


Homélie pour le 1er Avent par la pasteure Diane Friedli, le 2 décembre 2023
Lectures bibliques : Esaïe 63,16b-64,7, Romains 13, 11-14 et Marc 13,33-37
Il fait nuit.
Quand la nuit est là, elle recouvre tout. Rien ne lui échappe.
Elle envahit l’entier de la réalité. Le moindre recoin est sous son emprise.
Dans la nuit, nos perceptions sont faussées. Le monde qui nous entoure ne ressemble en rien à ce que l’on connaît de jour.
Ce que nous franchissons de jour sans même y réfléchir devient un obstacle. Un seuil, quelques marches, un cadre de porte se transforment en autant de dangers.
Dans la nuit, ce que perçoivent nos oreilles ne ressemblent en rien à ce qui leur parviennent de jour. Un craquement, le cri d’un animal, un silence…
Quand on ne voit pas, on imagine. Et notre imagination tend à nourrir nos craintes.
La nuit, c’est un refuge aussi. Une occasion de garder secret ce qu’on ne souhaite pas exposer au grand jour. La nuit cache. La nuit masque. La nuit engloutit ce qui n’est pas reluisant.
Veillez !
Ne vous laissez pas aller à l’obscurité, à la noirceur.
Ne nous laissons pas gagner par l’engourdissement.
Cette somnolance qui s’insinue et anesthésie toute résistance aux ténèbres.
Vous savez en quel temps nous sommes.
Vous savez que maintenant, c’est le kairos. Le moment décisif.
Il est temps de sortir du sommeil, de s’éveiller, exhorte l’apôtre Paul en choisissant précisément ses mots. S’éveiller, en grec c’est aussi ressusciter.
Paul tout comme Marc désigne le sommeil comme une forme d’engourdissement, d’aveuglement spirituel dans lequel, il nous faut bien le reconnaître, on aime parfois se complaire.
Dans l’indolence du sommeil, on ne s’expose pas. On ne se risque pas. On se cache.
Mais on ne peut plus vivre dans la nuit. Car depuis le Christ, le jour est là.
Il est juste là, on le voit déjà poindre.
Et quand le jour arrive, on ne peut plus retourner se réfugier dans la nuit.
C’est comme si le Christ cherchait à nous sortir du lit. On a beau faire de la résistance, dire qu’on aimerait dormir encore un moment, on peut mettre quelques instants la tête sur la couette en essayant de retrouver le confort du sommeil, mais on ne peut plus. Le moment du réveil a eu lieu.
Et il ne nous reste qu’une seule chose à faire : nous lever et entrer dans cette journée qui est là et qui ne demande qu’à être vécue.
Que nous le voulions ou non, le jour vient. Indépendament de nous.
Aucun de nos efforts ne permettrait de le faire advenir ou de le retenir. Il vient.
Le jour que fait advenir le Christ est là. Déjà là. Mais nous n’y vivons pas encore totalement. Déja… et pas encore.
Nous nous tenons au seuil, à l’aube. Dans ce moment, le kairos. En tension constante entre les ténèbres et la lumière. Entre le déjà et le pas encore.
Comment, dans cette tension, pourrions-nous nous trouver dans un autre état que celui de la veille ?
Veillez donc !
La théologienne Marion Muller-Collard désigne cet état spirituel par le terme d’intranquillité.
La venue du Christ nous tient dans cette intranquillité qui rend impossible l’engourdissement.
Ce matin, nous nous éveillons et le jour qui s’ouvre devant nous est le premier du temps de l’Avent.
Le temps de l’attente intense, nourrie de la promesse de la venue du Messie dans la nuit du monde.
Ah si tu déchirais les cieux ! Criait Esaïe.
Ah si ta venue, Seigneur, éclaboussait les ténèbres, et recouvrait de lumière tout ce qui dans ce monde nous fait mal !
Ah si chacun pouvait se montrer sous son vrai jour ! Plus de recoins obscurs, plus de mesquineries, plus de cachoteries.
Si ta lumière, ô Christ, venait tout révéler. Alors il ferait bon vivre en hommes et femmes.
Cette attente ne nous projette pas dans l’avenir, un hypothétique et inaccessible futur, cette attente nous ancre dans le présent.
Revêtons les armes de la lumière !
Nous voici debout, éveillés, ressuscités et invités à abandonner à la nuit les attributs du sommeil. Laisser derrière soi les forces mortifères, pour venir habiter le jour de toute notre énergie.
Revêtir. Tel un vêtement dont on habille son corps.
Nous sommes ce que nous portons. Et lorsque nous revêtons nos vêtements, nous devenons l’avocate, le chirurgien, la sœur, le mécanicien, la pasteure…
En enfilant le costume, on incarne l’être.
