Homélie par le pasteur Hyonou Paik pour dimanche de Cana le 19 janvier 2020

Homélie par le pasteur Hyonou Paik pour dimanche de Cana le 19 janvier 2020

Jn 2,1-12

La gloire de Jésus, c’est-à-dire la présence de Dieu parmi les humains, est révélée par ce qui se passe à Cana de Galilée. La joie attendue pour la fin des temps, symbolisée dans la surabondance du vin aux noces, pousse les disciples à croire en lui. Il est le Christ, l’envoyé de Dieu ; il vient nous sauver, à l’heure et à la manière de Dieu.

Entendre une vérité est une chose, l’accueillir et la transformer en la foi en est une autre, comme le dit bien un proverbe disant que le chemin le plus long qu’un être humain ait à parcourir est le chemin allant de la tête à son cœur. Dans ce sens-là, le visage de la foi représenté en la mère de Jésus est une grande source de méditation. Marie a su exprimer sa confiance en son fils en le priant dans une situation de manque, de détresse. Elle nous inspire ainsi d’être une Église qui veille et prie en toutes circonstances. Dieu n’agit certes pas sous la pression des circonstances, et notre prière risque toujours d’être en décalage avec le moment et le moyen choisi par Dieu. Mais sans prière et vigilance spirituelle, nous ne saurons pas reconnaître ce dont nous avons besoin vraiment ni ce que Dieu nous donne comme les vrais biens de notre vie.

Mais ce matin, je voudrais méditer avec vous plutôt sur une autre figure de la foi dans l’histoire, certes tout à fait secondaire mais tout aussi évocatrice que Marie : les serviteurs anonymes aux noces de Cana. En effet, si les attitudes de la mère de Jésus nous rappellent cette distance à parcourir entre la tête et le cœur, les actes des serviteurs qui ont dû porter des cruches d’eau pour remplir les jarres m’évoquent la distance à franchir entre ma décision de me lever et le sol à côté de mon lit un matin où je n’ai vraiment pas envie de quitter ma couette.

Avertis par Marie et selon l’ordre de Jésus, ces serviteurs remplissent d’eau les jarres de pierre. Mais vous vous rendez compte ? Ces jarres sont destinées aux rites de purification, que l’on accomplit avant le repas. Les invités sont déjà à table depuis un bon moment au point qu’il manque du vin. Imaginez un instant : lors d’un souper avec les invités, au moment de passer au dessert, celui-ci manque, et ma femme me demande d’aller chercher… les biscuits apéritifs ; je ne suis pas sûr si je prendrais sa demande au sérieux, même si ma belle-mère m’avait auparavant demandé de faire quoi qu’elle me dise. En plus, Jésus ne demande pas d’apporter une ou deux cruches d’eau mais de remplir six jarres qui peut contenir chacune de deux à trois mesures. Cela veut dire qu’on est en présence d’environ six-cents litres d’eau à transporter. Sans eau courante, ils ont dû faire je ne sais combien d’aller-retour jusqu’au puits ou à la fontaine la plus proche pour les emplir jusqu’au bord.

Il est vrai que nous n’avons pas le droit de faire dire ce que le récit ne raconte pas. Il n’y a pas lieu ici de faire l’éloge d’une obéissance aveugle qui répond à un ordre de prime abord absurde. L’évangéliste ne s’y intéresse pas, et en en spéculant arbitrairement, nous passerions à côté de l’essentiel, c’est-à-dire ce que Jésus fait de tout cela et ce qu’il révèle par conséquent au sujet de la présence de Dieu parmi nous.

Mais cela étant dit, dans notre vie, dans notre chemin de la foi, combien de fois nous avons l’impression d’être dans une situation semblable à celle de ces serviteurs. Nous prions et marchons sur le chemin de la paix, de la justice, de l’amour, au nom de Dieu en Jésus-Christ, et nos prières et nos marches semblent parfois porter les fruits tant attendus. Or, un instant plus tard, nous avons l’impression que rien n’a été accompli, que Dieu nous demande de faire ce que nous avons déjà essayé, ce que nous pensons qu’il est inutile de refaire.

Prenons un exemple de circonstance en ce début de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Ces dernières années dans notre région, beaucoup ont élevé la voix pour crier au recul sur le chemin de l’unité entre les chrétiens. Peut-être avons-nous été rattrapés par un des fantasmes du temps moderne qui nous fait imaginer que ça ira mieux automatiquement avec le temps, en nous imaginant être montés dans un téléphérique qui nous mènerait désormais inlassablement vers le sommet de l’unité. Devant de nouveaux défis œcuméniques, certains ont l’impression que nous avons déjà fait ce chemin une fois, deux fois, trois fois, et que nous sommes toujours au même endroit, voire que nous avons reculé.

