Prédication par Yves Bourquin, le 24 novembre 2024

Prédication par Yves Bourquin, le 24 novembre 2024

Mes chères soeurs,

Qu’est-ce que la vérité ? C’est ainsi que se termine le dialogue absurde entre Jésus et Pilate. J’aimerais que vous ayez dans votre tête l’image de ce Pilate, secouant légèrement la tête de dépit en prononçant ces quelques mots… Qu’est-ce que la vérité ?

Ce petit dialogue a une portée immense, car deux réalités inconciliables s’y affrontent. La vérité avec un petit v, celle des humains, celle du monde, celle que l’on peut espérer atteindre par la philosophie, qui cherche la sagesse… et de l’autre côté la Vérité avec un V majuscule, qui fait irruption au milieu de ce procès, dont l’enjeu est l’entier de l’Evangile et qui mènera à la mort du Christ.

La vérité est le sujet même de ma prédication d’aujourd’hui.

Laissez-moi vous dire une chose, si les deux hommes, Jésus et Pilate, avaient réussi à s’entendre au sujet de la vérité, il n’y aurait point eu d’Evangile ! C’est aussi simple que ça. Car l’Evangile atteint son accomplissement dans la mort et la résurrection de Jésus, et toutes les conséquences cosmiques et mondaines que cet événement a eu.

Admettons que les deux hommes, tout humains qu’ils sont se soient assis pour se mettre d’accord. Pilate aurait exposé à Jésus sa vision de sa vérité, « tu vois je suis un chef de guerre romain, je dois faire régner l’ordre, c’est mon devoir, je suis souverain ici, etc. bla bla bla » Et Jésus lui aurait rétorqué, « tu vois, je suis un révolutionnaire, je veux faire connaitre Dieu, et comme mon royaume n’est pas de ce monde, eh bien ma vérité ne vient, en fait, pas te faire ombrage, nous pouvons cohabiter ici, en ce monde, tu t’occupes de tes plates-bandes, je m’occupe des miennes »… Les deux hommes auraient fait « top là », l’accord aurait été conclu et personne ne serait mort… Sauf qu’il n’y aurait pas eu d’Evangile, pas eu de résurrection.

Car, il fallait que le Fils de l’Homme passe par la mort. Jésus n’a de cesse de le répéter tout au long des quatre Evangiles.

C’est pour cette raison que le dialogue entre Pilate et Jésus est aussi absurde, lu de l’extérieur, car les deux protagonistes ne parlent pas de la même chose, ni quand il évoque le sens de la Royauté, ni lorsqu’ils exposent ce qu’est la vérité. Pilate voit la vérité comme la chose la plus subjective qui soit, la plus relative, et pour lui le royaume se vit dans le pouvoir et l’oppression. Pour Jésus, la Vérité est tout autre et son Royaume n’est pas de ce monde.

Pilate parle en minuscule, Jésus en majuscule. Et c’est de dépit que Pilate va le livrer au Juifs, car au moins les juifs parlent à peu près le même langage. Même s’ils ne sont pas d’accord avec la Vérité de Jésus-Christ, et donc la considèrent eux aussi comme une vérité relative, au moins ils savent sur quel plan elle se révèle, et que ce plan n’est pas de ce monde, c’est une vérité ultime, indépassable !

C’est pour cette raison que Jésus demande à Pilate s’il dit cela de lui-même ou si d’autres l’ont dit de lui, lorsqu’il est question de la royauté de Jésus… C’est juste pour savoir si le dialogue va pouvoir s’élever vers la vérité ultime ou en rester à la vérité relative… Visiblement Pilate est de ceux qui relativise la vérité. Ce n’est pas un spirituel.

Bien, mes amis, vous l’avez compris deux mondes s’opposent, la vérité avec un petit v et la Vérité ultime. Nous sommes toutes et tous capables de disserter sur la vérité relative, c’est le propre des relations humaines, de la philosophie et même de la science. Lorsque deux personnes se disputent, dans un couple ou même une communauté de sœurs, elles confrontent leurs vérités subjectives, lorsqu’un philosophe disserte, il fait de même, il confronte des visions différentes, et même Einstein a montré que les lois pourtant a priori immuables de la physique dans certaines conditions devenaient relatives.

Donc, la vérité subjective, on voit tous ce que c’est ! Mais qu’en est-il de la Vérité avec un V majuscule ?

Entrons donc dans le vif du sujet. Je vais essayer avec mes humbles mots, de vous parler de la Vérité, avec un grand V.

Tout d’abord, la Vérité est une irruption, ce n’est pas un chemin de pensées, une théorie. C’est une révélation qui brise les cadres établis et ébranle les certitudes humaines. Cette vérité fait tomber les écailles qui couvrent nos yeux aveugles.

En cela l’image de la Jérusalem céleste est extraordinaire. Elle surgit, vient, et change tout. Elle est là. (l’Amen vient aux milieu des nuées)

Elle fait irruption dans l’histoire humaine, tant sur le plan de la grande Histoire, comme de celui chacune de nos petites histoires individuelles.

C’est une rencontre transformatrice, un moment où l’humain est confronté à quelque chose de plus grand que lui, qui le pousse à réévaluer tout son être.