Paul fait ici allusion au vêtement blanc que porte le baptisé. En revêtant cette étoffe blanche, le baptisé renonce aux ténèbres de sa vie passée et revêt l’identité du croyant. Il s’habille de la foi en Jésus-Christ qui désormais fait totalement partie de qui il est.
Porter ce vêtement, ce n’est pas le fait seulement du jour de la célébration du baptême mais bien de tous les jours.
Les baptisés sont exhortés à revêtir chaque jour cette identité. A porter chaque jour le vêtement de lumière.
Revêtir le vêtement mais aussi les armes.
Les armes de la lumière. Des armes peuvent-elles êtres de la lumière ?
On pense ici au passage de l’épître aux Ephésiens qui nous dresse le portrait du croyant équipé comme un soldat des armes que Dieu donne : la vérité pour ceinturon, la justice pour cuirasse, et comme chaussures aux pieds, l’élan pour annoncer l’Evangile de la paix. N’oubliez pas le bouclier de la foi, le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu.
Contre les forces de la nuit, il y a un combat à mener.
On se sent parfois désarmés face aux défis du monde, à la violence qui y règne, à l’égoïsme, à la soif de puissance.
Quand le monde qui nous entoure semble entièrement mu par ces forces de nuit et que même nous, les croyants, nous avons ces moments de doute où nous ne parvenons pas à voir le moindre rai de lumière.
Comment la lumière pourra-t-elle vaincre ? Il y a tant de combats, tant de fronts sur lesquels s’engager en même temps ?
Le combat de la lumière, le Christ compte sur nous pour le mener avec lui.
Mais il ne dépend pas de nous que fassions advenir le jour.
Il est déjà là. Le combat a déjà été gagné. Seulement nous seuls nous le savons. Et ce n’est pas le moment de nous endormir.
Veillez donc !
Dans cette intranquillité qui tient en éveil.
Toujours au point de rupture entre le déjà et le pas encore.
Entre le jour qui est là, tout proche et cette nuit qui ne nous lâche pas.
Aujourd’hui le salut est plus près de nous qu’au moment où nous avons cru.
L’histoire du salut n’est pas un éternel recommencement.
On avance.
L’entrée dans ce temps de l’Avent pourrait être pour nous l’occasion d’en distinguer les signes. A quel moment, dans quelle rencontre, dans quelle parole ou acte puis-je repérer l’avancée du jour ?
Comme une petite porte ouverte jour après jour jusqu’à Noël, puis-je distinguer dans chaque journée des signes de la lumière ?
Veiller, c’est ne pas se laisser assoupir. C’est aussi porter attention. Veiller à. Et prendre soin.
Veillez donc ! Soyons attentifs et attentives aux dimensions lumineuses des personnes qui se présentent sur notre chemin.
Pour trois semaines encore, les jours raccourcicent. Que notre espérance ne se réduise pas elle-aussi !
En méditant les textes de ce matin, une chanson est venue me trotter dans la tête. Vous la connaissez peut-être. C’est la chanson les insomnies de Barbara.
Elle y raconte ses nuits sans sommeil, son ardent désir de se laisser aller elle-aussi au repos mais cette crainte toujours présente que la mort ne vienne la tromper si elle s’endort.
Mourir ou s’endormir, ce n’est pas du tout la même chose
Pourtant, c’est pareillement se coucher les paupières closes
Une longue nuit, où je les avais tous deux confondus
Peu s’en fallut, au matin, que je ne me réveille plus
Le sommeil et la mort ne sont parfois pas si éloignés.
Et si l’Evangile n’a rien contre le sommeil réparateur et serein – on pense à Jésus qui s’endort dans la barque – le sommeil synonyme d’engourdissement spirituel, d’habitude lasse ou de somnolance indolente est dangereux.
Si mon souvenir est bon, dans la mythologie grecque, Hypnos (le sommeil) est le frère jumeau de Thanatos (la mort).
Veillez, pour ne pas tomber dans ce sommeil qui n’est rien d’autre que la mort spirituelle.
Barbara termine ainsi sa chanson :
À voir tant de gens qui dorment et s’endorment à la nuit
J’aurais fini, c’est fatal, par pouvoir m’endormir aussi
Mais si s’endormir c’est mourir, ah laissez-moi mes insomnies
J’aime mieux vivre en enfer que dormir en paradis
Les insomnies de Barbara l’obligent à la veille, à l’intranquillité.
Elles la forcent à rester dans cet état de veillance dans lequel nous aussi nous entrons sans jamais nous y installer.
Le monde dans lequel nous vivons est certes souvent celui des ténèbres, mais nous vivons de la lumière.
Que ce temps de l’Avent soit celui de la veille et des armes de la lumière du Christ !