Vous le savez sans doute, la COTEC, c’est-à-dire la Communauté de travail des Églises chrétiennes du canton de Neuchâtel, est en train de réviser ses statuts ces temps-ci. Cet organe cantonal avait vu le jour il y a plus de trente ans avec nombreuses tâches dont la première était « la prise en considération des propositions de l’Assemblée Synodale Œcuménique Temporaire qui s’est tenue dans le canton de Neuchâtel de 1981 à 1986 ». Or, avant-hier, en consacrant une journée de rencontre et de travail à l’avenir de la COTEC, les délégués ont dû se rendre à l’évidence que ce point de repère – si précieux qu’il soit – n’était plus qu’un repère historique pour nous. Nous avons décidé de reprendre le chemin de nouvelles réflexions et actions communes sans être nostalgiques ni revendicateurs d’un passé.

Oui, nous ressemblons à ces serviteurs qui se mettent à nouveau sur le chemin, les lourdes cruches sur l’épaule, vers le puits. Mais ne pensez pas que je m’attriste. Au contraire ! Car, au fond, il n’y a pas de chemin vers l’unité si nous pensons que cette unité est quelque chose à atteindre par nos propres efforts. L’unité est un don de Dieu. Nous sommes là pour en témoigner. Dans ce sens, il n’y a pas de chemin vers l’unité mais le chemin pris ensemble est l’unité[1]. A chaque époque, à chaque lieu, l’Église se retrouve devant ses jarres de pierre à remplir au nom de Jésus-Christ. Chacun et chacune est invité-e sur ce chemin entre le puits et la maison des noces, avec sa modeste cruche. La seule question qu’il vaille la peine de poser sur le chemin est celle-ci : « Quel bon vin Dieu en sortira-t-il ? ».

 

[1] Je détourne la citation de Ghandi : « Il n’y a pas de chemin vers la paix, la paix est le chemin. »

Homélie par le pasteur François de Charrière, 16 janvier 2020

Homélie par le pasteur François de Charrière, 16 janvier 2020

 ça se passe en trois jours, comme souvent pour entrer dans la grande Vie!

Premier jour, les enquêteurs viennent interroger Jean-Baptiste: – Pourquoi baptises-tu ?

  • Moi, je baptise dans l’eau… et vient celui que vous ne connaissez pas.

Peine perdu votre enquête, même s’il se tient parmi vous! Vous n’en voyez pas la lumière, vous ne l’avez pas accueilli. La froide enquête à distance et sans s’impliquer n’apporte pas de résultat: vous ne le connaissez pas !

 

Deuxième jour: Jean-Baptiste regarde et entend.

Il regarde Jésus qui vient et il entend Celui qui l’a envoyé baptiser. Tout est dans le regard et l’écoute. Jésus ne vient pas se faire baptiser, cela s’est déroulé antérieurement. Jésus ne dit rien, il reste silencieux, il passe seulement. Il n’y a que le regard de Jan-Baptiste sur sa vocation, sur sa vision et sur Jésus qui vient. Lui non plus ne le connaissait pas, il a simplement poursuivi sa vocation de baptiser dans l’eau et s’est souvenu de l’appel de Dieu. Son regard nourrit à l’écoute de son être spirituel profond devient vision, révélation: le voici celui qui baptise dans l’Esprit-Saint!

Sa vision lui donne alors de proclamer trois paroles puissantes: – Voici l’agneau de Dieu !

– Il est le Fils de Dieu ! – Le Saint-Esprit demeure sur lui !

Demeurer est le verbe de la foi, de l’attachement fidèle, du combat spirituel. Ce verbe signifie aussi avoir un désir. Quand je demeure dans un lieu, c’est que je le désir et qu’il est pour moi source de désir. C’est bien une parole de désir que Dieu a dite à Jésus lors de son baptême: – je mets en toi toute ma joie. Demeurer, c’est bien plus que toucher, c’est envelopper. Ce Jésus qui est enveloppé par le Saint-Esprit, est alors à même d’immerger dans l’Esprit Saint, ceux qu’il choisit pour disciples.

Qu’est-ce que Jean-Baptiste ou l’évangéliste Jean a du comprendre en parlant de Jésus comme «agneau de Dieu» ?

