Homélie par le pasteur Pierre-André Pouly pour Dimanche 19 avril 2020

Homélie par le pasteur Pierre-André Pouly pour Dimanche 19 avril 2020

En contemplant les œuvres d’art parfois sublimes représentant cette scène de l’évangile, on peut trouver étrange leur insistance à mettre en évidence ce qui justement ne fait pas partie du texte : le geste concret de toucher ! Cette insistance a fait de cet élément le point décisif du récit, soit comme preuve de la résurrection corporelle de Jésus, soit comme prétexte pour blâmer la prétendue incrédulité de Thomas. Deux alternatives qui ne me satisfont guère.

Autre constatation décevante : Pensant s’appuyer sur un bon sens à toute épreuve, combien de fois ai-je entendu dire : « Moi, je suis comme Thomas : j’attends de voir pour croire ! » Or, il s’agit bien souvent d’une manière commode de justifier une incrédulité de principe, focalisant là aussi l’attention sur la vérification « de visu ».

La question pertinente à se poser est donc de savoir si, lors de sa rencontre avec le Ressuscité, Thomas est simplement confirmé dans un système de croyance donnant la priorité à la preuve visuelle, ou si ce principe du « voir pour croire » n’est pas au contraire mis en crise ? Dans ce cas, le sens de ce récit serait de placer dans une perspective nouvelle le lien entre voir et croire. En songeant à d’autres interlocuteurs de Jésus dans l’évangile de Jean, on réalise que Thomas ne serait pas le premier à être ainsi bousculé dans son système de croyance.

Avant lui, Nicodème pensait s’appuyer sur un bon sens à toute épreuve en affirmant qu’on ne saurait retourner dans le ventre de sa mère pour naître une seconde fois. Il va se trouver perplexe à l’écoute de Jésus l’invitant à « naître de nouveau » (Jn 3, 3).

La femme samaritaine au puit de Jacob sait, elle aussi, de façon certaine (en plus de tout ce qu’elle sait au sujet du messie et des lieux où il convient ou non d’adorer Dieu) que son interlocuteur ne saurait lui offrir de l’eau alors qu’il n’a pas même de quoi puiser et que le puit est profond (Jn 4, 11).

Enfin Marthe, elle aussi, alors que son frère Lazare vient de mourir, voit sa croyance en la résurrection à la fin des temps remise en question au profit de la relation immédiate avec celui qui lui parle et se présente à elle comme « la Résurrection et la Vie » (Jn 11, 25).

Pour Thomas, les mots de Jésus (v. 27) revêtent une importance décisive : « Cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi ! » Le dynamisme de ce « deviens » (ginou) invite à passer d’un mode de connaissance à un autre, fondé non plus sur la conviction que chacun peut se forger au moyen d’éléments ayant à ses propres yeux valeur de preuves, mais fondé sur l’écoute et l’accueil d’une parole reçue d’un autre. Avec pour fruit la joie profonde d’un décentrement de soi dans l’écoute d’un autre. Une vie nouvelle commence avec l’écoute !

En se laissant voir et toucher, Jésus ne cherche pas à apporter la preuve qu’un mort peut revenir à la vie. En se présentant à ses disciples et en se faisant reconnaître d’eux, c’est la relation établie avec chacun d’entre eux qu’il ressuscite. L’enjeu des apparitions du Ressuscité n’est pas de consacrer une sécurité rationnelle nourrie de preuves matérielles mais d’attester d’une victoire de la relation qui intègre désormais le pire, la réalité de la mort et de la séparation.

Si l’on me présente quelqu’un dont on m’a montré auparavant une photographie, je suis en mesure de vérifier qu’il s’agit bien de la même personne. Je vais lui dire par exemple : « Ah ! je vois que vous êtes bien Monsieur untel ». Thomas, lui, s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Ce cri n’a pas pour source le résultat d’une simple vérification d’identité. Les mots de Thomas jaillissent du cœur brûlant de la relation au Maître et Seigneur qu’il a choisi de suivre. C’est la lumière de la relation, ressuscitée par la parole et son écoute, qui ouvre à Thomas l’accès à un « voir » radicalement nouveau. « Dans ta lumière, nous voyons la lumière » dit le psaume (36,10).

Avant sa mort, Jésus avait déjà dit à Thomas : « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent, vous le connaissez et vous l’avez vu » (Jn 14,7). « Celui qui m’a vu a vu le Père » ajoute Jésus à l’intention de Philippe (Jn 14,9). C’est à ce « voir » là que Thomas a la joie d’accéder en réponse à l’invitation de Jésus.

Ainsi, la nouvelle de la résurrection ne se transmet pas seulement dans la vision du tombeau vide mais aussi dans la vision du Ressuscité en personne. « En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie » (20, 20). « Nous avons vu le Seigneur », disent-ils à Thomas (20, 25).

Qu’est-ce que voir ? L’évangile invite à lier cette question à celle de la foi. Nous assistons alors à un véritable retournement : il ne s’agit plus de voir pour croire, mais au contraire de croire pour être en mesure de voir en Jésus ressuscité l’envoyé de Dieu en qui nous est offerte une relation dont rien, pas même la mort, ne peut nous priver. Or, dans ce récit (comme ce fut déjà le cas pour Marie de Magdala devant le tombeau vide), entre le voir et le croire, il y a la place pour une parole à écouter et à laquelle répondre par la foi. « Cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi ! »

La vision seule ne suffit pas. Paradoxalement, l’écoute, oui ! Et il faut ajouter : avec l’aide du Saint Esprit. On est là au fondement même de la béatitude (v. 29) proclamant heureux ceux qui, sans avoir été parmi les témoins visuels, deviennent croyants grâce à la parole des témoins, à la parole de l’Evangile. Les deux participes présents (littéralement : « n’ayant pas vu mais croyant ») évoquent une attitude de foi s’inscrivant dans la durée.