Amen

Homélie pour la Fête du Christ Roi par le pasteur Félix Moser, le 26 novembre 2023
Ezéchiel 34, 11-17
Apoc 1,4-8
Jean 18, 33-38 a
Nous célébrons aujourd’hui le Christ Roi.
Quel sens donner à cette fête dans le monde tel que nous le vivons aujourd’hui ?
Assurément, Celui que nous fêtons aujourd’hui n’a pas grands rapports avec les rois d’Angleterre où de Suède, Nous sommes loin des sourires un peu figés et du fastes, que l’on présente dans les magazines.
Je me suis demandé, par contre, pourquoi, en ce dernier dimanche de l’année liturgique, le lectionnaire proposait un texte issu du procès de Jésus, procès qui est inséré dans les récits d’arrestation et de sa passion donc plutôt un texte pour la période de Vendredi saint et de Pâques. Ce choix liturgique me semble pourtant heureux. Il est d’autant plus pertinent si on lit cette scène dans l’Évangile selon Saint Jean.
La lecture de ce dimanche permet en effet de découvrir deux aspects centraux de la royauté de Jésus Christ sa souveraineté et son incarnation.
Souveraineté et incarnation ouvre sur le royaume de Dieu offert à tous les êtres humains.
Arrêtons-nous d’abord au premier aspect : la souveraineté du Christ. Dans l’Évangile de Jean la souveraineté du Christ domine de bout en bout tout le récit
« Ma vie on ne me la prend pas je la donne j’ai le pouvoir de m’en dessaisir et j’ai le pouvoir de la reprendre.» Ce verset tiré de la grande scène du bon berger (et qui renvoie à la lecture d’Ézéchiel entendue tout à l’heure peut se livre comme un résumé de la souveraineté de Jésus Christ
Dans l’Évangile selon Saint-Jean il est présenté comme celui qui agit en donnant des signes de la gloire et de la fidélité de Dieu. Il est aussi souverain au plan de la connaissance. L’Évangéliste Jean nous présente Jésus accomplissant pleinement et librement sa mission d’Envoyé de Dieu Mais voyons comment se manifeste cette force du Christ dans le récit de ce dimanche.
Les personnages et le cadre sont connus. Christ est amené devant les autorités religieuses et politiques.
Les juifs dont il est question dans ce passage biblique doivent être compris uniquement comme étant les dirigeants du peuple juif du premier siècle. Et vous avez eu raison de donner en lecture l’intention profonde du texte « La nation et les grands prêtres » renvoient aux pharisiens et les sadducéens qui détenaient le pouvoir religieux. Ils avaient peur. En raison de cette crainte ils voulaient que Jésus soit jugé comme un agitateur. A cette époque en Palestine existait aussi un groupe violent : les zélotes Ils sont déçu car ils espéraient une victoire militaire. Peu en importe le coût humain et matériel, Le royaume devait être instauré, y compris par les armes, s’il le fallait. Or Le Messie tant attendu n’a pas chassé les Romains de leur terre de Jérusalem et d’ailleurs.
“Ma royauté n’est pas de ce monde. » – Christ refuse explicitement la violence liée au pouvoir terrestre. Il exprime bien un décalage face à toute tentative humaine d’obtenir un pouvoir absolu. Le Règne du Christ détruit les rêves de toute puissance humaine acquise par la force armée : « Si ma royauté était de ce monde, mes gardes auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux juifs. »
Pilate est quant à lui est un haut fonctionnaire de l’autorité politique romaine C’est un homme qui a beaucoup de pouvoir puisque, selon la juridiction romaine, il exerce aussi la fonction de juge et il a le pouvoir de condamner quelqu’un à mort.
Dans le passage que vous avez entendu ce matin, nous rejoignons les protagonistes à un moment précis du procès. Après avoir écouté les témoins la juridiction en vigueur devait donner la parole à l’accusé.
Et c’est dans cette parole de l’accusé qu’éclate encore une fois la maîtrise du Christ et sa préscience. Une brève comparaison avec l’Évangile selon Marc permet de souligner l’importance de cette connaissance divine mise en valeur dans le texte de ce dimanche. Dans l’Évangile de Marc Jésus est présenté dans toute la dimension de la passion du juste souffrant. Lors de son procès, Marc précise que Jésus ne dit rien lorsque Pilate lui demande de préciser qui il est : Je cite Marc : Pilate l’interrogeait de nouveau. Tu ne réponds rien ? Vois toutes les accusations qu’ils portent contre toi. Mais Jésus ne répondit rien de sorte que Pilate était étonné. »
Dans L’Évangile de Jean Jésus, parle, répond, renvoie des contre-questions qui finissent par déstabiliser complètement Pilate. Au final ce dernier ne sait plus qui croire ? Il ne sait même plus ce qu’il faut considérer comme la vérité. Où est la vérité ? Qui faut-il croire ? à quelle personne peut-on faire confiance ? A quel discours faut-il se fier ?