St-Jean n’évoque jamais la Croix comme sacrifice d’expiation et jamais il ne parle du texte d’Ésaïe 53 où il y a cet agneau qui se laisse faire. Il fait plus sûrement allusion à l’agneau pascal, fête de la libération des oppresseurs de l’Égypte. Il fait sept mentions de la Pâque juive dans son évangile. Par exemple: les vendeurs chassés du Temple, la multiplication des pains, l’onction à Béthanie, le lavement des pieds et durant son procès. L’agneau ne vient pas expier le péché du monde mais le supprimer. Jean-Baptiste voit le Messie plus fort que lui, venant pour la purification et le jugement, la pelle à vanner à la main. Jean-Baptiste sera très déçu quand Jésus ne répondra pas à ces attentes-là.

Jean-Baptiste devait aussi connaître une tradition inter-testamentaire où l’agneau est vu comme un jeune bélier cornu, symbole d’un roi puissant ou d’un libérateur victorieux. Cette figure de l’agneau victorieux traverse aussi tout l’Apocalypse.

L’agneau est donc une figure puissante, énergique, qui règne, transforme le monde et supprime le péché. C’est un Messie vainqueur et glorieux qui peut inspirer la crainte. Contre l’image d’un Dieu gentil, naïf et doucereux. J’aime ce regard de Jean-Baptiste qui montre la force de l’agneau qui renverse les puissants de leur trône.

 

Troisième jour: le regard de Jésus.

Ici Jésus n’appelle pas ses disciples. C’est de nouveau le regard de Jean-Baptiste et sa proclamation qui mettent les disciples en route avec Jésus.

Jésus se retourne et contemple André et l’autre disciple !

Retournement, ils ne suivent plus Jean-Baptiste mais Jésus.

Quelle profonde expression: Jésus te contemple! Quelle force du regard ! Chers Amies et chers Amis, où que tu en sois dans ta marche avec le Christ, Jésus te contemple, il t’accueille, il reconnait ta personne et ton désir. Jésus perçoit ce qui est en train d’émerger, de naître et de grandir en toi.

Jésus les contemple puis ne leur demande pas: – Pourquoi me suivez-vous ?

mais – que cherchez vous ?

C’est à dire il invite à voir plus loin que lui-même, le projet de vie et de création que le disciple est appelé à faire émerger et accomplir là où il va. Jésus le médiateur, le facilitateur de ton désir profond, vrai, indestructible. Il fait monter une sève de vie dans tous les membres de ton être pour te donner un nouveau lieu où demeurer.

– Où demeures-tu ? Qu’est-ce qui t’enveloppe et te fait vivre? De quel baptême es-tu couvert ? Dis-moi quel est ton lieu de vie et je te dirai qui tu es !

– Où demeures-tu ? C’est à dire, initie-nous à ta mission, au projet , au désir de Dieu pour nous sur la terre.

– Venez et vous verrez, dit Jésus à André et l’autre disciple.

– Viens et vois, dira André à Simon. André déjà transformé par le regard de Jésus ne perd pas de temps pour chercher d’autres disciples !

 

Viens, marchons ensemble et aiguise ton regard de foi, tente toi aussi de regarder, de contempler ton prochain pour le mettre en route vers son désir profond.

Contempler: un regard si profond qu’il baptise dans l’Esprit-Saint…

Homélie par le pasteur Jean Philippe Calame pour le culte d’adieu de soeur Danièle

Homélie par le pasteur Jean Philippe Calame pour le culte d’adieu de soeur Danièle