Bienheureux désormais ceux et celles qui peuvent dire à Jésus « mon Seigneur et mon Dieu » dans une relation ne s’appuyant plus sur le contact visuel mais en se laissant conduire par l’Esprit Saint « vers la vérité tout entière » (Jn 16, 13), comme l’avait annoncé Jésus dans ses discours d’adieu. Dans la chronologie de l’évangile de Jean, cette béatitude vient après le don du Saint Esprit (20, 22) et accomplit les paroles de Jésus à son sujet.

Dans cette perspective, l’apôtre Paul tire les conséquences de ce nouveau mode de connaissance en l’appliquant à toute relation dans le Christ : « Ainsi, nous, dès maintenant, nous ne connaissons personne selon la chair ; même si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette manière » (II Cor 5,16).

Thomas, a écouté et, ce faisant, il a vu avec les yeux de la foi. Son expérience nous précède et ouvre une ère nouvelle. Il nous ouvre un temps dédié à l’écoute de l’Evangile comme une parole qui, dans l’Esprit, s’adresse à nous pour nous inviter à devenir croyants.

C’est avec cette ouverture que se termine l’Evangile (avant l’appendice du chap. 21) : « Ces signes ont été rapportés dans ce livre pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (20, 31).

Aujourd’hui, alors que nous sommes abreuvés de toutes parts d’images dont la fiabilité s’avère de plus en plus incertaine, ce récit invite à nous garder de dissocier la vision de l’écoute et de la relation qu’elle permet, aussi bien avec le Christ qu’avec notre prochain. Ce récit nous invite ainsi à choisir et à cultiver le fondement d’une vision dont le discernement et l’amour constituent un témoignage urgent à apporter pour notre temps.

Amen.

 

Homélie par le pasteur Nicolas Charrière pour jeudi 16 avril 2020

Homélie par le pasteur Nicolas Charrière pour jeudi 16 avril 2020

Jean 20, 11-18

Il est impressionnant que la Résurrection chez Jean soit racontée en prenant autant en compte ce qu’est une vie humaine. Qu’il faille raconter la Vie nouvelle et la mort vaincue en parlant de larmes, de questions, de retournements, d’interpellations, de tâtonnements, de tendresse…

Devant le tombeau de Pâques, il y a place pour nos larmes, toutes les larmes humaines, et leur cortège de questions: nos « on me l’a enlevé », « je l’ai perdu », nos « je ne sais pas… ». Les larmes qui, avec Marie de Magdala, disent nos attachements, ce qui compte pour nous, ce qui fait mal parce que la perte, l’impuissance, la souffrance… Les larmes qui sont les nôtres et sont le signe de notre profonde et belle humanité.

Devant le tombeau de Pâques, il y a aussi ces anges capables d’accueillir les larmes et d’en être touchés. Capables de poser la question: « Pourquoi pleures-tu? » D’entrer en relation, loin de l’indifférence, pour faire de la place à celui ou celle qui souffre et lui donner la parole. Pour qu’il, elle, puisse mettre en récit ce qui lui arrive, nommer. Des anges, messagers de Dieu, que nous pouvons devenir à notre tour lorsque nous prenons le temps d’être avec celle ou celui qui pleure. Une entrée en relation qui est signe de notre profonde et belle humanité.

Devant le tombeau de Pâques, il y a aussi ces retournements de vie qui nous font tourner le dos à l’espace de la mort qu’est le tombeau pour chercher comment continuer de vivre malgré tout.

Ce premier retournement qui nous fait passer d’une vision du monde à une autre, lorsque tout à coup, grâce à une présence, nous sortons de la noirceur pour entrevoir la lumière. Et cet autre retournement qui nous rappelle qui nous sommes, qui nous redonne une identité d’êtres uniques et aimés. « Marie ». Chacun, chacune de nous, chacun des humains. Appelé-e par notre nom. Cette capacité d’évoluer, de changer, de grandir qui est signe de notre profonde et belle humanité.

Devant le tombeau de Pâques, il y a ces étonnements qui font que tout à coup ou peu à peu, au gré du dévoilement de la présence du Christ, notre monde intérieur et extérieur prend une autre couleur, un autre sens. Comme Marie, je redeviens quelqu’un, un vivant. Comme pour Marie, celui qui était mort devient celui qui est vivant, et que je peux appeler par le nom que je lui donnais lorsqu’il cheminait avec moi: « Rabbouni »… Cette capacité d’étonnement et de découverte qui est signe de notre profonde et belle humanité.

Marie, comme nous, devra encore prendre la mesure du changement que ce passage aura provoqué: Jésus n’est plus le maître terrestre qu’elle a connu. Mais elle découvrira par lui que désormais, Dieu devient son Dieu à elle, comme il est le Dieu de Jésus, et que cette relation personnelle dit un engagement et un amour qui sont uniques.

Au tombeau de Pâques se récapitule notre humanité devant Dieu. Et ces différents passages, qui reviennent toujours à nouveau, différemment, brassés dans nos existences, non pas dans une progression linéaire, mais assortis d’une promesse: tu es semblable à Marie de Magdala. Tu es dans la présence du Vivant.

Avec tes retournements qui sont autant de manières de voir autrement le monde, ta vie, Dieu, au gré des rencontres et des événements.

Avec tes larmes qui sont les marques de ce qui compte pour toi.

Avec les présences qui te sont données, comme autant d’anges qui sont passerelles pour retrouver la présence du Christ qui ne t’a jamais quitté.

Avec tes questions et les paroles que tu reçois.

Avec cet appel à vivre malgré le mal et la mort, à vivre avec Dieu. Et que ton chemin devienne proclamation de celui qui est la Résurrection et la Vie.

Alléluia!

 

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour Lundi de Pâques, 13 avril 2020

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour Lundi de Pâques, 13 avril 2020

Toutes portes étant closes.

JEAN 20, 19-23

Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »

Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.

Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »

Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

I

Aujourd’hui, à la fin de cette retraite, nous voulons, frères et sœurs, accueillir la présence de Jésus Ressuscité comme une caractéristique essentielle de notre existence terrestre : « Toutes portes étant closes, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. »

Jésus est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Cela veut dire que rien ne peut empêcher Jésus Vivant de nous être présent. Rien ne peut l’empêcher d’ ouvrir toute circonstance à la vie qu’il partage avec le Père dans la communion de l’Esprit.