La résidence du gouverneur devient, alors le lieu de la révélation du véritable projet de Dieu et de la signification de son règne.
Jésus ne se représente pas lui-même, il ne cherche jamais sa propre gloire. Il est un messager, un ambassadeur envoyé par Dieu. Sa mission consiste à de montrer le vrai visage de Dieu. Jésus vient inaugurer la royauté victorieuse de Dieu Elle sera vie, guérison et salut pour tous les êtres humains.
Les Romains et les autorités juives de l’époque avaient une compréhension nationale et hégémonique des pouvoirs et de la royauté que ce soit celles des chefs religieux ou celle de l’empereur romain.
Le pouvoir et la souveraineté de Jésus se conjuguent alors avec l’incarnation qui va mener Jésus à la croix en offrant un salut global à tous et toutes
La violence des hommes semble triompher mais Jésus est le vrai vainqueur, Il a la force d’affronter les puissances du mal. Il sait ce qui l’attend et sur la croix mais il sait qu’il pourra y manifester sa confiance totale en remettant à Dieu le Père. Il dit sa confiance et sa paix. Au moment le plus dramatique, juste avant de mourir, il s’écrie : « Père entre tes mains je me remets mon esprit » Jésus a aussi pleinement conscience d’avoir achevé sa mission terrestre : Sur la croix il dira aussi. « Tout est accompli. »
Le texte de ce dimanche ouvre ainsi la lucarne de l’espérance grâce à ces deux mots clefs que sont l’incarnation de Jésus et la souveraineté du Christ.
Nous nous demandons souvent pourquoi tant de violence. Je pense pour ma part que la violence est un raccourci et une illusion.
Elle est un raccourci ; car on espère obtenir par la menace, qu’elle soit physique ou verbale. ce que l’on ne peut pas obtenir par ailleurs. La violence espère gagner tout et tout de suite par tous les moyens. Mais en réalité elle une illusion, car l’esprit des humains et la vraie liberté se rebifferont, tout ou tard, contre la mainmise et les pouvoirs abusifs.
Face à la violence Jésus ouvre la voie lente de l’incarnation. Cette dernière est faite d’attente, de douceur, de patience. Elle est une force fragile mais une force quand même ! Elle autorise signes d’ouverture sur le futur et sur l’universel. L’Évangile selon Jean entre ici en résonnance profonde avec l’Apocalypse de Jean de Patmos qui écrit ceci au sept Églises. Il leur envoie cette exhortation « La grâce de Jésus Christ le témoin fidèle […] le prince des rois de la terre et qui fait de nous un royaume de prêtres pour Dieu son Père vous est donnée. »
La soumission à la royauté du Christ nous permet de nous délivrer de la peur, transformée en mainmise par des programmes, par des plans, Bref par nos tentatives de vouloir tout maîtriser La royauté du Christ nous permet de nous ouvrir à notre prochain ici et maintenant.
La voie lente de l’incarnation est sans doute la plus difficile mais elle à la longue la plus prometteuse. De surcroît, à long terme, elle est en fin de compte la seule réaliste. Jésus est un exemple Il nous invite entrer avec lui dans ce cheminement et confiante qui procure la paix. Cette attitude culmine dans la prière d’intercession Je ressens cette prière souvent comme un de tout grand moment de toute célébration Elle conjugue les deux aspects de la vie du Christ roi sa souveraineté et son incarnation.
L’intercession cette force de la prière où ensemble, nous pouvons nous déprendre, pour tout remettre au Christ souverain qui nous délivre du sentiment de résignation. Bonhoeffer dans son livre Sanctorum communio va jusqu’à dire qu’il ne faudrait pas dire ma prière mon intercession ni même notre prière notre intercession mais la prière du Christ la prière du Crucifié ressuscité à laquelle nous participons.
L’intercession, ce moment où ensemble, nous pouvons nous déprendre et prendre. Nous sentir aussi porteur d’amour incarné prendre sur nous oui mais, à la mesure des forces de chacune et chacun.
Se déprendre dans la confiance, prendre dans nos existences pacifiées pour faire le bien.
Amenu

Homélie du pasteur François de Charrière pour la fête des récoltes, le 5 octobre 2023

Prédication de Deutéronome 16, 13-17
Trois fois par an, trois fêtes pour rencontrer Dieu, pour aller voir la face du SEIGNEUR.
La fête de la Pâque, ou fête des pains sans levain. Avec cette fête de la sortie d’Egypte, Israël avait conquis son existence politique. C’est la fête de la libération marquée par la puissance de l’action de Dieu: «Cheval et cavaliers à la mer, il les jeta!» chante Myriam. (Exode 15,21)
Puis vient la fête des sept semaines, 50 jours. C’est la fête de Chavouot, la pentecôte juive. Le peuple reçoit le don de la loi. Dieu parle et écrit les dix paroles de la Tora. Cela donne à Israël une identité spirituelle et intérieure. «Rien n’advient par la force ou la puissance mais par mon Esprit, dit le SEIGNEUR.» (Zacharie 4,6) Chavouot, Pentecôte centre le don de la loi sur Dieu lui-même. Et quand il est oublié, il n’y a plus de loi!