Dans une perspective « cosmique », l’irruption de la Vérité de Jésus-Christ marque la fin d’un ordre ancien et le début d’une réalité nouvelle. « Un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Apocalypse 21,1)

Cette irruption dérange et réconforte à la fois. Elle n’est jamais confortable. Elle dérange les puissants, expose les mensonges, renverse les fausses sécurités. Elle ne craint pas de dénoncer, ce qui est « de fausses excuses » ou de « faux Dieu ». L’argent partira avec nous dans notre tombe, le pouvoir également.

En même temps, la Vérité apporte une paix inébranlable à ceux qui l’accueillent et procure une solidité.

L’irruption de la Vérité n’est pas une invasion brutale, mais c’est un acte d’amour radicalmotivé par le désir de Dieu de réconcilier toute chose avec lui.

Donc, la Vérité est un surgissement transformateur ultime, que personne ne peut découvrir par lui-même sans l’aide de Dieu. En un instant, tout se transforme et la vie, ma vie, prend un sens nouveau.

Et, de cette action transformatrice, vont découler toute une série de choses nouvelles, qui en sont les fruits :

Le premier fruit, c’est que la Vie va prendre du sens. La quête de la première place, la quête de l’argent, etc. vont passer au second plan, et n’être recherchés plus que comme des moyens pour que rayonne la Vérité. La Vie va prendre du sens car non seulement elle trouve son but, mais chaque être trouve sa dignité dans le fait d’être fils et de fille de Dieu.

Le deuxième fruit de la Vérité, c’est la justice. Le fait que nous sommes toutes et tous filles et fils de Dieu et que notre Père, nous aime toutes et tous d’un même amour, nous oblige positivement à nous mettre au service des uns et des autres. Nous sommes égaux en valeur aux yeux de Dieu, par l’amour qu’il nous porte à chacun, chacune.

Cette égalité dans l’amour, n’ôte pas les différences qui sont entre nous, mais les transforme en autant de moyens, de charismes, que Dieu donne pour faire advenir son Règne dans ce monde. C’est pour ça que la Vérité amène au partage, à l’entraide, à la paix… qui sont des fondements de justice. Les humains doivent se soutenir et être complémentaires les uns, les autres.

Le troisième fruit de la Vérité ultime est la liberté. La Vérité supprime les esclavages. En fait, à bien y regarder, un roi peut être bien plus esclave des autres que ne l’est l’esclave qui est à son service. Un riche peut être très malheureux et donc être à plaindre.

En ayant vaincu la mort, Jésus supprime la peur ultime de l’homme. La mort, ce n’est pas grave, ça se traverse…

Et l’humain libéré de cette peur, parle librement de la Vérité. Il dénonce l’injustice, en dépit des conséquences. Il affronte même ceux qui ont le pouvoir de le mettre à mort ou de l’emprisonner. Car sa liberté vient de la Vérité. Il y a tant d’exemples de ce genre de foi dans l’histoire du salut. Vous y avez déjà réfléchi : pour quelle vérité seriez-vous prêts ou prêtes à donner votre vie ?

Enfin, l’avènement de la Vérité a pour quatrième fruit espérance. C’est grâce à la Vérité ultime qu’on croit encore en l’avenir du monde et que certaines et certains se battent encore pour que le Royaume advienne.

L’adversaire de la Vérité, n’est pas le mensonge, bien au contraire… Le mensonge est un adversaire de pacotille. Le grand adversaire de la vérité, c’est la dilution de cette vérité en un mirage fait de multiples petites vérité relatives. Comme ce que croit Pilate. C’est le relativisme, qui mène au désespoir, au « à quoi bon »… De toutes manière, ça ne sert à rien.

Voilà, mes chers amis, frères et sœurs, ce n’était pas une mince prédication, n’est-ce pas ?

Alors avant de conclure, j’ai encore un mot à vous dire, important. La Vérité ultime n’est et ne sera jamais un fondamentalisme. Car tout fondamentalisme n’est rien d’autre que de croire qu’une vérité avec un petit v est la Vérité ultime. Oh non, la Vérité dont témoigne le Christ ne se possède pas, elle est donnée, elle est pure grâce. Pour vous donner un exemple concret, il y a la même différence entre la Vérité et un fondamentalisme qu’entre un acte d’amour et un viol. L’un est un don partagé, l’autre est tout bonnement un abus ! un abus spirituel avant tout.

Le signe que la Vérité est à l’œuvre se repère simplement lorsque des humains, réunis ensemble, se parlent, s’écoutent et se respectent avec l’intention ferme de créer ensemble et avec Dieu au milieu d’eux, un monde meilleur de justice, d’amour, d’espérance et de paix, prémisse du Royaume de Dieu. « Car, comme le dit l’Evangile, dans Matthieu, là où deux ou trois sont réunis en mon nom, (au nom de la Vérité) je suis au milieu d’eux ».

Amen

Prédication de Pierre Marguerat, le 21 novembre

Prédication de Pierre Marguerat, le 21 novembre

Apocalypse 11, 15 – 19

Mes chères Sœurs et mes chers Frères,

J’aurais pu vous proposer une homélie à propos de Zachée, cette figure qui suscite en nous tant d’amitié. J’aurais pu, mais j’ai choisi de m’arrêter au texte de l’Apocalypse, un passage à découvrir dans la richesse de ses images et de ses symboles.

Le septième ange fit sonner sa trompette.