Mes sœurs, mes frères, Georges Bernanos partage par l’un de ses personnages l’intuition suivante : une parenté avec un lieu particulier de l’Evangile  est préparée pour chacune, pour chacun de nous ; telle scène peut nous attirer, telle situation rapportée par l’Evangile peut nous façonner de manière essentielle, parce qu’il s’agit d’un lieu de l’Evangile qui correspond à l’appel unique que le Seigneur adresse en propre à chacun, chacune de nous. Pour notre sœur Danièle, ce lieu a été probablement l’intimité vécue par Jésus avec son Père. Intimité que Jésus est disposé à partager, puisqu’il demande précisément : « Père, je veux que là où JE SUIS, ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi ». Dans l’intimité même du Seigneur, sœur Danièle, cette si rayonnante terrienne, a trouvé la racine robuste de la joie et le terreau de la générosité ! Son lieu particulier dans l’Evangile n’a-t-il pas été l’heure où Jésus a exulté de Joie sous l’action de l’Esprit ? À cette place-là, sœur Danièle a cherché et trouvé la bonne part. « Pour moi, approcher Dieu est mon bien ». Les mots qui sortent de la bouche de Jésus  à cette heure-là, rendent palpable l’essentiel de l’Evangile : la louange « Je te loue, Père » ; la simplicité « Tu as choisi de te révéler à qui n’a pas le cœur fier, aux petits » – or Jésus se fait le plus petit – ; et la miséricorde « Vos noms sont inscrits dans les cieux ». Ecartons aussitôt, frères et sœurs, la pensée que la joie exprimée à cet instant par Jésus serait fugace ! Non ! Ce jaillissement révèle plutôt la source de la joie, qui n’est rien de moins que la vie de communion partagée par le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Communion unissant le Père qui ne sait que donner, l’Esprit dont l’allégresse est de transmettre tout don, et Jésus le Fils, dont la hâte est d’aimer le plus humble ou le plus éloigné du même amour que le Père qui l’a envoyé. La joie qui jaillit ici a la longévité de l’amour éternel du Père, amour dont Jésus vient de reconnaître l’influence dans l’exultation de ses bien modestes disciples. Comme le Petit Prince marchait lentement vers une fontaine pour goûter quel trésor l’eau représente, sœur Danièle n’a cessé de marcher vers cette intimité de Jésus louant son Père dans l’élan de l’Esprit, afin de vivre à partir de ce lieu-là l’existence sur notre terre. Elle y a reçu notamment la disposition à discerner avec acuité combien la beauté se nourrit de la simplicité : « Par ta lumière nous voyons la lumière » ; et comment l’espérance trouve sa force dans la bienveillance du Père. « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ : dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance grâce à la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts. »  Il nous arrive parfois, frères et sœurs, de soupirer devant la densité des lettres de Paul ou de Pierre. C’est souvent parce que nous sommes pressés de cueillir… là où nous devrions observer, œuvrer, revenir et persévérer, comme sœur Danièle savait le faire pour entretenir une plate-bande de fleurs et de rosiers. Si les lettres des apôtres nous résistent, c’est aussi parce que nos esprits savants ne voient que des idées et des concepts là où les mots parlent simplement -mais avec précision- d’expérience vécue. Une témoin comme sœur Danièle peut alors nous prendre par la main. Et je vous invite, mes sœurs et mes frères, qui avez aimé sœur Danièle, à faire l’expérience : relisez la si grande et si profonde louange par laquelle l’apôtre Pierre ouvre sa première lettre. Lisez, relisez lentement cette louange en la mettant côte à côte avec des souvenirs que vous avez de notre sœur. Et vous découvrirez combien la vie concrète d’une personne toute humaine peut refléter l’œuvre qui suscite la louange de l’apôtre, l’œuvre infinie et bouleversante de Dieu. Ainsi, par exemple, le mot « miséricorde » s’incarnait dans la manière dont sœur Danièle savait écouter. On la voyait la tête inclinée avec attention, et même une épaule penchée, signe de compassion, son oreille s’approchant ainsi du cœur, tandis que son regard vous rejoignait non pas de haut, mais de la terre des humbles, du milieu des petits. « Dieu nous a fait renaître », dit encore l’apôtre, et la nouvelle naissance dont il parle n’est pas une figure symbolique du langage. Pensez à la figure qu’a été pour nous sœur Danièle, chez qui nous avons pu goûter le renouvellement surprenant de la nouvelle naissance, la vitalité de l’être, la joie fine de l’humour, la spontanéité de l’enfant jusqu’au terme de son grand âge. Attestation de l’héritage d’une vie renouvelée, qui ne connaît pas de vieillissement, qui ne se flétrit pas, mais que les rides elles-mêmes parviennent à chanter ! «Dieu nous a fait renaître pour une espérance vivante » : malgré les limitations, les douleurs, les souffrances de soi-même et du monde, sœur Danièle tenait l’espérance toujours à portée de main, à portée de cœur. Ce que je garde précieusement des moments où nous avons échangé des sujets importants et parois graves – alors qu’elle tenait toujours un sécateur ou des branches à la main- c’est le retournement que son bon sens et sa foi opéraient pour donner en viatique un encouragement. Que de fois et pour combien d’entre nous cette témoin aura su pratiquer l’émondage des branches mortes de l’anxiété et l’élimination des pousses gourmandes de l’esprit de victimes… « Vous exultez d’une joie inexprimable » remarque l’apôtre Pierre. Une joie qui dans le monde va se faufiler avec une détermination aussi étonnante que son expression est simple et pourrait bien passer inaperçue… Ainsi, en ces dernières semaines, sœur Danièle pouvait au même instant dire en toute réalité : « Je n’en peux plus… », et ajouter en toute vérité : « Je suis heureuse, avec mes sœurs ». Et précisément, une sœur confie : « Je suis allée lui apporter la communion dans sa chambre. Ce n’était plus l’Arche, ni la chapelle de l’Amandier. Sœur Danièle ne pouvait plus entendre le détail des paroles. Mais le climat, la tonalité de la célébration l’entouraient et la portaient. Elle faisait un avec la réalité à laquelle la liturgie nous relie. En sa personne, la liturgie avait pris chair. Elle était prière.  Or la louange évangélise, incomparablement. La louange apporte la fraîcheur d’une bonne nouvelle. La joie qui chante à l’intérieur de l’être crée des liens. La louange porte un fruit qui surprend : l’audace ! C’est l’élan généreux qui veut partager. C’est l’élan qui rend intrépide, ce qui arrive lorsqu’on est amoureux ! Ainsi, Un jour, sur un quai de gare, des jeunes sont là avec des instruments de musique. Sœur Danièle les aborde et leur demande : « Qu’allons-nous jouer ensemble ? ». Surprise de ces jeunes, apprivoisement dont sœur Danièle a le secret, temps de recherche pour trouver un élément de culture commune ! Finalement, cette petite cellule temporaire de communion joue et chante joyeusement : « Mon beau sapin ! »… Elevez votre chant, que votre louange s’élève dans les hauteurs ! Pour ses 90 ans, sœur Danièle fait un vol comme passagère d’une montgolfière. Une fois l’altitude atteinte, voici qu’elle sort une flûte douce et se met à jouer : « Que ma joie demeure ! ». « Loué sois-Tu, Seigneur, pour ces pages, dont toi seul connais le nombre », par lesquelles sœur Danièle a continué l’Evangile… « Père, je veux que là où JE SUIS, ceux que tu m’as donnés soient aussi avec moi ». Cette prière ne parle pas seulement du jour où nous serons en présence du Ressuscité au-delà de la mort physique. Cette demande de Jésus à son Père concerne déjà notre existence humaine sur la terre : dès maintenant nous pouvons aspirer à nous tenir là où se trouve Jésus vivant ; nous pouvons accueillir de lui son regard sur le monde, devenir compagnons d’espérance avec celles et ceux qui habitent notre existence ou croisent notre chemin. « Demeurez en moi comme moi je demeure en vous » : voilà vers quelle habitation nous devons marcher pour y établir notre stabilité la plus profonde, la plus vraie. Pour unir une dernière fois sa demeure intérieure et sa demeure communautaire, sœur Danièle a désiré revenir à Grandchamp ; elle a accueilli comme un exaucement de pouvoir se confier encore à la sollicitude et à l’amour de ses soeurs, et en ce lieu aimé, de s’abandonner à Dieu. À l’aube, à l’heure où les femmes devançaient le lever du soleil pour se rendre au tombeau, Celui qui est sorti du tombeau, Jésus Ressuscité, que sœur Danièle a tant aimé, est venu à sa rencontre pour recueillir sa louange et rassembler toute sa vie dans l’accomplissement de sa grâce. Amen.
Soeur Minke – Chemin de Croix – Introduction