Ainsi, il est raconté que lorsque Moïse est descendu du Sinaï, la première fois avec les tables de la loi, et que le peuple, resté en-bas, fatigué par l’absence de Moïse avait construit un veau d’or. Et bien, l’écriture s’est effacée des tables, à l’instant même où le peuple adora le veau d’or, avant même que Moïse ne les brisa. Je trouve ce commentaire juif magnifique!
Là où l’auteur est renié ou méconnu, le texte lui-même s’évanouit et nulle force de la raison ne peut le retenir. La loi n’a pas d’existence en soi, elle est suspendue à son auteur au souffle de Dieu. C’est pour cela que la loi est bonne, libératrice et vivifiante, …comme Dieu! Célébrer la pentecôte juive, le don de la loi, c’est se tourner personnellement vers son auteur qui nous libère de toutes nos servitudes. La libération politique en quittant l’Egypte et la libération intérieure et spirituelle en respectant le loi. La loi libère quand on n’oublie pas qui est son auteur.
La troisième fête est la fête des Tentes. On se rappelle que dans le désert on vivait sous tentes. Et cette fête coïncide avec la fin des récoltes. Fête des Tentes ou fête des récoltes. « Sept jours durant tu feras un pèlerinage car le SEIGNEUR ton Dieu t’auras béni dans tous les produits de ton sol et dans toutes tes actions, et tu persévéreras dans l’état de joie» (Deutéronome 16,15).
Le caractère de cette fête est traditionnellement souligné dans la communauté juive par les «4 espèces» : une branche de palmier, deux branches de saule, trois branches de myrte et un beau fruit comme le cédrat, sorte de gros citron jaune. Et les tentes sont faites avec ces branchages.
Si les deux premières fêtes étaient marquées par la force politique et la profondeur spirituelle, comment qualifier cette fête? Comment la qualifier, quand la récolte a été bonne ou quand la récolte laisse présager la famine? Je la qualifie, fête de la simplicité ou fête de la fragilité. Fragilité des symboles avec de simples branchages. Fragilité de notre marche, nous sommes toujours dans le désert et pas encore arrivés. Les promesses de Dieu sont là et pas encore là. Fragilité de mon comportement. Quand la loi nous dit: «Tu ne tueras point!» nous sommes donc invités à défendre, soutenir et favoriser la vie. Aider à vivre, quel programme!! c’est une lutte difficile et permanente!!
Célébrer la fragilité alors et y voir malgré tout, la bénédiction de Dieu. « le SEIGNEUR ton Dieu t’auras béni dans tous les produits de ton sol!» Ça c’est la reconnaissance, la joie du partage avec tous : ton fils, ta fille, ton serviteur, ta servante, le lévite, l’émigré, l’orphelin et la veuve (Deut 16,14). Joie universelle des récoltes, pas de frontière ou de conditions au partage.
« le SEIGNEUR ton Dieu t’auras béni dans toutes tes actions!» Ça c’est nouveau, particuliers et original, regard en arrière: reconnaître ce que j’ai réussi à faire, reconnaître ce que j’ai réussi à vivre, à communiquer!
Vous le savez, nous ne sommes pas tendre avec nous même. Nous nous critiquons, nous nous dévalorisons, nous sommes insatisfaits. «Je suis nul!» Je m’en veux!» «J’arriverai jamais à traverser ce désert!»
Alors fais un pèlerinage intérieur et cherche dans tes actions la bénédiction de Dieu. Sois fier de ce que tu as réussi à faire et à offrir. Fête des Tentes: fête de la simplicité de ce que j’ai réussi à faire.
Et pour souligner ce travail intérieur qui me rassure, qui me donne confiance et m’invite à durer, Moïse nous dit: «tu persévéreras dans l’état de joie!» La joie de tes récoltes, la joie de tes réussites, restes-y, persévère, rumine-les, médite-les, analyse-les, reçois-les comme une nourriture qui t’aide à tenir dans ta traversée.
«Tu persévèreras dans le joie car le SEIGNEUR t’auras béni dans toutes tes actions!»
Amen


Homélie du pasteur Raoul Pagnamenta, fête de la Toussaint, 1 novembre 2023
Matthieu 5, 1-12
Pourquoi êtes-vous-chrétiens ?
Il se peut que vous ayez lu les évangiles.
Peut-être l’une ou l’autre parole de Jésus vous a frappé.