Dans l’Apocalypse, nombre de choses vont par sept. On parle des septénaires. Le septénaire des sceaux. Le septénaire des trompettes. Le septénaire des coupes.

À chaque fois, il est question d’événements qui frappent l’humanité, avant la fin des temps, avant le jugement.

Je me limite aux trompettes. Les six premières[1] déclenchent des événements qui ressemblent aux plaies d’Égypte,[2] la mer transformée en sang comme le Nil au temps de Moïse, la grêle, des sauterelles grosses comme des chevaux, avec des dents de lion, des sauterelles cuirassées comme des chars d’assaut et venimeuses comme des scorpions.

Il ne faut pas chercher derrière ces descriptions fantastiques des événements historiques particuliers que l’on pourrait dater. Les événements déclenchés par les trompettes, je cite un spécialiste, parlent symboliquement des malheurs qui affectent le monde. Ces événements que nous connaissons, qui frappent la vie du monde, qui touchent parfois nos vies personnelles par des drames et des souffrances. Ces événements, dont nous cherchons en vain la cause et la raison, comment les considérer ?

Deux versets, antérieurs à notre texte, nous offrent une piste de réflexion : 20 Quant au restant des hommes, …, ils ne se repentirent pas des œuvres de leurs mains, ils continuèrent à adorer les démons, les idoles d’or ou d’argent, de bronze, de pierre ou de bois, qui ne peuvent ni voir, ni entendre, ni marcher. 21 Ils ne se repentirent pas de leurs meurtres ni de leurs sortilèges, de leurs débauches ni de leurs vols.[3]

Ils ne se repentirent pas, ils ne changèrent pas de vie. Ces événements sont des avertissements, comme ils l’étaient pour le Pharaon au temps de Moïse, un appel à écouter Dieu, à demeurer dans la confiance et l’obéissance. Un appel à une foi qui tient et qui demeure, un appel qui fait de nous des veilleurs et des veilleuses, comme le dit Jésus avant sa Passion, quand il évoque la fin des temps. Des hommes et des femmes qui ne lâchent pas la main de Dieu et qui demeurent ouverts  à leurs prochains. Si nous ne pouvons pas comprendre, nous pouvons accueillir le mystère de Dieu, le secret de son dessein. Un mystère ne s’explique pas, il s’accueille, il se reçoit.

7 … aux jours où l’on entendra le septième ange, quand il commencera de sonner de sa trompette, alors sera l’accomplissement du mystère de Dieu, comme il en fit l’annonce à ses serviteurs les prophètes.[4]

Eh bien, nous y sommes. Notre texte dit l’accomplissement du mystère de Dieu, l’accomplissement de son dessein.

L’Apocalypse se présente comme une liturgie céleste à laquelle nous assistons. Avec des voix, des officiants, des événements.

Une proclamation ouvre notre passage : Le royaume du monde est maintenant à notre Seigneur et à son Christ ; il régnera pour les siècles des siècles.

C’est ce que nous prions dans le Notre Père, c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, pour les siècles des siècles.

Il est dit ici que c’est le règne unique du Seigneur et du Christ sur le monde. Et il est proclamé que c’est maintenant. La mort et la résurrection du Christ inaugurent le règne éternel de Dieu et de son Fils. Cette conviction se tient au cœur de nos célébrations et de nos vies. Pour parler comme l’Apocalypse, À celui qui siège sur le trône et à l’agneau, 2 louange, honneur, gloire et pouvoir pour les siècles des siècles.[5]

Jean et ses lecteurs vivaient sous le joug de l’Empire romain, ils en souffraient. Notre monde vit sous l’emprise de puissances multiples, politiques, économiques, électroniques, tant de gens souffrent aujourd’hui de la guerre, de la misère, de la pauvreté, du désespoir. C’est notre défi et notre espérance, de confesser contre les évidences notre confiance que le monde appartient à Dieu et à son Fils. C’est le message de l’Apocalypse, un message d’espérance.

Interviennent ensuite les vingt-quatre anciens. Qui sont-ils ? Selon l’avis de nombreux spécialistes, ce sont des figures de l’Ancien Testament, de ce qui est venu avant. Selon une tradition, les auteurs de l’Ancien Testament étaient au nombre de vingt-quatre. Ils figurent l’Ancienne Alliance. Ils sont associés à des moments décisifs de cette liturgie céleste. Tour à tour, ils chantent le Créateur, ils adorent l’Agneau, et ils participent à la scène finale du jugement.[6]

Ici, ils adorent le Seigneur : Nous te rendons grâce, Seigneur Dieu tout-puissant, qui es et qui étais, car tu as exercé ta grande puissance et tu as établi ton Règne. C’est la Première Alliance qui loue la Seconde.

Avez-vous remarqué qu’ils disent Seigneur Dieu tout-puissant, qui es et qui étais, qui es et qui étais. Manque : et qui viens, comme nous disons habituellement. C’est intentionnel, car tout ce passage célèbre la royauté présente de Dieu et du Christ sur le monde. Nous ne sommes plus dans l’attente mais dans le présent du Royaume de Dieu, dans la bonne nouvelle du Royaume.

Celles et ceux qui restent fidèles n’ont rien à craindre de la colère de Dieu. Rien ne peut nous séparer de son amour, comme dit Paul aux Romains, ni la mort ni la vie, ni le présent ni l’avenir.