Toute situation d’enfermement peut devenir un lieu où Lui, vient nous visiter. Je pense en particulier à chaque personne aux prises avec les angoisses, avec une dépression, avec toute autre situation intérieure ou extérieure qui nous entoure de portes fermées.
Aucun obstacle ne peut être si grand ou si profond que Jésus Ressuscité soit empêché de nous rejoindre. Aucune circonstance ne peut le dissuader d’être présent à ce que nous vivons ou éprouvons. La mort elle-même ne l’a pas fait changer de cap. Il faut dire à l’inverse que parce qu’il a été nié à mort, Jésus sait encore plus radicalement que quiconque, ce que signifient les prisons intérieures ou extérieures dans lesquelles nous pouvons nous trouver. Parce qu’il est descendu aux enfers, aucune situation n’est privée de sa présence.

Ce matin inaugure la continuation de Pâques dans notre vie quotidienne, et l’évangile affirme que dans le monde où nous allons chaque jour, Jésus est tout-présent à chacune de ses créatures humaines.

« Toutes portes étant closes, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux »… et il est en ce moment avec chacun-e en particulier, dans tous les milieux fermés, confinés pour quelque raison que ce soit.

L’apôtre Paul le proclame avec la vigueur de sa foi : « J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie (et ses circonstances) , ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. »

II

C’est donc pour tous, c’est donc pour vous en particulier, Frères et Soeurs, que Jésus Ressuscité ouvre la bouche, Lui le Verbe Créateur. C’est pour tous, et c’est à vous qu’il a dit : « La paix soit avec vous ! ».
La paix que Jésus communique ici n’est pas d’abord un sentiment intérieur, une situation stable ou un environnement confortable. Tout cela est bien sûr grandement désirable et peut nous advenir parfois comme conséquence de ce que Jésus donne.
Mais la paix dont Jésus parle est une réalité plus vaste et plus solide. Vous avez entendu : Jésus relie la paix qu’il donne à l’événement qui a concentré sur lui toute la violence, sa mort sur la croix, dont il montre les traces sur ses mains et son côté.
Imaginez un guerrier d’autrefois. Il revient après la victoire, et il montre à ses amis son bouclier, transpercé en différents endroits. Chacun comprend qu’il a combattu valeureusement et chacun sait qu’il pourra faire confiance à cet homme qui n’a pas craint de s’exposer.
Cette analogie, que l’on doit à saint Bernard de Clairvaux, dit combien est fiable Jésus ressuscité et combien lui appartient la paix, comme prix de sa lutte, comme chef d’oeuvre de sa mission. Il apporte la paix, celle que rien ni personne ne pourra jamais lui contester ou lui ravir. Il est la paix en Personne, la paix qui réjouit le Père, la paix véritable que Dieu a confirmée par la résurrection, la paix dont l’Esprit saint est le porteur, lui qui est force, consolation, énergie – l’Esprit de si grande humilité qu’il communique cette paix du Christ dans un souffle venant s’unir à notre respiration.

Souvenons-nous bien, surtout face aux angoisses, que la paix dont Jésus parle est plus certaine que tout ce que nous pouvons ressentir, et qu’elle est plus vaste que nous ne pouvons l’imaginer. La paix que Jésus établit dépasse l’expérience de que nous appelons « paix », et elle tient en réserve des dimensions au-delà de ce que notre intelligence peut imaginer ou concevoir.
Elle est une force pour oser et pour opérer une sortie. Jésus donne la paix pour envoyer ses disciples. Il précise qu’il envoie ses disciples de la même manière que le Père l’a envoyé. Cela suggère que le Fils est lui-même « sorti » avec cette paix comme force. Le Fils est venu dans le monde avec la paix, avec la bénédiction du Père pour pratiquer à cette paix un espace en ce monde.
Cette même et unique mission, le Fils la poursuit par ses disciples, ses frères d’aujourd’hui : « La paix soit avec vous !  De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »

Jésus nous communique la paix… pas seulement comme un baume, un apaisement, une présence consolatrice dans le présent où nous sommes. C’est cela aussi, mais c’est plus que cela. Cette paix représente une force, elle est un appel à aller de l’avant, c’est une embauche pour aller où Jésus nous conduira.

 Car Jésus ne nous sauve pas seulement en venant à nous. Il nous propose d’aller avec lui. Avec notre libre consentement il va nous conduire de passage en passage, au-delà des frontières que nous avons mises nous-même.

« Suivre Jésus, nous rappelait Fr. François de Taizé, n’est pas en notre pouvoir, mais c’est à recevoir » . Il écrivait :

« C’est comme si Jésus nous disait : « Pour me suivre, ne comptez pas sur vous-mêmes (c’est mon œuvre). Entrer dans une vie à ma suite est aussi impossible que se faire naître à nouveau. Laisser les points d’appui que nous nous sommes faits, renoncer au besoin de tout prévoir et se refuser à un chemin de facilité, qui peut dire qu’il est fait pour cela ? Toutefois auprès de moi ( Jésus), cet impossible devient possible. Là où je suis, souffle l’Esprit et son souffle fait vivre selon les critères du Royaume, car il apporte une nouvelle façon d’être. Qui me suit passe par un enfantement. C’est aussi douloureux qu’une naissance humaine, mais le bonheur qui en découle n’est pas moins grand. Car on participe déjà à une nouvelle création. »1

* * * *

Frères et Soeurs, la Règle de la Communauté des sœurs diaconesses de Reuilly donne le ton pour aller dans l’aujourd’hui du monde dans l’esprit de la nouvelle création. Ce sera notre envoi.

Servez le Seigneur, servez le temps présent. Soyez attentifs à ce temps.
Soyez une bénédiction pour les hommes et les femmes de ce temps.

Bénissez le Seigneur !
Bénissez les hommes et les femmes de ce temps.
Bénissez et ne maudissez pas.
Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent
et pleurez avec ceux qui pleurent.

Servez le Seigneur !
Faites le bien devant les hommes de ce temps
avec les hommes de ce temps.