Des paroles qui vous montraient la vie autrement.
Ou peut-être vous avez rencontré une personne qui vivait de ces paroles.
Elle était différente des personnes que vous rencontrez d’habitude.
Plus douce, plus juste, plus disponible, plus vraie aussi.
Et cela vous a fait envie d’être comme elle.
Ou peut-être vous avez lu un ouvrage ou vu un film qui parlait d’une grande personnalité de la foi.
François d’Assise, Mère Theresa, Martin Luther King.
Vous avez découvert qu’on peut vivre pour autre chose que l’argent ou le pouvoir.
Et cela vous a fait envie de parcourir le même chemin.
Vous n’êtes pas venu à la foi par vous-même, c’est grâce à des humains qui vous ont précédé et qui ont vécu les valeurs de Jésus, de Paul et de Pierre.
Certains de ces humains sont devenus célèbres et ils vous ont impressionnés.
D’autres étaient des parents ou des amis proches.
Tous étaient nés de nouveau, nés d’autre chose que l’instinct de survie, nés d’une clairvoyance particulière qui vous a fait toucher à l’essentiel.
Une nuée de témoins, comme dit l’épître aux hébreux, ce que nous appelons la communion des saints, l’Église.
Cette façon particulière de voir qui vous a tant frappé est résumée dans les Béatitudes.
Les Béatitudes sont les premières paroles que Jésus prononce alors qu’il s’assied sur une colline pour enseigner.
Suit un long discours de la façon dont nous pouvons vivre les valeurs du Royaume de Dieu.
Si on lit attentivement on peut se rendre compte que Jésus ne parle pas à la foule.
Cet enseignement n’est pas pour tout le monde.
Jésus parle uniquement en présence de ses disciples.
La raison est simple.
Ses paroles ne sont pas faciles à avaler.
Quand il exhorte à donner l’autre joue lorsqu’on est frappé, à aimer son ennemi ou à renoncer à ses désirs s’ils nous séparent de nos frères et sœurs, il ne dit pas des choses qui vont de soi.
Dans un monde où pour survivre il faut se battre, il faut être le meilleur coûte que coûte, où il faut assurer son avenir, les paroles de Jésus sonnent étrangement.
Et pas n’importe qui peut les recevoir.
C’est pourquoi Jésus s’adresse uniquement à ses disciples.
Ils ont passé quelque temps avec lui. Ils ont appris à le connaitre et à lui faire confiance.
Ils l’ont vu vivre ses paroles et ils sentent qu’il y a une force, il y a une logique, une cohérence.
Ils sentent que Dieu est avec lui et lui font confiance.
Ils peuvent donc comprendre ce que Jésus veut dire et trouver le courage pour le vivre.
Les Béatitudes c’est un peu comme le préambule d’une constitution.
Au début du sermon sur la montagne elles posent le cadre.
Et ce cadre est la justice du royaume de Dieu.
Cette justice qu’il faut chercher avant toute chose, cette justice qui dépasse la justice des pharisiens.
Il ne s’agit pas d’être plus humain dans une logique de survie et de compétition, mais il s’agit de changer radicalement d’approche.
Ceux qui sont proclamés heureux dans les Béatitudes possèdent des qualités particulières.
Ces qualités sont parfois involontaires, données par les circonstances. On ne choisit pas toujours d’être pauvre, d’avoir faim et de pleurer.
D’autres qualités, par contre, on peut les cultiver, comme être doux, faire miséricorde, œuvrer pour la paix.
Ces qualités vont ensemble et ce sont les qualités du Royaume, ce sont les qualités de Dieu
Si les béatitudes peuvent être vécues, c’est parce qu’elles sont les qualités de Dieu.
Dieu qui est pauvre de tout ce que l’être humain désire, qui est doux, qui pleure sur l’état du monde, qui a faim et soif de justice, qui a un cœur simple et qui fait miséricorde.
C’est un dieu qui ne ressemble pas aux idoles de notre monde.
Un dieu qui ne peut pas être représenté comme Zeus ou Apollon.
Il n’a pas de muscles saillants, il meurt sur une croix.
Et pourtant il est puissant.
Plus puissant que nos idoles.
Sa puissance agit dans la douceur, dans l’amour, dans la simplicité.
Ce monde est le théâtre d’horreurs, de guerres, de crise climatique, de misère.
L’instinct de survie et de compétition ont amené le monde dans un chemin sans issue.
La force et la puissance que les humains vénèrent est en train de les tuer.
La force de Dieu par contre est une force de vie.
Une force qui agit dans les horreurs de notre monde et qui amène la vie et qui amène le Royaume.
C’est comme le brin d’herbe qui brise le goudron que les hommes ont posé.
Le brin d’herbe, pauvre, doux, assoiffé de vie est plus fort que le goudron de la mort.