Et la vision se poursuit : 19 … le temple de Dieu dans le ciel s’ouvrit, et l’arche de l’alliance apparut dans son temple.

Le temple s’ouvre sur ce qu’il a de plus secret : l’arche de l’alliance. Le premier livre des Rois nous dit qu’elle était dans le Saint des Saints, la partie la plus secrète du Temple où le Grand-Prêtre entrait une fois l’an.

Dieu dont la vision vient de célébrer la royauté avec le Christ, est le dieu de l’alliance. L’alliance se tient au cœur de la vie de Dieu, au cœur de son projet. Dieu s’engage envers les siens depuis toujours, il nous a envoyé son Fils, et nous sommes appelés à lui répondre dans la confiance et l’obéissance. Cela me fait penser aux récits de crucifixion de Jésus. Lorsque Jésus meurt, selon Marc, Matthieu et Luc, le voile qui sépare le lieu saint du lieu très saint se déchire. Et c’est comme si le Temple s’ouvrait, se fendait, le Dieu de l’Alliance se rencontre désormais en Jésus-Christ mort et ressuscité.

Amen

[1] Apocalypse 8,6-9,21

[2] Exode 7-11

[3] Apocalypse 9,20-21

[4] Apocalypse 10,7

[5] Apocalypse 5,13

[6] Apocalypse 4,10-11 ; 5,8-14 ; 19,4.

Homélie du pasteur Pierre Bühler, le 14 novembre 2024

Homélie du pasteur Pierre Bühler, le 14 novembre 2024

Luc 17,11-21

(11) Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la

Galilée. (12) A son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils

s’arrêtèrent à distance (13) et élevèrent la voix pour lui dire : « Jésus, maître, aie

pi é de nous. » (14) Les voyant, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »

Or, pendant qu’ils y allaient, ils furent purifiés. (15) L’un d’entre eux, voyant qu’il

était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix. (16) Il se jeta le visage

contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce ; or, c’était un samaritain. (17)

Alors Jésus dit : « Est-ce que tous les dix n’ont pas été purifiés ? Et les neuf autres,

où sont-ils ? (18) Il ne s’est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à

Dieu : il n’y a que cet étranger ! » (19) Et il lui dit : Relève-toi, va. Ta foi t’a sauvé. »

(20) Les Pharisiens lui demandèrent : « Quand donc vient le Règne de Dieu ? » Il

leur répondit : Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. (21) On

ne dira pas : Le voici ou Le voilà . En effet, le Règne de Dieu est parmi vous. »

_______________________________

Chères sœurs et frères en Jésus-Christ,

L’histoire de la guérison des dix lépreux est bien connue. On en a fait, dans la

tradi on, un récit un peu moralisant : un seul revient dire merci, et neuf s’en vont,

apparemment heureux, mais vraiment très ingrats ! Pour ne pas en rester à ce seul

jugement moral, je vous propose de relire notre passage à par r de la fin.

Dans les deux derniers versets de notre passage interviennent soudain les

pharisiens, avec leur ques on : « quand donc vient le Règne de Dieu ? » Ils

expriment ainsi l’a ente qui habite les gens de l’époque : l’irrup on d’un nouveau

temps, de bonheur et de paix, de réconcilia on, où les souffrances seront effacées,

et les violences et les guerres abolies. On associait à ce e a ente l’espoir de

pouvoir en deviner les signes annonciateurs : on essayait d’observer l’arrivée de ce

nouveau règne par des phénomènes, des manifesta ons spectaculaires. Au

cinéma, on dirait : des effets spéciaux. Des signes qui nous perme raient de dire :

« Ah, regardez, là, le voilà, il arrive ! »

Jésus contredit ce e a ente : « Non, le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait

observable. » Le terme grec men onné ici est parateresis, et on l’u lise pour le

médecin qui observe le malade pour trouver les symptômes de sa maladie ou2

encore pour les astrologues qui observent le mouvement des corps célestes. Non,

le Règne de Dieu ne s’observe pas, nous dit Jésus, on ne peut pas dire « Le voici »

ou « Le voilà ». Le Règne de Dieu, c’est autre chose, c’est une réalité bien plus

discrète, vous ne le voyez pas, mais il est déjà là, il est déjà à l’œuvre « parmi

vous ». On peut imaginer la surprise des interlocuteurs : « Comment ? Parmi

nous ? Ça veut dire quoi ? » Et peut-être sommes-nous surpris, nous aussi : que

veut dire Jésus en proclamant ce e promesse : « Le Règne de Dieu est parmi

vous » ?

Pour répondre à ce e ques on, je vous propose de retourner maintenant à

l’histoire des dix lépreux, car il se pourrait bien que ce récit qui précède les deux

versets avec les pharisiens con enne quelques traces de ce e présence discrète

du Règne de Dieu parmi nous.

Le premier indice, c’est déjà tout au début de l’histoire l’indica on « comme Jésus

faisait route » : le Règne de Dieu n’est pas quelque chose de sta que, il n’est pas

établi en un lieu précis. Non, il est en chemin, il est inscrit dans une dynamique de

mouvement plutôt que dans une sta que de l’installa on.

Deuxième indice : Jésus est en route « à travers la Samarie et la Galilée », des

territoires qui, à l’époque, pour les bons croyants, ont une très mauvaise

réputa on. La Judée, elle, serait le bon territoire, mais pas la Samarie et la Galilée.