Soeur Minke – Chemin de Croix – Introduction

Méditations et prières préparées par sœur Minke à la demande du pape Jean-Paul ll pour la célébration du Chemin de Croix du Vendredi Saint au Colisée, à Rome, en 1995.

De l’introduction :

Nous sommes ici pour suivre ensemble Jésus sur son chemin d’amour, sur son chemin de Croix. Nous allons le suivre pas à pas dans sa passion telle que nous la décrit St Marc, l’évangéliste (St Luc et St Jean pour certains passages), en commençant par Gethsémani. Nous allons contempler Jésus subissant le rejet, la torture, le mépris… sans jamais pour autant fermer son cœur, et en allant jusqu’à la mort la plus abjecte (…)

Car notre monde – toute l’humanité, la création même – est en agonie. (…) Le cri d’une immense souffrance monte vers Dieu.

La source de cette souffrance, c’est l’éloignement de Dieu. Jésus l’a portée jusque dans sa conséquence ultime, la mort, et c’est ainsi qu’il l’a vaincue. « Il faut porter la souffrance pour qu’elle passe,… et c’est justement parce que Jésus boit la coupe qu’elle passe. » (Dietrich Bonhoeffer dans « Le Prix de la grâce »)

Il a pris sur lui le poids de péché qui nous sépare si facilement du Père et les uns, les unes des autres, dans les familles, les couples, les communautés, les nations, dans l’Église même, Corps du Christ, entre les nations, les peuples, entre les différentes Églises.