Comme le brin d’herbe qui traverse le goudron à la recherche du soleil, ces béatitudes nous apportent des promesses.
Ces promesses sont au futur car elles ne sont pas encore réalisées.
Et pourtant ces promesses sont un miroir des qualités de Dieu.
Ces qualités qui ont en elles déjà la dynamique des promesses, ces qualités que nous sommes invités à vivre dans notre personne.
Aux doux sera donné la terre
Ceux qui ont faim et soif de justice seront exaucés
Ceux qui font miséricorde recevront miséricorde.
Il y a juste une promesse qui est au présent.
Elle est présente deux fois, au début et à la fin des Béatitudes.
C’est la promesse du royaume
Cette promesse est au présent.
Heureux les pauvres car le royaume de Dieu est à eux
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume de Dieu est à eux.
C’est déjà une réalité.
Dieu agit par ces qualités
Et quand nous les incarnons, le royaume de Dieu prend place sur la terre.
Mais ce n’est pas facile.
A cause de notre instinct de survie et de notre besoin de nous battre pour vivre.
Car renoncer à l’instinct de survie, renoncer à se battre c’est angoissant.
Qu’est-ce qui va devenir de nous.
Même en tant que disciples nous avons peur de nous exposer de telle sorte.
La miséricorde ok, mais jusqu’à un certain point.
La justice ok, mais parfois il faut faire des compromis.
Il faut être raisonnable.
Je pense que le secret réside dans la première béatitude.
D’ailleurs c’est celle qui nous frappe le plus et qui nous dérange.
Heureux les pauvres en esprit.
En esprit.
C’est là que nous nous réfugions, que nous disons « ouf, ce n’est pas matériellement mais en esprit qu’il faut être pauvre. »
Mais en fait « en esprit » est plus radical.
Il ne s’agit pas d’être pauvre seulement matériellement, mais embrasser la pauvreté, l’accueillir dans la vie comme le signe du royaume.
Quand nous sommes dépouillés de tout, quand nous sommes prêts à renoncer à tout alors plus rien ne nous fera peur.
Nous n’aurons plus peur de perdre quelque chose car nous aurons déjà tout donné.
Dieu peut venir habiter dans nos vies et faire avancer son royaume.
C’est ce qu’a vécu St-François d’Assise,
c’est ce que nous vivons un peu aussi nous et des personnes que nous avons côtoyées et qui nous ont marqués.
C’est ce qu’apportent les saints de Dieu sur cette terre.
Une autre façon d’être, une façon d’être qui parait faible, mais qui en effet est forte.
La seule façon d’être qui est vraiment forte et porteuse de vie car en elle Dieu agit.
Heureux si vous pouvez vivre cela et faire partie de la communauté des saints. Amen

Prédication de la pasteure Aline Lasserre, le 26 octobre 2023
Prédication Luc 12,1 à 11. Ne craignez pas, le S-E vous inspirera…
Romains 12, 16 à 21 Ne te laisse pas vaincre par le mal.
La foule est dense, très nombreuse, Luc la décrit ainsi : « des myriades de la foule qui se marchent sur les pieds ». Cette foule rassemblée attend et espère … car les temps sont rudes et inquiétants. Jésus s’adresse en priorité à ses disciples, parce que ce sont eux qui, à son image devront prendre soin de cette foule comme il le fait, Lui, maintenant en prenant soin d’eux.
A tous ceux qui sont là présents ce jour-là et à nous tous assemblés ici en cette chapelle, le Seigneur dit : Ne craignez pas ceux qui ne peuvent tuer que le corps… Qui d’autre que lui pourrait dire une telle parole ?
Assurément personne. Jésus est le seul à pouvoir le formuler ainsi parce qu’il a l’autorité pour le dire, nous enracinant en Dieu qui est le seul garant de toute vie.
Face à l’inquiétude en nous et autour de nous, souvent nous faisons appel à la confiance. A celui qui évoque sa peur, nous disons : « ne t’en fais pas, ça va aller », alors même que nous pensons que le chemin sera rude. Cela part de nos bonnes intentions mais parfois peut-être aussi de notre lassitude devant l’inquiétude perpétuelle de l’angoissé à qui nous disons, « arrête de te faire du souci, cela n’y changera rien… »
Mais le seul qui puisse nous établir en confiance solide et véritable, c’est le Seigneur. Et dans nos tentatives d’apaisement, de réconfort ou de soutien dans l’angoisse, c’est à lui que nous pourrons recourir, c’est en tous cas ainsi que Jésus l’enseigne ce jour-là.
Jésus donne à ses disciples le fondement de leur sécurité et les conditions de cette sécurité.
Dans cet écrit, Luc s’adresse à sa communauté qui se trouve confrontée à la mort. Ce sont les temps de persécutions des chrétiens, Luc se réfère au Christ qui lui-même a affronté la mort et qui par sa résurrection a manifesté que la mort n’est pas la fin de tout pour celui qui croit.