Ne vous laissez pas vaincre sous le mal de ce temps
Mais surmontez le mal par le bien.
D’un esprit fervent,

servez le Seigneur. 2

1Fr. FRANCOIS, de Taizé, Suivre le Christ et se faire disciple. Réflexions bibliques, Les Presses de Taizé, 2014, p.169.
2Règle de Reuilly (d’après Romain 12), texte cité dans Soeur MYRIAM, Continuer l’Évangile. Méditations pour les dimanches et les fêtes, Éd. Olivetan, Lyon, 2008, p. 201.
Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour l’Aube de Pâques, 12 avril 2020

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour l’Aube de Pâques, 12 avril 2020

Évangile selon saint Matthieu, chapitre 28

Et voici qu’il y eut un grand tremblement de terre ;
l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus.

Aujourd’hui, l’ange qui descend du ciel vient clairement mettre fin à un confinement ! Un grand tremblement de terre, la pierre roulée ouvre le tombeau, l’ange s’assied sur la pierre comme sur un trophée.

Dans ce premier acte, Matthieu nous présente le message de Pâques en geste, en image, en mouvement. L’événement nous prend des pieds à la tête, montant des tréfonds de la terre et plongeant des hauteurs du ciel comme l’éclair. Tout cela dépasse la saisie ordinaire de la réalité.
Ce qui advient là ne saurait être cantonné dans les limites de l’intellect, aussi vrai que l’on n’intellectualise pas au moment d’un grand tremblement de terre !

Ce que l’on saisit, c’est que l’événement comporte un retentissement cosmique.
Ce que l’on comprend, c’est que l’événement touche aux fondements, ce qui conduira les humains à reconsidérer leurs fondamentaux ! De même qu’un fort tremblement de terre crée une rupture entre ce qu’il y avait avant et ce qui viendra après, la résurrection de Jésus signifie le commencement du monde nouveau.

Vient alors une prise de parole : Deuxième acte.
C’est là l’élément important, que la mise en scène préalable -telle un gigantesque coup de trompette- avait pour mission d’introduire. D’emblée ce message est revêtu d’autorité. «  L’ange (…) dit aux femmes : « Vous, soyez sans crainte ! Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez voir l’endroit où il reposait. Puis, vite, allez dire à ses disciples : “Il est ressuscité d’entre les morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; là, vous le verrez.” Voilà ce que j’avais à vous dire. »

À l’invitation de l’ange, les femmes constatent que la sépulture n’est plus qu’un tombeau vide. Grâce aux paroles de l’ange, elles recueillent la nouvelle inespérée : « Jésus le Crucifié n’est pas ici, car il est ressuscité ! ».
Alors que les femmes se hâtent d’aller informer les disciples, voici que Jésus vient à leur rencontre. Ici, le récit ne semble pas très cohérent. Les femmes savaient ce qui était attendu d’elles. Elles étaient en train de l’accomplir…
Qu’ajoute donc ce troisième acte, cette rencontre-surprise de Jésus lui-même ? Ce troisième acte est pour nous l’occasion d’apprendre que Jésus ressuscité est reconnu dans sa personne. Celui que les femmes reconnaissent est bien le même que Celui qui fut crucifié. Mais elles le reconnaissent désormais dans son identité entière : elles le saluent en tant que Seigneur.

Et puis, sur le parcours des femmes courant vers les disciples, la présence de Jésus ressuscité peut aussi avoir valeur de symbole. Pour nous annoncer que désormais c’est en passant par lui , Jésus Vivant, que l’on va à la réalité ! C’est en le sachant participant que l’on aborde dans son  entier chaque moment présent.

Jésus est ressuscité ! Et donc, à partir de ce moment, c’est en son Nom que ses amis iront au contact de la vie, en particulier au contact de ceux que lui-même appelles désormais « ses frères »…. Que signifie aller dans le monde, aller dans le quotidien en son Nom?

Un quatrième acte nous l’annonce. Observons la manière très étrange avec laquelle Jésus ressuscité a ouvert le temps qui nous concerne encore aujourd’hui, le temps que nous vivons maintenant et jusqu’à son retour.
Au moment même où Jésus ressuscité mettait fin à la période de ses apparitions, il a affirmé à ses disciples : « Quant à moi, je suis avec vous tous les jours » ! Il part, et il affirme sa présence. Serait-ce comme l’infirmière qui quitte la chambre en disant : « Je reviens ! » ?

C’est plutôt que Jésus demande à ses disciples d’enseigner, et que de cet enseignement il sera lui-même le contenu et le constant soutien. Cet enseignement n’est autre que celui d’une vie en alliance avec Dieu.
Une possibilité s’ouvre à chacun : le choix de poursuivre dès maintenant l’existence humaine en adhérant à la manière dont Jésus a accompli la volonté de Dieu, en particulier envers les plus humbles et les plus oubliés.
L’enseignement confié aux disciples a pour effet de donner place, dans la trame compliquée des relations humaines, à un espace qui appartient à Dieu, celui d’une communion avec Lui et entre tous.
L’enseignement confié aux disciples a pour effet d’accueillir, au sein même de l’histoire qui se poursuit, un temps qui appartient à Dieu, celui où est mise en pratique sa miséricorde.

« Faites des disciples toutes les nations : … enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé ».
Observer les commandements de Jésus signifie désirer connaître la totalité de sa Personne et de sa façon d’habiter l’existence. Connaître Jésus donne faim et soif de le rejoindre parce qu’il est Celui qui rend humaine l’existence.

« Quant à moi, je suis avec vous tous les jours » ! Oui, par l’enseignement confié aux disciples, Jésus maintient ouverte la brèche qu’il a pratiquée.

Mais, frères et sœurs, … peut-on vraiment dire que, par la résurrection de Jésus, quelque chose est entré dans le monde, qui est capable à terme de le modifier de fond en comble ?

Permettez-moi une analogie. Pour nous qui en sommes témoins, la résurrection de Jésus nous place devant un choix comparable à celui qui se posera quand prendra fin la période de confinement que nous connaissons. Le choix sera : voulons-nous garder tel ou tel enseignement de ces événements ? Voulons-nous au contraire fermer au plus vite la parenthèse et poursuivre la vie de la même manière qu’avant ?

