement, de la sécurité matérielle, de liberté… Mais ceux qui, parmi nous, ont connu des périodes de restriction savent bien que tout cela reste précaire. Rien n’est « normal » et, d’ailleurs, nous en faisons l’expérience quand quelque chose de précieux nous est enlevé. Souvent ce n’est qu’à ce moment-là que nous prenons conscience de ce que nous avions et à quel point cela était important pour notre vie. Aussi bien les réalités matérielles, que notre intelligence, notre santé, nos relations affectives, tout est fragile, tout peut disparaitre. Quelqu’un demanda une fois à un sage juif pourquoi il se réjouissait chaque matin, alors que le monde était toujours si menaçant. A quoi il répondit : c’est parce que ça pourrait être pire !

Bien sûr, notre vie n’est pas toujours rose et il peut y avoir des obstacles à la joie. Si un événement grave ou tragique survient dans notre vie, il ne faut pas le minimiser, ou le dénier. Il faudra plutôt l’affronter en se laissant peu à peu apaiser par cette joie profonde qui nous est donnée quand nous découvrons que Dieu est aussi présent au cœur de nos détresses. Alors, nous pourrons faire l’expérience que là encore il veut nous donner la force, l’énergie, le courage, bref ce dont nous avons besoin pour traverser l’épreuve.

La véritable joie, nous aide à prendre conscience de la précarité de nos vies et nous invite à la foi et à la confiance envers ce Dieu qui veut notre bonheur. Cela nous rend lucides vis-à-vis de nous-mêmes et nous entraîne, enfin, à la solidarité envers celles et ceux qui en sont dépourvus, qui sont dépossédés des biens de ce monde ou qui sont terrassés par la maladie. Nous réjouir, tout en prenant conscience de notre précarité, est une attitude spirituelle qui n’est pas évidente et c’est bien pour cela que nous sommes appelés à la développer.

Les trois textes bibliques que nous avons entendus nous placent, de ce fait, au cœur de cette attitude spirituelle qui nous permet de vivre notre vie de créatures qui se réjouissent d’attendre tout de Dieu. Dans le texte de Paul, il est question non seulement de se réjouir mais aussi de ne pas être inquiets, de demander et de rendre grâces ! Jésus avait dit à ses disciples : « Demandez et vous recevrez » et Paul, en écho au sermon sur la Montagne, exhorte : « Ne soyez inquiets de rien, mais en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnées d’actions de grâces, faites connaître vos demandes à Dieu ».

Il y a donc tout au long de la Bible ce lien entre la joie profonde, qui naît de la certitude que Dieu entend nos prières, et l’action de grâces pour ce qu’Il a déjà accompli ou va bientôt accomplir. La joie du croyant est aussi une joie anticipatrice ! Voilà pourquoi Paul nous exhorte non seulement à la joie, mais aussi à la sérénité, à la prière de demande et à l’action de grâces.

Bien sûr que nous ne savons pas toujours nous rendre disponibles pour la joie. Nous ne savons pas toujours formuler nos demandes, car nous ne savons pas toujours ce qu’il nous faut demander. Et dans un monde qui se suffit à lui-même, nous jugeons enfantin de dire merci à un Dieu qui veille sur nous… ce qui nous bloque encore plus ! Cependant, si nous sommes tentés par ce repli sur nous-mêmes, l’exhortation biblique de ce matin nous aide à découvrir une nouvelle dimension dans notre vie spirituelle et à entrer dans l’émerveillement.

On le voit bien déjà dans nos rapports humains :

  • Les sceptiques, qui ne se réjouissent jamais parce qu’ils voient toujours le verre à moitié vide
  • Ceux qui ne demandent jamais rien, soit parce qu’ils n’osent pas soit parce qu’ils ne veulent dépendre de personne
  • Ceux qui n’éprouvent pas de gratitude, parce qu’ils sont trop orgueilleux et se ferment à toute relation.

Dans ce cas, au lieu de ressasser toutes les blessures, comme nous le faisons souvent, il est bon de faire mémoire de toutes les bonnes choses qui ont marquées nos vies, ces actes gratuits, ces bontés, ces générosités, et murmurer alors notre reconnaissance !

Cela est encore plus nécessaire dans la vie spirituelle. En développant une relation avec Dieu par la prière et l’action de grâces, nous verrons naître la joie véritable dans nos vies. Nous comprendrons alors que la joie, liée à cette capacité de demander et de recevoir, soit au cœur de l’Evangile. Demander, c’est nous situer dans notre vérité devant Dieu, c’est renoncer à nous construire nous-mêmes pour laisser Dieu nous modeler ou reconstruire, c’est nous situer à notre juste place de créature, avec nos limites, nos imperfections, nos difficultés, devant notre Créateur qui nous veut du bien. Demander, c’est reconnaître en Dieu celui qui donne non seulement ceci ou cela, mais qui nous donne tout ce que nous sommes. Nous pourrons alors recevoir de la main de Dieu et donner aussi, un peu, aux autres…dans ce vaste échange de la vie où chacun peut recevoir et donner. Entrer ainsi dans la demande et l’action de grâces, c’est découvrir la dimension de totale gratuité des échanges et vivre alors dans l’émerveillement !