« Ne craignez pas ceux qui ne peuvent tuer que le corps, mais craignez celui qui a le pouvoir de jeter dans le néant… » ou dit autrement, ne craignez pas la mort infligée par les humains, mais craignez de vous séparer définitivement de Dieu.
Je ne sais pas comment cela résonne en vous, mais en moi c’est compliqué, parce qu’à la fois je me dis que, bien sûr, la Vie de Dieu avec un grand V est plus précieuse que tout. Pourtant dans mon quotidien, je mesure tous les efforts qui sont faits pour préserver au maximum cette vie ici-bas, parfois jusqu’à l’absurde, en nous faisant prendre toutes sortes de mesures visant à réduire les risques à un point zéro, au détriment du déploiement de la vie. De plus, moi ici, je ne suis pas menacée de mort.
Les destinataires de cet écrit le sont concrètement, Jésus, qui l’a vécu, sait que ses disciples vivront le même rejet, alors il vient, comme toujours, les équiper. A nous tous, il indique que le danger qui nous menace bien davantage que la mort que peuvent nous infliger les humains, le danger le plus grand c’est notre infidélité, c’est de le quitter Lui.
Voilà ce qui est à craindre.
Même celles et ceux qui ne reconnaîtraient pas mon ministère dit Jésus, cela ne sera pas si grave, mais ne pas reconnaître l’agir de Dieu en vous, sa présence au coeur de vos vies, voici le plus grand danger.
Si vous refusez cette présence que Dieu manifeste en vos cœurs par son Esprit, alors oui vous vous serez coupés de celui-là seul qui peut vous venir en aide. Vous resterez dans l’inquiétude de savoir que dire, que faire, parce que tout seuls vous n’avez pas les moyens de vous procurer la paix.
Jésus n’appelle pas ses disciples à une confiance aveugle, il les équipe de manière à comprendre et à vivre de cette confiance que lui-même puise à sa source.
Jésus l’assure, Dieu veille sur les moineaux, il sait combien nous avons de cheveux sur notre tête. Qu’est-ce à dire si ce n’est que Dieu tient l’entier de sa création entre ses mains et qu’il en est le Veilleur, cela seul devrait restaurer notre confiance profonde.
Jésus nous en a donné le modèle, par sa vie et sa mort sur la croix.
Il nous appartient de puiser à la bonne source et cela Jésus à nouveau nous l’indique, soyez vigilants, veillez à ce qui vous nourrit.
Ne vous nourrissez pas du levain des Pharisiens, eux qui disent et ne font pas, eux qui vous égarent en une voie hypocrite mais apprenez à discerner à la suite de qui vous marchez. Il ne suffit pas que le discours soit religieux pour qu’il soit fidèle.
Cet appel à la vigilance résonne pour moi comme l’interpellation adressée à nous tous qui témoignons de l’Evangile, sommes-nous de celles et de ceux qui mènent à la source ou qui égarent ceux qui nous sont confiés ?
Tous mettons-nous ensemble à l’écoute de l’Esprit qui était promis aux disciples pour les inspirer lors des interrogatoires qu’ils auraient à affronter.
Aujourd’hui encore, dans tous les lieux de nos incertitudes, de nos réflexions ou de nos confrontations, souvenons-nous de cette promesse de l’assistance de l’Esprit.
C’est sur nous tous que le Seigneur compte pour rester vigilants et résistants face au mal, comme le formulait Paul à la communauté de Rome, « ne te laisse pas vaincre par le mal ».
Pour moi cela évoque la résistance au mal par tous les moyens qui nous sont donnés. C’est notre vigilance politique par rapport aux partis attisant les propos de haine ; c’est notre vigilance sociale en veillant au bien de ceux qui nous entourent, particulièrement des plus faibles. C’est aussi notre vigilance spirituelle en veillant à notre ancrage dans une confiance profonde et sans cesse à cultiver.
Je terminerai par ces mots du grand théologien Karl Barth, qui à la veille de sa mort affirmait ceci :
« Oui le monde est sombre. IL ne faut surtout pas rester la tête basse ! Jamais !
Car on gouverne, pas seulement à Moscou ou à Washington ou à Pékin, mais aussi de tout en haut, du ciel. Dieu gouverne.
C’est pour cela que je n’ai pas de crainte. Restons optimistes même dans les instants les plus sombres ! Ne laissons pas sombrer l’espérance, l’espérance pour tous les êtres humains, pour le monde des peuples tout entier ! Dieu ne nous laisse pas tomber, ni un seul d’entre nous, ni nous tous dans son ensemble ! On gouverne (es wird regiert). »
Amen.
Aline Lasserre, Grandchamp 26 octobre 2023