Dans la situation douloureuse générée par la pandémie, sur le versant positif nous sommes reconnaissants des diverses formes créatives que revêt rapidement l’entraide, la solidarité, le soutien. Un rapport différent s’établit entre jeunes et aînés. Des élèves découvrent dans la personne de leurs enseignants des adultes à leurs côtés, capables de se remettre eux-mêmes à l’école pour trouver de nouveaux moyens, afin de les aider.
Il est heureux aussi d’entendre, dans la bouche de telle femme ou de tel homme politiques, une exhortation à construire ensemble, qui s’appuie sur la responsabilité de chacune, de chacun, une affirmation claire qu’il s’agit de donner la priorité à la vie elle-même, de porter une attention première à ceux qui sont fragiles, parce que le but est d’aller vers l’avenir ensemble. Il a même été répété que nous devons apprendre à vivre jour après jour, pour discerner le moment et la manière d’agir.
Ce versant positif, ces priorités déclarées et mises en actes quel sera leur avenir ?

Pâques annonce et offre la fin d’un confinement fondamental : celui d’un monde individuel ou collectif clos sur lui-même, qui agit tantôt comme s’il était orphelin, tantôt avec autosuffisance et prétention, s’autogérant suivant des règles du jeu qui répandent comme une pandémie injustices, déséquilibres et désolation.
L’apôtre Paul a mis beaucoup d’énergie à exhorter les chrétiens à ne pas reprendre la vie d’avant, à ne pas poursuivre leur existence comme si la vie terrestre de Jésus n’avait été qu’une parenthèse.
La Pâque de Jésus change notre statut. Notre vie dit ou dira si nous assimilons l’espérance qui a été déployée pour tous, ou si nous nous comportons en ennemis de la croix ; si nous accueillons la grâce et vivons avec le Ressuscité ou si notre confiance repose sur des appuis illusoires.

Le pire pour l’humanité serait qu’elle se croie ou qu’elle se maintienne « confinée, à l’écart de Dieu ».

Ayez donc de l’empressement. Vite, allez dire : « Le Christ est ressuscité d’entre les morts ». Dans les détresses comme dans les plus hautes joies, soyez contagieux de la vie qui n’a pas de fin !

Heureuse et sainte Fête de Pâques !

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour jeudi saint, 9 avril 2020

Homélie par le pasteur Jean-Philippe Calame pour jeudi saint, 9 avril 2020

LE VIATIQUE NÉCESSAIRE.

Le repas de la Pâque relie ceux qui y participent à l’événement de la sortie d’Égypte. C’est un repas « que nos pères prirent debout, le bâton en main, prêts à partir…1 » Exode 12, 11. Cela représente un climat particulier. Il y a l’immense espérance soulevée par l’annonce d’une libération prochaine, alors que l’on ployait depuis des années sous l’oppression et l’esclavage. Il y a la fébrilité des préparatifs de départ, un mélange de joie, d’espoirs et de craintes. Chacun est sur le qui-vive, l’imprévu et l’inconnu soudent dans une même solidarité tous les membres du peuple. Le dernier repas répond aussi à une nécessité toute concrète : il constitue le viatique indispensable pour tenir bon en chemin, pour assumer la première étape dont personne ne connaît la durée.

La Parole de Jésus, qui commande : « Ceci est mon corps, donné pour vous. Prenez et mangez-en tous ! » retentit dans ce contexte de la libération réalisée par l’exode. Jésus est le Messie, l’Envoyé de Dieu qui incarne et réalise la Parole : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple… j’ai entendu ses cris sous les coups…. Oui, je connais ses souffrances.» Exode 3, 7.  Aussi vrai que Moïse a mené le peuple hors d’Égypte, aussi vrai que Dieu a frayé pour son peuple un passage au milieu de la mer, Jésus pratique un passage au travers de la mort pour toute l’humanité. Jésus, en sa Passion, accomplit pour la multitude une libération de toute forme de néant, une sortie de tout anéantissement.

« J’ai désiré d’un vif désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ! », dit alors Jésus à ses disciples. Luc 22. 15. Rendons-nous attentifs à ce vif désir dont Jésus nous fait part. Si nous voulons être en communion avec lui, si nous l’aimons, accueillons ce désir. Jésus a hâte de libérer les êtres humains de tout esclavage. Il lui tarde que nous entrions dans l’unité qu’il partage avec le Père.

Désir et angoisse coexistent en Jésus : « Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » Luc 12, 50.
Lors de ce dernier repas, l’atmosphère devait être lourde. L’un des plus proches de Jésus allait le trahir, et tous se demandaient de qui il parlait ainsi. L’heure était grave et en même temps en Jésus était l’élan de joie propre à la délivrance, l’élan de joie suscité par l’oeuvre du Père. Or, cette œuvre concerne le monde tel que nous le connaissons et le jeu des forces qui nous dépassent.
Il est remarquable qu’à l’heure où Jésus s’apprête à soutenir un combat d’une portée universelle et cosmique, il connaisse aussi le désir de vivre la simple rencontre des présences humaines. Le lien avec ses disciples donne son sens au combat qu’il affronte

À cette heure-là , Jésus « sachant que le Père a tout mis entre ses mains et qu’il retourne à Dieu comme il est venu de Dieu, se lève de table, dépose ses vêtements et passe une serviette dans sa ceinture ; il verse de l’eau dans une cuvette et commence à laver les pieds des disciples ».
Un dialogue naît de ce geste inconcevable : «Pierre dit à Jésus : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répond : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi.»  Jean 13, 8.
Puis, lorsque Jésus a repris place à table, il poursuit :  « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Amen, amen, je vous le dis : un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites.» Jean 13, 12b-17.

Se pose toujours désormais la question : Acceptons-nous ce Seigneur ? Acceptons-nous qu’il nous entraîne sur cette voie ? « Heureux êtes-vous, si vous le faites », dit Jésus. Voulons-nous faire cette pâque, ce passage vers ce style de vie incarné par le Fils de Dieu ? Ou ferions-nous le choix de dire : « Je ne mange pas de ce pain-là ? ».