Le mystère de la Passion de notre Seigneur Jésus Christ, de sa mort et de sa Résurrection, est au centre de la foi de tous les chrétiens. Source de notre unité, de notre réconciliation, la Croix est plantée au cœur de l’histoire de l’Église et du monde, au cœur aussi de nos histoires personnelles.

Sur ce chemin, nous serons confrontés avec nos propres impossibilités de suivre Jésus jusqu’au bout, de répondre vraiment à l’Amour infini de Dieu. Les racines de peur, de mépris, de haine, de désir de puissance, de domination… qui divisent et séparent ne sont-elles pas en nous aussi ?

Mais, en suivant Jésus dans sa passion, puissions-nous saisir plus profondément jusqu’où il est allé dans sa compassion, et ce que cela signifie comme espérance pour nous aujourd’hui, pour toute l’Église et pour le monde.

Viens, Saint-Esprit,
illumine les yeux de notre cœur
pour que nous puissions méditer le chemin de notre Sauveur,
le garder dans notre cœur comme l’a fait Marie sa Mère.
Elle l’a suivi jusqu’au bout,
elle l’a enseveli ;
un glaive a transpercé son âme,
mais elle n’a jamais perdu confiance,
elle qui, trois jours plus tard, l’a vu ressuscité !

Ici vous trouverez la 1ère station

Bénédiction de Sœur Anne-Emmanuelle, méditation de frère Alois

Bénédiction de Sœur Anne-Emmanuelle, méditation de frère Alois

Grandchamp 18 septembre 2016

Quelles belles lectures nous venons d’entendre ! Je suppose, chère sœur Anne-Emmanuelle, que vous les avez choisies non seulement pour la méditation de ce jour, mais aussi parce que vous souhaitez les mettre en exergue de votre ministère. Alors laissons-les résonner en nous.

Vous êtes désormais servante de la communion parmi vos sœurs, non pas à la tête mais au cœur de la communauté. La communion, c’est un mot-clé à Grandchamp, comme aussi à Taizé. Il s’agit d’une communion qui se déploie en de multiples dimensions. Aujourd’hui j’en mentionne quatre.

A la source, il y a la communion personnelle avec Dieu, avec le Christ. Dans l’Évangile de Jean, Jésus en parle avec des mots que nous n’aurons jamais fini de méditer : « Demeurez dans mon amour ! » Le Dieu d’amour nous offre de vivre dans une toute simple communion avec lui, nous en lui et lui en nous, communion nourrie et renouvelée par la parole et par l’eucharistie. Là est le centre même de la vocation des sœurs de Grandchamp.

Demeurer dans son amour suppose de persévérer dans une attente contemplative. Être là, gratuitement. Dans le silence, telle parole de la Bible peut grandir en nous. Dans de longs silences où apparemment rien ne se passe, Dieu est à l’œuvre, sans que nous sachions comment. La Vierge Marie est l’image d’une attente silencieuse mais ardente de Dieu. Depuis toujours, elle était aimée de Dieu et préparée pour ce qu’il allait lui demander. Et pourtant aucun de ses voisins ne pouvait deviner le mystère que Marie de Nazareth portait. C’est vrai aussi de chacune d’entre vous, chères sœurs. Les plus grands mystères ne se passent-ils pas dans un profond silence ?

L’existence que vous menez à Grandchamp montre que la vie contemplative ne va pas sans une certaine ascèse. Une ascèse qui ne vise pas d’abord un perfectionnement personnel, mais rend plus aptes à la communion avec les autres. C’est un chemin qui conduit vers un dépouillement : dépouillement de sa volonté, de son attachement aux biens matériels, et peut-être même de sa propre spiritualité. « Heureux les pauvres », dit Jésus. Mais il est impossible de parler d’ascèse sans parler de louange, cette louange qui vous réunit plusieurs fois par jour. Elle peut être parfois une louange balbutiante mais elle monte du plus profond de l’être. Comme dit l’apôtre Paul, « chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance, par des psaumes, des hymnes et des chants inspirés par l’Esprit. »

La communion avec Dieu se développe dans une deuxième dimension : la communion fraternelle fondée sur l’amour réciproque. C’est une priorité. Sans elle, une communauté pourrait accomplir des œuvres magnifiques, le signe de Dieu resterait voilé.