« Que peut-il venir de bon de Galilée ? », demandait-on de manière cri que. Or

Jésus vient de Galilée, et il va en Samarie aussi, terre presqu’étrangère pour les

Juifs de Judée. Conclusion : le Règne de Dieu ne se ent pas aux fron ères fixées

par des hommes.

Ce e liberté permet des rencontres ina endues, troisième indice : dix lépreux

s’avancent, mais un peu seulement, sans s’approcher vraiment, car, comme tous

les malades, à l’époque, ils sont considérés comme impurs et il leur est défendu de

venir tout près de ceux qu’on dit purs. Mais, même à distance, Jésus les voit et les

entend, il s’arrête pour les écouter. Autrement dit : le Règne de Dieu est l’accueil

des rejetés, des exclus de la société.

On pourrait maintenant s’a endre à ce qu’il arrive quelque chose de spectaculaire,

de phénoménal : une guérison en masse, dix à la fois ! Mais rien de tel, au

contraire, tout reste très discret. Conformément à la règle de l’époque, qui veut

que c’est un prêtre qui doit confirmer la guérison, Jésus leur donne simplement

l’ordre : « Allez vous montrer aux prêtres ». Autrement dit : « Sortez de votre

statut d’impurs, passez outre à ce e exclusion, et vous serez guéris ». Et

étonnamment, comme le dit le texte, la guérison a lieu « pendant qu’ils y

allaient ». Une fois de plus, le Règne de Dieu se réalise lorsqu’on est en chemin.3

Mais il y a maintenant, et c’est encore un indice, un mouvement de retour, et là, il

y a quelques surprises, quelques complica ons : après être allés se faire confirmer

leur guérison, apparemment neuf d’entre eux s’en vont, contents de se retrouver

dans la société normale, libérés de leur exclusion. Un seul revient auprès de Jésus

« en rendant gloire à Dieu à pleine voix », dit le texte. Signe de reconnaissance, de

gra tude pour la guérison reçue, qu’il exprime en se jetant le visage contre terre

aux pieds de Jésus, ce qui veut dire : par une grande prosterna on. Et en passant,

le texte précise que ce dixième qui, lui, revient, était un samaritain. Surprise, donc,

c’est celui qui était doublement exclu, non seulement comme lépreux, mais aussi

comme samaritain, comme étranger de mauvaise réputa on, qui vient rendre

grâce à Jésus. Dans un premier temps, Jésus semble se fâcher, demande de

manière vive : « Et les neuf autres, où sont-ils ? », et constate avec un peu de dépit

qu’il n’y a eu « que cet étranger » pour venir rendre gloire à Dieu.

Mais ensuite, il se tourne vers cet étranger quand même, pour le relever et pour

reconnaître sa foi, sa confiance, qui le sauve. Que se passe-t-il à ce moment ? La

reconnaissance, qui, dans un premier temps, est grattude, devient ici une

véritable reconnaissance réciproque. Le samaritain guéri a reconnu Jésus, et Jésus

le reconnaît à son tour, l’accueille avec sa confiance et l’accepte, lui l’étranger qui a

cru plus que les neuf autres. On peut donc dire : le Règne de Dieu, c’est cette

reconnaissance, cette acceptaton réciproque, cette réciprocité dans la confiance,

que les neuf autres, même guéris, ont raté.

Ainsi donc, c’est comme si l’histoire des dix lépreux répondait à l’avance à la

ques on des pharisiens. « Vous, pharisiens, qui avez établi des principes rigides,

fixé des règles strictes de pureté et d’impureté, organisé la vie en 613

commandements et interdic ons, apprenez que le Règne de Dieu vient tout

autrement, en agissant parmi vous, par un dynamisme du cheminement, par un

accueil des exclus et des étrangers, par-delà les barrières que vous avez dressées,

par une a en on, une écoute des détresses, par une reconnaissance réciproque

qui suscite la rencontre et la confiance. C’est là que se manifeste le Règne de

Dieu : non pas dans de grands signes, éblouissants et fracassants, mais dans les

pe ts pas de l’appren ssage d’une vie, d’un amour et d’une confiance qui se

déploient parmi vous et qui vous renouvellent de jour en jour. »

Et nous aussi, en ce temps où sévissent les guerres et les violences, où les rapports

se durcissent, où les puissants méprisent de plus en plus les pe ts, où partout

s’érigent des murs et des barbelés, où les milliardaires s’achètent tout, même la

jus ce, même la vérité, même la planète, nous espérons aussi que vienne un

temps nouveau, et nous aimerions en voir les signes annonciateurs, pour pouvoir4

entrevoir un avenir plus prome eur pour nous, nos enfants et pe ts-enfants. Mais

le message de Jésus vaut aussi pour nous : « Le Règne de Dieu est déjà parmi vous

discrètement, il est le ferment qui travaille votre vie quo dienne pour vous

maintenir en chemin avec courage, pour y faire fructfier l’écoute, la rencontre,

l’accueil et la reconnaissance réciproque. Chacune et chacun là où ils peuvent agir,

devenir des ar sans de la paix et de la solidarité, chacune et chacun à sa mesure,

selon ses forces et capacités. C’est ainsi que vous serez témoins du Règne de

Dieu. » Amen.