Jésus a lavé les pieds de ses disciples pour que l’on puisse dire : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire : « Il règne, ton Dieu ! » Esaïe 52, 7. Jésus a purifié chez ses disciples l’orgueil, le coeur de toute forme de suffisance, pour qu’ils soient trouvés limpides en annonçant l’évangile. Jésus demande à ses disciples de prendre la dernière place, car c’est là qu’ils attesteront par leur élan la Joie du royaume. Jésus demande à chacun des siens de se faire serviteur, en commençant par être serviteur des sœurs et des frères si connus, tout proches, afin que naisse communion mutuelle capable d’attirer un grand nombre vers la force de relations nouvelles….

Le repas de la Pâque, qui rend présent l’événement de la sortie d’Égypte, nous place donc à l’heure d’un départ, au seuil d’une mise en route. Or, ce qui va nourrir les pèlerins de la nouvelle Pâque, c’est l’être même de l’Agneau de Dieu : sa Personne et sa manière d’être au monde.

« Ceci est mon corps, ceci est mon sang » : c’est la présence de tout son être, c’est la réalité de sa Personne à laquelle Jésus nous donne part. Comme il arrive que l’on soit nourri par la présence, les propos et les actes d’une personne, Jésus nous offre de nous nourrir de sa propre vie. Et notamment d’assimiler ce qui le nourrit lui-même : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. » … « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre.» Jean 4, 31-34.

Accueillons-nous l’offre que nous fait Jésus de manger de ce pain-là ? Est-ce que nous adhérons au fait que la vraie nourriture d’une existence humaine est de faire la volonté du Père ? C’est le chemin de la nouvelle Pâque, c’est le déplacement auquel Jésus nous appelle. C’ est le passage qu’il nous ouvre pour nous faire entrer dans une existence de service envers quiconque.

Frères et sœurs, la situation que nous vivons actuellement nous fait reprendre conscience de tout ce que nous devons aux autres.

Ce que je dois aux autres…
En français, cette phrase a deux significations. Il y a ce que je sais avoir reçu des autres. Je leur dois les soins, l’éducation, une formation, d’heureuses découvertes… C’est le versant de la gratitude, toujours première puisque fondamentalement, c’est la vie elle-même que je tiens de ceux qui me l’ont donnée ! Jésus nous éduque ouvertement à la reconnaissance envers tous, envers quiconque. « Celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : il ne perdra pas sa récompense. » Matthieu 10, 42. « Qui n’est pas contre nous est pour nous ». Marc 9, 40.

Par ailleurs, il y a ce que je me dois de donner aux autres, et c’est le versant du service. Au soir du jeudi saint, Jésus enseigne l’un et l’autre : le service dont j’ai été bénéficiaire, et le service que je suis appelé à donner. Mais le second n’est possible que si j’ai pris conscience du premier. C’est dans la reconnaissance pour ce que j’ai reçu que s’enracine le service véritable -et durable- pour autrui.
Selon ce que Jésus dévoile et accomplit, nous découvrons que le service que nous pouvons assumer est toujours précédé du service que Jésus accomplit en notre faveur. Seul l’accueil d’être servi par le Seigneur, l’acceptation d’être d’abord servi par lui, permet aux disciples d’entrer dans un service généreux qui cependant ne s’épuise pas et n’épuise pas.

Mais il y a encore une réalité de plus à recevoir. Une heureuse « stupeur » devrait nous saisir, une stupeur qui établit à jamais toute forme de service dans la reconnaissance . C’est que, à l’horizon de toute mission que nous puissions assumer brille un étonnant retournement : au Jour de l’accomplissement, le Seigneur ressuscité mettra sa Joie à nous servir, il nous accueillera…. en Serviteur 

« Heureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. En vérité, je vous le dis : c’est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir… ». Luc 12, 37.
Ainsi donc, non seulement dans le passé Jésus a pris la place du dernier des serviteurs en lavant les pieds de ses disciples, mais à la fin, il reprendra cette place ! Sa Joie sera encore de servir ceux qu’il a sauvés ! Amen.

1« Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur ». Exode 12, 11.
Homélie par le pasteur Pierre Bühler le 26 mars

Homélie par le pasteur Pierre Bühler le 26 mars

Hébreux 10,32-39

(32) Mais souvenez-vous de vos débuts : à peine aviez-vous reçu la lumière que vous avez enduré un lourd et douloureux combat, (33) ici, donnés en spectacle sous les injures et les persécutions ; là, devenus solidaires de ceux qui subissaient de tels traitements. (34) Et, en effet, vous avez pris part à la souffrance des prisonniers et vous avez accepté avec joie la spoliation de vos biens, vous sachant en possession d’une fortune meilleure et durable. (35) Ne perdez pas votre assurance, elle obtient une grande récompense. (36) C’est d’endurance, en effet, que vous avez besoin, pour accomplir la volonté de Dieu et obtenir ainsi la réalisation de la promesse. (37) Car encore si peu, si peu de temps, et celui qui vient sera là, il ne tardera pas. (38) Mon juste par la foi vivra, mais s’il fait défection, mon âme ne trouve plus de satisfaction en lui. (39) Nous, nous ne sommes pas hommes à faire défection pour notre perte, mais hommes de foi pour le salut de nos âmes.