Votre service de prieure, chère sœur Anne-Emmanuelle, ce sera de susciter l’unité dans la communauté, de réveiller toujours à nouveau l’amour fraternel. Jésus dit que l’amour fraternel est un reflet de l’amour de Dieu : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés… Vous êtes mes amis… Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.» Dans l’amour mutuel de ceux et de celles qui suivent le Christ, l’amour réciproque de la Trinité est présent sur la terre. L’apôtre Paul décrit cet amour de manière très concrète : « Revêtez des sentiments de compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience. Supportez-vous les uns les autres, et si l’un a un grief contre l’autre, pardonnez-vous mutuellement.» C’est dans les attentions de chaque instant que la fraternité est vécue, c’est dans la vie quotidienne qu’elle rencontre aussi des résistances redoutables. Dans une communauté, comme dans une famille, on ne choisit pas ses frères ou ses sœurs. La communauté est un lieu où nous devons travailler aux dépassements de nos résistances. Si celles-ci ne peuvent pas être surmontées dans une communauté, comment le seront-elles à une échelle plus vaste ?

Vous vous demandez, sœur Anne-Emmanuelle, de quelle manière susciter toujours cet amour réciproque. Lorsque, voici très longtemps, frère Roger m’a demandé de me préparer à assumer après lui la responsabilité de notre communauté, il ne m’a pas donné de directives, il ne m’a pas dit comment je devrais exercer cette charge. Je ne vais pas non plus vous donner des conseils. Mais frère Roger a laissé ces mots dans la Règle de Taizé : « Pour le prieur, comme pour ses frères, le discernement, l’esprit de miséricorde, une inépuisable bonté de cœur, sont des dons irremplaçables. » Il est une prière que je prononce alors volontiers : « Que ton souffle de bonté me conduise ». Suspendue à ce souffle, vous pourrez avancer.

La troisième dimension de la communion, c’est qu’elle peut devenir missionnaire. Plus encore qu’aux personnes prises individuellement, beaucoup sont attentifs au témoignage d’une communauté. Frère Roger parlait de « parabole de la communauté ». Une parabole, c’est un récit simple, mais qui renvoie à une réalité d’un autre ordre. Toute vie consacrée à Dieu et au service des autres peut devenir parabole. Dans un monde où beaucoup cheminent comme si Dieu n’existait pas, le fait que des hommes, ou des femmes, ou des couples, s’engagent pour toujours à la suite du Christ pose question. Si le Christ n’était pas ressuscité, ces hommes ou ces femmes ou ces couples ne vivraient pas ainsi. Leur vie constitue un signe du Christ mystérieusement présent dans le monde.

De manière plus spécifique, votre communauté de Grandchamp, notre communauté de Taizé, voudraient être de petites paraboles de l’unité des chrétiens. En outre, en accueillant des membres d’origines de plus en plus diverses, nos communautés souhaiteraient que l’harmonie de la vie commune soit un signe de communion aussi entre différents visages de la famille humaine. C’est un chemin difficile où il importe de ne pas se laisser paralyser. Ne pas avoir peur de l’autre, ne pas juger, ne pas se sentir jugé, ne pas interpréter les choses de manière négative. Et surtout ne jamais refuser sa communion fraternelle. Cela nous renvoie au Christ : lui seul peut unir vraiment tout.

Une dernière dimension à laquelle votre communauté est tellement sensible, c’est l’élargissement de la communion à tous les humains et en particulier aux plus pauvres. Ce n’est pas pour rien que, en cette veille du jeûne fédéral, vous avez choisi ce texte d’Ésaïe : « Le jeûne que je préfère, dit Dieu, n’est-ce pas de partager ton pain avec l’affamé ? » L’espérance du Christ que nous puisons dans la prière, comment la partager avec d’autres face à la grande pauvreté, aux injustices, aux menaces de conflits ? Quand nous prenons conscience de l’amitié que Dieu a pour chacun et chacune de nous, nous découvrons un nouveau courage pour élargir notre amitié à tous ceux qui nous sont confiés et en particulier aux  personnes les plus vulnérables.

La miséricorde et la compassion ne sont pas seulement des sentiments, nous avons besoin de courage pour aller vers les autres, dépasser des frontières, des déchirements, nous approcher des situations de détresse que nous rencontrons. Nous avons aussi besoin d’imagination pour découvrir des gestes tout simples d’accueil et de présence parmi les exclus, les plus pauvres. C’est alors, dit encore Ésaïe, que « ta lumière se lèvera dans les ténèbres. »

Chère sœur Anne-Emmanuelle, au moment où vous commencez le ministère de communion qui vous a été confié, vous vous rappelez ces mots du Christ : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisie pour que vous portiez du fruit. » Fondé sur cette promesse, je voudrais conclure en vous adressant une parole de confiance. Je vous ai rencontrée pour la première fois au Brésil, voici des années, au moment de l’assemblée générale du conseil œcuménique des Églises. Alors j’avais vu déjà que le souci de l’unité, de la communion, vous habitait profondément. Ce don déposé en vous portera beaucoup de fruits.