Homélie par le pasteur Guillaume Klauser, le 10 novembre 2024

Homélie par le pasteur Guillaume Klauser, le 10 novembre 2024

 

Marc 12, 41-44 et 1Rois 17, 8-16

Chères sœurs, chers frères
C’est un très court passage de l’Evangile qui nous est donné ce matin. Pourtant, comme tout dans le plus ancien des Evangiles, l’essentiel y est décrit, l’essentiel pour nous faire grandir dans la foi.
Car c’est bien de foi, de vie de foi, et de relation à Dieu qu’il est question ici, et non d’un enseignement moral sur le don d’argent ou sur le don de soi. Ce n’est pas non plus un hymne à la sainteté qui nous grandirait par rapport aux autres face à Dieu.
On peut alors se questionner sur la logique qui est celle de ce texte et ce qu’elle dit de la foi.
Etrange posture que celle de Jésus, qui, pour une fois, n’est pas debout sur le chemin, mais qui est assis et qui observe. Ce qu’il observe, ce sont des gens, mais c’est également tout un système, qui demandait à tout un chacun de venir déposer de l’argent au Temple. Un système qui entretenait financièrement une administration religieuse immense, et qui reposait sur une idée très simple : celle d’un échange avec la divinité. Tu donnes de l’argent, je t’assure ma protection.
Le récit de cette veuve nous est rapporté juste après que les spécialistes des Ecritures, les scribes, soient eux aussi venus déposer leur offrande, eux qui se pavanent dans leurs beaux habits pour se faire voir. Alors au vu des sommes colossales que devait brasser l’institution religieuse, une question vient : pourquoi la pauvre femme n’a-t-elle pas mis seulement une pièce dans le tronc, et non les deux qu’elle possédait ? Personne ne lui en aurait voulu ! Même avec une seule pièce donnée, elle aurait illustré un magnifique acte de générosité. Mais ce n’est pas la générosité qui est ici en question. Evitons alors de réduire cet épisode à la démonstration d’une performance en matière d’altruisme.
L’intérêt du geste de la veuve tient bien plus au fait qu’elle ne mesure pas, qu’elle ne compte pas. Si l’important avait été « de participer », elle n’aurait déposé qu’une seule pièce. Mais elle en dépose bien deux. En donnant le tout, en rompant avec la logique comptable, la veuve va ébranler les murs de la comptabilité religieuse du Temple, donnant un autre sens à son acte.
Ce que Jésus relève chez cette femme et qu’il ne trouve pas chez les scribes, c’est bien la foi. Jésus vise la racine du mal, la divinité institutionnalisée, contrôlée par l’institution religieuse du Temple. Ce que Jésus relève en observant la veuve, c’est la bonne nouvelle d’une relation à Dieu fondée sur la gratuité.
Car la question du don est délicate. Le don gratuit existe-t-il ? Les sciences sociales nous aident à comprendre qu’en réalité, le don est toujours associé à un contre-don. Ainsi, sous l’angle du don, le geste de celles et ceux qui viennent déposer là de l’argent n’est pas gratuit, puisqu’ils en attendent quelque chose en retour, une compensation quelconque comme une meilleure place dans la société.
Mais Jésus n’est pas, je l’ai déjà dit, en train d’enseigner la bonne manière de donner. Il parle plutôt de ce qui fonde la foi. La foi n’est pas dans la logique du don : elle est bien plutôt l’ordre de l’aban-don. Et la logique de l’abandon est radicalement différente de celle du don.
Contrairement au don qui procure bonne conscience et satisfaction de soi, l’abandon demande quant à lui de lâcher ses sécurités, d’accepter de dépendre des autres, d’un Autre. C’est là ce que nous dit le geste de la veuve. La foi de la veuve qui donne sans compter ce qu’elle avait pour vivre relève de cet abandon en pleine confiance à Dieu. C’est d’ailleurs aussi cette pleine confiance qu’Elie et une veuve, une autre veuve, sont invités à vivre, dans notre lecture du livre des Rois. C’est encore avec cette pleine confiance que retentira la parole de Jésus avant la croix « Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Mt 26, 39).
Je dirais que c’est là que ça se corse. C’est là que nous touchons une question bien difficile. Si la foi ne réside pas dans le don ni dans le contre-don, mais dans l’abandon, qu’est-ce que cela signifie, pour moi, aujourd’hui ? C’est peut-être là la question de toute une vie…
Je repense à cet « abandon » à la grâce de Dieu par Dietrich Bonhoeffer lorsqu’il est en prison, traduit malheureusement par « soumission » en français… Ce que les germanophones ici comprendront parfaitement, cet « Ergebung », qui n’est ni une reddition, une capitulation, ni une mièvrerie pieuse, qui dit cette mise dans les mains du Père mais qui reste en même temps un engagement de toute sa personne, quelque chose qui tient bon.
Nous vivons un temps d’incertitudes, ce n’est pas nouveau et je ne vous apprends rien. Incertitudes parfois dans nos vies personnelles et parfois dans la marche de notre monde. La nouveauté, qui date de mardi dernier avec les élections américaines, n’est pas pour nous donner d’emblée et d’elle-même confiance. Pourtant je crois que c’est là qu’en tant que chrétiens, que chrétiennes, nous avons une réponse radicale, un mode d’être au monde, une manière de résister au découragement, depuis que Jésus est venu renverser les choses.
Cet abandon à la grâce de Dieu que Jésus nous révèle lorsque la veuve se présente au Temple me semble être une voix majeure, une voix qui compte, une voix à porter dans notre société. Cette confiance, c’est cette « petite espérance qui n’a l’air de rien du tout », comme disait Charles Péguy, mais qui est pourtant bien ce qui nous permet de continuer à vivre, de continuer à nous lever le matin et constater que « La cruche de farine ne tarit pas, et la jarre d’huile ne désemplit pas, selon la parole que le Seigneur a dite par l’intermédiaire d’Elie ».
Amen !