Matthieu 24,1-14

(1) Jésus était sorti du temple et s’en allait. Ses disciples s’avancèrent pour lui faire remarquer les constructions du temple. (2) Prenant la parole, il leur dit : « Vous voyez tout cela, n’est-ce pas ? En vérité, je vous le déclare, il ne restera pas ici pierre sur pierre : tout sera détruit. » (3) Comme il était assis, au mont des Oliviers, les disciples s’avancèrent vers lui, à l’écart, et lui dirent : « Dis-nous quand cela arrivera, et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde. (4) Jésus leur répondit : « Prenez garde que personne ne vous égare. (5) Car beaucoup viendront en prenant mon nom ; ils diront : “C’est moi, le Messie”, et ils égareront bien des gens. (6) Vous allez entendre parler de guerres et de rumeurs de guerre. Attention ! Ne vous alarmez pas : il faut que cela arrive, mais ce n’est pas encore la fin. (7) Car on se dressera nation contre nation et royaume contre royaume ; il y aura en divers endroits des famines et des tremblements de terre. (8) Et tout cela sera le commencement des douleurs de l’enfantement. (9) Alors on vous livrera à la détresse, on vous tuera, vous serez haïs de tous les païens à cause de mon nom ; (10) et alors un grand nombre succomberont ; ils se livreront les uns les autres, ils se haïront entre eux. (11) Des faux prophètes surgiront en foule et égareront beaucoup d’hommes. (12) Par suite de l’iniquité croissante, l’amour du grand nombre se refroidira ; (13) mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. (14) Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier ; tous les païens auront là un témoignage. Et alors viendra la fin.

Chères sœurs, chers frères en Jésus-Christ,

Quand j’ai reçu de sœur Pascale ces deux textes difficiles prévus pour la célébration d’aujourd’hui, la crise du coronavirus était déjà la grande préoccupation, mais elle était encore lointaine, même si on la sentait se rapprocher inexorablement. Et aujourd’hui, elle est là, en Europe, frappant surtout l’Italie, l’Espagne, mais aussi la Suisse. Les cas de contamination sont en constante augmentation, de même que les morts. Un de mes cousins est mort du coronavirus la semaine passée. Si le virus infecte l’organisme de certains, il infecte aussi l’esprit de tous. Il nous obnubile et nous inquiète, au point où on ne pense plus qu’à lui. Il y a quelques jours, j’ai rencontré un voisin complètement atterré qui me disait, le visage ravagé : « C’est la fin du monde ! ».
Je me suis donc dit tout d’abord qu’il fallait prêcher sur le passage de Matthieu 24, qui appartient à ce qu’on appelle la petite apocalypse des évangiles synoptiques : un discours de Jésus sur la fin des temps, en réponse aux questions des disciples. D’ailleurs, plusieurs parallèles entre le texte et notre situation s’imposaient d’emblée : des faux prophètes qui égarent par de faux espoirs ou qui suscitent la panique, si bien que les gens font leurs provisions en pillant les magasins et en insultant les vendeuses ; des gouvernants qui dressent nation contre nation, comme Donald Trump qui, à coup de milliards, voulait réserver un vaccin allemand en préparation aux seuls malades des États-Unis ; des gens qui ne vous parlent que de guerre, comme le président Macron qui, s’adressant à son peuple, répète sans cesse « Nous sommes en guerre ». Et le texte dit encore : « et alors un grand nombre succomberont », évoquant ainsi les morts dont nous lisons chaque jour les statistiques, tétanisés, sidérés par l’évolution.

Mais c’est soudain un petit passage de la fin de ce texte qui a attiré mon attention :
« l’amour du grand nombre se refroidira ; mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. » Une question d’amour, donc ? Un amour qui ne doit pas refroidir, qui doit tenir jusqu’au bout ? Et cela m’a fait me tourner vers le texte de l’épître aux Hébreux. À quoi bon une vision de la fin des temps si elle nous empêche de vivre au quotidien ? Dans le texte de l’épître, on ne parle que discrètement de celui qui doit venir à la fin des temps, mais on y parle concrètement d’un combat, d’une épreuve au quotidien, en appelant instamment à ne pas perdre l’assurance, à garder la confiance. Et c’est surtout le début du verset 16 qui s’est tout à coup imprimé dans mon esprit : « C’est d’endurance que vous avez besoin ». Et je me suis dit : oui, c’est ça, le message pour un temps de crise : « C’est d’endurance que vous avez besoin. »
Mais que veut dire « endurance » ? Ce substantif vient du verbe « endurer », qui provient du latin médiéval indurare, qui signifie « durcir, se durcir ». Il s’agit donc de renforcer sa résistance, pour ne pas se laisser toucher par les moindres difficultés, se faire une carapace, comme la tortue. Mais il y a un danger à trop se durcir : on peut se cuirasser, se blinder, au point de ne plus rien sentir. Or, il n’est pas sûr qu’un tel blindage permette de tenir sur la durée. Car si l’on veut endurer une crise, il faut aussi pouvoir durer, « tenir jusqu’à la fin », dit Matthieu. Or, à avoir trop de blindage, on peut aussi s’épuiser, comme ces chevaliers du Moyen-Âge qui croulaient parfois sous le poids de leurs armures.
Il est intéressant que « durée » a la même racine durare, indurare, que l’endurance. On pourrait donc dire que l’endurance sera un sage équilibre entre la dureté et la durée. Et le terme grec pour « endurance » dans notre texte vient de la racine menein, qui veut dire
« rester ». Si l’on veut donc durer, rester, tenir, il faut que la dureté laisse aussi de la place à la flexibilité, à une souplesse intérieure, et donc aussi à la fragilité.
En ces temps que nous sommes en train de vivre, nous sommes incertains, inquiets. Il serait vain de le nier. Pour le bien de notre endurance, il faut bien plutôt accepter pleinement cette incertitude. Elle fait partie de nous, nous rend fragiles. En l’acceptant, nous pouvons aussi l’intégrer, au lieu de la laisser se développer en une panique incontrôlée. L’endurance, c’est développer une distance, une liberté intérieure à l’égard de l’incertitude : nous la sentons, nous la laissons être là, mais elle ne nous domine pas. « Ne perdez pas votre assurance », dit l’épître aux Hébreux. Et comme le dit Ésaïe (30,15) : « Votre force est dans le calme et la confiance ».
Dans la panique, nous sommes rejetés sur nous-mêmes. Chacun ne pense plus qu’à lui- même, à se protéger, à se munir de ce qu’il faut. Et on risque de ne voir dans l’autre que le danger de la contamination. De vieux réflexes médiévaux peuvent renaître : il faut fuir les autres « comme la peste ». Mais cela génère la solitude. Et ce serait une illusion de croire que notre endurance profite de cette solitude, de l’enfermement en soi. L’épître aux Hébreux souligne plutôt que nous ne sommes pas seuls. L’endurance est soutenue par une promesse appelée à se réaliser toujours plus : il y a celui qui vient à nous, qui sera là, celui qui s’est déclaré avec nous, parmi nous. La promesse que Jésus, ce grand solidaire, vient à nous, permet à notre endurance de lutter contre la solitude du chacun pour soi.