Chère Sœur Pierrette, pendant 17 ans, vous avez animé la communauté de Grandchamp. Quand vous avez commencé, c’était impressionnant pour vous de prendre votre place dans cette lignée de femmes qui ont été, chacune à sa manière, exceptionnelles, Mère Geneviève, Mère Marie, Sœur Minke. Aujourd’hui, ce qui l’emporte dans le cœur de tous, c’est la gratitude à votre égard, pour la manière dont vous avez exercer votre ministère. Chacun, chacune vous exprimera sa gratitude particulière. La mienne, c’est que vous m’avez aidé à comprendre combien il était important de renforcer les liens entre nos deux communautés. Nous les frères, nous l’avons exprimé en venant tous passer quelques heures ici à Grandchamp après notre rencontre européenne de Genève. Cette proximité approfondie et renouvelée continuera. Nous allons tous de commencement en commencement. Chère sœur Pierrette, vous avez devant vous un commencement, une nouvelle étape de votre ministère. Puis-je me permettre de vous suggérer : Venez à la rencontre européenne de Riga, et, dans les prochaines années, venez passer des périodes à Taizé. Votre don d’écoute sera précieux pour beaucoup.

Chères sœurs de Grandchamp, il reste un mot de Jésus dans l’Évangile de Jean que je n’ai pas commenté : « Que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » Oui, que la joie du Christ continue à traverser votre belle communauté. Poursuivez dans la joie, la simplicité, la miséricorde, selon l’Évangile. Et n’ayez jamais crainte de devancer l’aurore pour louer et chanter, et bénir le Christ notre Seigneur.

Soeur Minke – Chemin de Croix – Introduction

Soeur Minke – Chemin de Croix

Méditations et prières préparées par sœur Minke à la demande du pape Jean-Paul ll pour la célébration du Chemin de Croix du Vendredi Saint au Colisée, à Rome, en 1995.

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De l’introduction :

Nous sommes ici pour suivre ensemble Jésus sur son chemin d’amour, sur son chemin de Croix. Nous allons le suivre pas à pas dans sa passion telle que nous la décrit St Marc, l’évangéliste, en commençant par Gethsémani.

1ère Station

JÉSUS AU JARDIN DES OLIVIERS

Ils arrivent à un domaine du nom de Gethsémani
et il dit à ses disciples : « Restez ici pendant que je prierai. »
Il emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean.
Et il commença à ressentir frayeur et angoisse. Il leur dit :
« Mon âme est triste à en mourir. Demeurez ici et veillez. »
Et allant un peu plus loin, il tombait à terre
et priait pour que, si possible, cette heure passât loin de lui. Il disait :
« Abba, Père, à toi tout est possible, écarte de moi cette coupe !
Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! »
Marc 14,32-36

Après avoir mangé la Pâque
avec tes disciples, ô Jésus,
et inauguré avec eux le Saint Repas,
avec eux tu descends,
comme de coutume,
dans la vallée du Cédron,
et vous remontez le Mont des Oliviers.

Cette fois, tu t’arrêtes
à Gethsémani
au lieu-dit « le pressoir ».

Tes disciples ont peur.
Où est cette ambiance intime, cette communion
qu’ils viennent de vivre avec toi
dans la Chambre Haute,
alors que tu priais pour eux, pour leur unité ?

Désemparés, ils s’endorment,
appesantis par leur tristesse.

Toi, Jésus, tu sais que ce soir
ton heure est venue ;
cette heure ardemment désirée ;
tu la redoutes maintenant
au plus profond de ton humanité.

Tu veux aller jusqu’au bout de l’Amour…
mais une angoisse immense te submerge à l’idée
d’être livré à tout le déchirement du mal
comme un agneau accablé par le péché du monde…

Tu n’es que supplication :
« Abba, Père, si tu veux,
éloigne de moi cette coupe ! »
Mais ton cœur demeure un cœur de Fils :
« Non pas ce que je veux
mais ce que tu veux ! »
Après avoir supplié trois fois, tu te relèves,
ton oui mobilise maintenant tout ton être d’homme
qui fera corps avec la volonté d’Amour du Père
jusqu’au bout.

Père, ouvre par ton Esprit Saint notre volonté à la tienne
pour que nous ayons la force
de veiller et de prier avec Jésus dans son combat contre le mal.
Et que notre communion à ses souffrances
nous fasse éprouver la puissance de sa Résurrection.

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