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 9 novembre 2024

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier, le 9 novembre 2024

Homélie du pasteur Jean-Louis L’Eplattenier
Samedi 9 novembre 2024 – Mémoire des premières professions

1 Cor. 3, 9-11 + 16-7 ; Évangile selon St. Jean 15, 1-5 + 9-17

« Aimez-vous les uns, les autres comme je vous ai aimés »

C’est le cœur de l’Évangile, la colonne vertébrale de notre existence, l’orientation proposée donnant sens à notre vie = « Aimez-vous »… une parole essentielle, proclamée, entendue, dite et redite sans fin, si difficile à vivre, et nous nous l’approprions, mais, comme dit Maurice Zundel, parlant de religion, nous en faisons « une confidence d’amour, répétée sans amour ».

Alors, ce matin, nous essayons de la recevoir comme une parole neuve, afin que se réalise la promesse de Jésus = « Demeurez dans mon Amour afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite ».

Dieu est Amour, et nous, nous sommes le temple de Dieu, nous sommes donc habités par l’Amour, et invités à demeurer dans son Amour.

Le Christ est Vie de notre vie, notre cœur battant au rythme du Sien : Il est donc vivant au cœur de notre cœur.

L’Esprit Saint est joie ; quand Il souffle la présence du Christ dans l’Eucharistie, cette joie est la nôtre.

Que dire de plus ? Sinon demeurer relié, en dialogue, en conversation avec cette présence intérieure à nous-mêmes, silencieuse mais active, rejoignant le désir du psalmiste disant :

« La seule chose que je cherche, habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie (ps 26) ».

Habiter notre âme, cette résidence de l’Amour, de la Vie, de la Joie irradiant cette présence de Dieu en nous : demeurer en dialogue avec Jésus, l’Ami, pas en vue d’une réponse, mais pour être imprégné de sa Présence qui rejoint cette parole d’Hildegard de Bingen : « Le corps est le chantier de l’âme où l’Esprit vient faire ses gammes ».

Pour dire ce lien de communion, Jésus parle de la relation étroite, vitale, liant le vigneron à sa terre, le cep aux sarments portant le fruit de Son amour pour sa vigne : « vous en moi », « moi en vous » : Amis.

L’ordre d’aimer trouve son appui en Jésus qui a tout donné, en se donnant. Ce n’est pas un sentiment généreux ou une émotion profonde, mais une décision, un engagement de tout l’être, l’absolu d’un appel, une loi de Vie.

Aujourd’hui, nous faisons mémoire des premières professions, ici à Grandchamp, et, nous pensons à vous toutes, sœurs, qui répondez à cette vocation d’être amies de Jésus, vivant, sa Présence au plus intime de vous-mêmes, votre identité.

Quand, dans les années 1930, invitée par la belle-mère d’Hélène Bovet (Hélène que beaucoup d’entre vous ont connue) Mère Geneviève, signant encore son courrier : Madame Léopold Micheli, est venue visiter Grandchamp, en vue des premières retraites spirituelles, prémices de la communauté, elle a été conquise : « c’est le lieu rêvé » a-t-elle dit, « pas d’hésitation possible » !

Que nous soit faite la grâce d’accueillir le Christ – Amour avec la même détermination, pas par intuition, mais par conviction.

« Aimez-vous, les uns, les autres, comme je vous ai aimés », pour en cueillir son fruit : « la joie parfaite ».

Amen.