S’il vient à nous, lui, nous pouvons aussi aller vers les autres. La règle de la distance sociale, qui nous met à deux mètres les uns des autres, la règle du confinement dans nos appartement, nos maisons, tout cela pourrait nous rendre apathiques, renforçant la solitude. Mais la solidité de notre endurance ne se nourrit pas de solitude, mais de solidarité. Et c’est peut-être un des grands enseignements de ce temps, à ne pas oublier trop vite : la crise que nous vivons suscite de nouvelles solidarités, de nouvelles sollicitudes pour celles et ceux qui sont plus exposés, plus fragiles que nous. Notre texte exprime cette solidarité en disant : « vous avez pris part à la souffrance des prisonniers », et il est vrai que nous devons être en souci aujourd’hui pour les prisonniers : comment lutter contre la contagion du coronavirus quand les prisons contiennent deux ou trois fois plus de prisonniers qu’il n’y a de places ? Il en va de même pour les requérants d’asile, les grands oubliés de la solidarité : les instances de l’asile sont interpellées pour appliquer les règles de confinement dans les centres, mais elles semblent être plus soucieuses de se munir de vitres en plexiglas pour continuer leurs auditions et leurs décisions de renvoi ! Et je n’ose même pas imaginer quels ravages le coronavirus pourra faire, est peut-être déjà en train de faire dans les camps surpeuplés des îles grecques, où des dizaines de milliers de personnes vivent entassés, malades, mal nourries, sans moyens d’hygiène. La solidarité doit être pour tous sans distinction, sans exclusion. Non, nous ne laisserons pas l’amour du grand nombre se refroidir !
Au vu de toute cette situation, nous pourrions succomber à la résignation, à un sentiment tragique d’impuissance. Mais cela nuirait fort à notre endurance. Nous avons besoin d’un ressort spirituel, qui nous redonne sans cesse le courage de vivre avec sérénité et confiance, la persévérance de faire ce que nous pouvons, chacune et chacun avec ses forces et ses faiblesses. Un conte originaire des Andes raconte qu’un grand feu ravage la forêt. Tous les animaux fuient et assistent à la catastrophe de loin, tétanisés. Sauf un colibri qui vole à la rivière, prend une goutte dans son bec et va la jeter dans les flammes, revient à la rivière, reprend une goutte, va la jeter dans les flammes, et ainsi de suite. Les autres animaux lui demandent : « Qu’est-ce que tu fais là ? » Sans s’arrêter, le colibri leur répond : « Je fais ce que je peux ! »
Ce ressort spirituel, qui nous permet de ne pas capituler, de continuer malgré tout, de trouver notre force dans ce « malgré tout », c’est l’humour. C’est lui qui nous donne cette liberté intérieure qui alimente l’endurance, c’est lui qui lui donne ce bon alliage de résistance et de souplesse que les psychologues, après les physiciens de la matière, appellent la résilience.
« À peine aviez-vous reçu la lumière que vous avez enduré un lourd et douloureux combat », dit l’épître aux Hébreux. Mais elle ne dit pas que cette lumière a disparu. Elle continue d’éclairer le combat, telle est la conviction qui soutient l’endurance. Cela, nous pouvons le vivre, sous un angle spirituel, dans la prière : en pouvant mettre des mots sur nos expériences, en pouvant les exprimer par des paroles qui nous ont été transmises et qui sont porteuses de lumière, nous pouvons laisser un peu de lumière se répandre dans le monde, pour illuminer les ténèbres des souffrants. J’en suis frappé, c’est ce que demande, dans l’ArcInfo de ce matin, le chirurgien des cœurs d’enfants René Prêtre, en s’adressant aux aînés : « Nous savons que vous aimeriez nous aider. Vous n’avez pourtant que ce confinement et peut-être vos prières à nous offrir. Mais, offrez-les-nous ! L’un et l’autre nous aident, l’un et l’autre nous sont importants. »
Mais le médecin appelle aussi les aînés, il nous appelle toutes et tous aussi, à la reconnaissance, une reconnaissance à l’égard de toutes et tous ceux qui travaillent sans répit au soin des malades. Et notre endurance, c’est aussi cette reconnaissance à l’égard de tout ce qui est fait pour nous, quotidiennement. C’est avec un humour émouvant que René Prêtre appelle à cette reconnaissance : « à 21h, applaudissez nos soldats qui, au front, se battent avec tant de bravoure. Moi, je le fais avec une grosse cloche d’alpage. Elle a été fondue à mon nom par le père d’un enfant à qui j’avais réparé le cœur. J’ai longtemps pensé qu’elle n’aurait qu’une valeur décorative, jusqu’à aujourd’hui où, tous les soirs, elle résonne de son grave carillon sur mon quartier. »
Chers frères et sœurs, « c’est d’endurance que vous avez besoin. » En cette fin de mars, notre endurance est à l’école du chemin de la Passion, de la montée vers Vendredi-Saint et Pâques. Mais nous devons nous préparer à des célébrations très particulières, et notre endurance devra se nourrir de simplicité. Les cultes se feront dans des cathédrales, des collégiales, des basiliques, des temples vides. L’épître aux Hébreux nous appelle à nous souvenir que nous sommes entourés d’une « nuée de témoins » (Hébr 12,1). Alors nous nous souviendrons de ces témoins de jadis qui ont célébré leurs cultes en des gestes simples, dans l’intimité, dans des maisons particulières, ou dans les catacombes, ou encore à l’affût dans les forêts des Cévennes, sous les ponts ou dans les grottes du Jura. Et peut-être que le message de Pâques retentira de manière d’autant plus élémentaire : « La mort a été engloutie dans la victoire. Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? »
Amen, qu’il en soit ainsi.