Prédication du pasteur Guy Lasserre, le 7 novembre 2024

Prédication du pasteur Guy Lasserre, le 7 novembre 2024

Prédication sur Luc 15,8-10
Jésus dit : 8 « Ou encore, quelle femme, si elle a dix pièces d’argent et qu’elle en perde une, n’allume pas une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle l’ait retrouvée ? 9 Et quand elle l’a retrouvée, elle réunit ses amies et ses voisines, et leur dit : “Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, la pièce que j’avais perdue !” 10 C’est ainsi, je vous le déclare, qu’il y a de la joie chez les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »
La parabole de la pièce perdue, que nous venons d’entendre, est une parabole négligée. Pourquoi ? Peut-être parce que c’est une histoire de femmes, nous y reviendrons. Mais surtout car elle est entourée de deux paraboles qui ont eu beaucoup de succès. Luc, l’évangéliste, raconte avec ces trois paraboles la réponse de Jésus aux pharisiens et aux scribes qui lui reprochent de partager la même table que des pécheurs, et de se laisser ainsi contaminer par eux plutôt que de s’en tenir éloigné. Le pécheur ou le péché est donc l’un des thèmes importants qui apparaît dans ces paraboles et les relie. Des personnes vivent une séparation de Dieu mais surtout des retrouvailles avec lui. Notre parabole suit celle de la brebis perdue que le berger va chercher et ramène sur ses épaules, une image qui a marqué l’art chrétien, que l’on trouve déjà dans les catacombes de Rome et encore dans les livres pour enfants. La parabole qui vient ensuite, c’est celle du fils prodigue ou des deux fils, une des plus connues des Évangiles qui a suscité beaucoup de réflexions. Entre les deux, notre parabole semble un doublet qui n’apporte rien de neuf. Je vous propose de la voir ce soir plutôt comme une variation musicale sur un thème, chaque variation mettant en valeur un aspect particulier du thème. Mon hypothèse de lecture est qu’il s’agit de valoriser ce qui est propre à cette parabole et de le comprendre de manière complémentaire à ce que disent les autres. J’en retiendrai deux traits, ce qui est perdu est ici un objet et c’est une histoire de femmes.
Ce qui est perdu est ici une pièce d’argent et non un animal, comme dans la première parabole, ou un être humain, un ou deux fils, comme dans la troisième parabole. Qu’est-ce que cela change ? La pièce d’argent est un objet, sans volonté propre. Vous avez déjà sans doute tous perdu une pièce d’argent. Comment cela se passe-t-il ? Pour moi, en général, c’est quand j’ouvre mon porte-monnaie pour y chercher une pièce. Une autre glisse et tombe par terre. Parfois elle s’arrête à mes pieds et je la ramasse, parfois, elle se met à rouler, suit la pente ou la force de sa chute et disparaît. Elle se retrouve égarée dans un coin, incapable de regagner mon porte-monnaie si quelqu’un ne la cherche et ne la ramasse. Parfois notre éloignement de Dieu est un peu comme celui de la pièce. Je ne choisis pas de m’éloigner de lui mais je me laisse prendre par mes préoccupations, par mon désir de bien faire, par la pente, les courants du monde qui m’entoure et je me retrouve ensuite égaré, incapable de revenir par moi-même. La repentance, ici, n’est pas, comme dans la parabole du fils prodigue un retour sur soi qui amène à un retour au père dont le fils se souvient mais elle dépend entièrement de celui qui cherche. La pièce ne peut que consentir à se laisser retrouver, un peu dans la ligne de ce que Paul disait aux Corinthiens, comme une supplication : « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20). Le retour ou la repentance est d’abord un cadeau que je reçois de celle ou celui qui se soucie de moi et me cherche.
L’autre particularité de cette parabole est qu’elle est une histoire de femmes. C’est une femme qui perd une pièce, allume la lumière, balaie et cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle trouve, puis, dans sa joie invite ses amies et voisines à fêter avec elle. Amies et voisines, ce sont aussi des femmes qu’elle invite. Même pour parler de la pièce, Luc utilise un mot grec féminin. Il ne parle pas du denier, comme dans d’autres passages, mais de la drachme, un mot féminin qui n’est utilisé qu’ici dans les Évangiles. J’y vois comme un clin d’œil de l’évangéliste. Dans cette histoire, tous les rôles peuvent être tenus par des femmes, elles y ont partout leur place. Comme celles qui sont perdues et retrouvées, comme celles qui cherchent avec soin, comme celles qui sont conviées à partager la joie des retrouvailles. Cela correspond à la pratique de Jésus, à son attitude avec les femmes qu’il interpelle, qu’il accueille et par qui il se laisse accueillir, toucher ou oindre, avec lesquelles il discute et qu’il accepte dans le groupe de ses disciples. Toutes les places sont aussi pour elles dans l’histoire de Dieu avec les humains.
Dans l’histoire de l’exégèse, les paraboles ont souvent été lues de manière allégorique. On a ainsi dit que le berger est figure de Dieu ou du Christ, comme le père dans la parabole du fils prodigue, mais, pour la femme, on y a vu la figure de l’Église. Je crois que ce n’est pas juste. Comme le berger, la femme est ici figure de Dieu ou du Christ. Elle le représente dans sa manière de chercher avec soin et jusqu’à ce qu’elle trouve, comme dans sa manière de faire la fête avec ses amies et voisines. La parabole invite à élargir notre vision de Dieu et à le voir aussi comme cette femme. En même temps la parabole nous montre que le comportement de cette femme qui balaie laisse transparaître Dieu, comme dirait Zundel. Elle fait apparaître son visage et son attitude pour nous, son soin et sa persévérance, son désir de retrouver chacune et chacun pour se réjouir avec elle. Quand je vois une femme qui balaie avec soin sa maison, je peux me dire, Dieu me cherche ainsi quand je me suis égaré.
Cette parabole est une parabole négligée, et c’est dommage. Elle vient élargir notre regard sur Dieu et nos histoires avec lui, sur ces éloignements qui peuvent égarer loin de lui et sur le retour à lui comme consentement à se laisser retrouver. Elle vient aussi élargir notre regard sur l’importance des femmes dans l’histoire entre Dieu et les humains. Elles ont leur place dans tous les rôles, perdues et retrouvées, chercheuses avec soin et conviées à la fête des retrouvailles. Dans leurs attitudes, elles sont aussi transparence à la figure de Dieu ou du Christ, manifestations de sa présence au milieu de ce monde. Amen

Guy Lasserre, prédication pour la communauté des Sœurs de Grandchamp, le 7 novembre 2024.