Homélie du pasteur René Perret, le 12 septembre 2024

Homélie du pasteur René Perret, le 12 septembre 2024

 

Célébration à Granchamp, jeudi 12 septembre 2024 – René Perret

Textes bibliques : 2 Corinthiens 6,1-10 ; Luc 4.31-37

« La parole de Jésus était pleine d’autorité. »

J’aime recourir à une image pour mieux comprendre cette richesse de l’Evangile pour nous.

Ici, je pense que si Dieu est amour, Dieu est donc un aimant. Un Dieu aimant qui nous attire à lui.
Selon la belle image racontée par le pasteur Glardon dans son livre « Chercher Dieu en tâtonnant »,
le Seigneur nous attire à lui aussi les uns par les autres, comme ces bouts de métal suspendus les uns
aux autres et reliés finalement au grand aimant.

Pouvons-nous dire que la Parole de Dieu était si forte, dès le premier jour, qu’elle a attiré à l’existence
tous les éléments de l’Univers ?
Pouvons-nous imaginer aussi que la Parole de Dieu que donne Jésus, et qu’il est lui-même, possède
le même pouvoir aimant, aimantant ? Et qu’ainsi les éléments lui obéissent et cessent d’être chaotiques (comme dans la tempête apaisée), attirés par son amour tout-puissant.

Mieux encore que les éléments naturels, il y a tous ces éléments du corps, du cœur, de l’esprit et de l’âme humaine qui ne peuvent s’empêcher d’être attirés par cette même Parole pleine d’autorité, aimante par dessus-tous.

Dans notre récit d’aujourd’hui, c’est aussi la propriété inverse de l’aimant qui fonctionne. Vous avez déjà opposé deux aimants ? – ils se repoussent.
N’en va-t-il pas de même ici ? C’est l’esprit impur qui a reconnu Celui qui parlait, et qui sent la menace
et la concurrence du Saint de Dieu. Quand Jésus vient, les forces qui aliènent l’humain ne peuvent se taire ; elles tentent de rester, mais peine perdue. Qui peut résister à cet appel de la libération, à ce goût de l’existence pleine, pardonnée, savoureuse ?

Avons-nous cette tranquille confiance dans l’amour tout-puissant de Dieu ?
Alors, bienheureux et bienheureuses sommes-nous.

Moi, j’ai encore besoin d’y être encouragé à deux niveaux :

Déjà sur le plan personnel. Ce que je sais de Dieu, ce que j’ai accepté et expérimenté de ses promesses ressemble au sommet d’un iceberg. C’est splendide, étincelant de blancheur, l’iceberg dans sa partie visible.
Mais dire qu’il y en a encore bien davantage sous l’eau !
Dire que les richesses de Dieu pour moi sont comparables à cet iceberg, pour l’essentiel encore à découvrir, à recevoir ! Le temps me manquera bien sûr, pour en faire l’expérience. Et non seulement le temps, mais le courage ou l’envie aussi, je dois me l’avouer. Car j’ai en moi plusieurs résistances à ce que l’amour de Dieu semble me proposer, plusieurs préjugés tenaces sur sa volonté à mon égard.

Je les compare à ces esprits rebelles : je ne les considère pas forcément comme impurs, puisqu’ils me sont si proches ! A l’écoute de l’Evangile, ou quand me vient un appel de la volonté de Dieu, souvent malgré moi,
ils se retournent, dérangés dans leur quiétude. Ce Dieu aimant les remet en question, puisqu’il veut être à leur place !

Parfois, je me sens comme la synagogue de Capharnaüm : avec la parole de Jésus qui y résonne, annonçant le pardon et la justice : et ma culpabilité, ou un autre de mes travers qui se démène, ébranlé par cette autorité de vie et de paix.
Quand j’accepte la rencontre et l’affrontement inévitables, je peux aussi vivre un dénouement de guérison.

Combien de fois le Seigneur me donnera-t-il de vivre ces moments de choc entre ma volonté et la sienne,
ces épreuves de force, ces temps inconfortables qui sont comme autant de nouveaux passages vers la vie en vérité ?
Ce Dieu-aimant, dont la toute puissance dérange tout désordre connu ou bien secret, j’ai besoin de croire en lui aussi sur le plan communautaire, au plan de la vie de nos Eglises, et du monde.

Combien de fois, dans le passé et aujourd’hui encore, connaissons-nous la tentation de nous murer dans nos dogmes, dans nos pratiques, dans nos traditions comme si nous pouvions maîtriser la Parole de Dieu ou la réduire à notre explication. Combien de nos divisions, de nos querelles ne sont-elles pas faites de ces éléments chaotiques, de ces esprits rebelles que sont l’orgueil, la jalousie, la volonté de pouvoir ?
Que vienne alors et revienne la Parole de Jésus aimant sur nos Eglises, pour nous déranger dans nos tranquilles assurances d’avoir raison plus que les autres, d’être plus près de la vérité, et depuis plus longtemps que d’autres !
L’œcuménisme, ce n’est pas une affaire de dignitaires et de conférence, c’est la libération et la guérison
de nous tous, les membres du même Corps du Christ.

Chacune et chacun, ensemble, nous avons tant besoin de cette autorité du Dieu aimant sur notre vie.
Amen.

Homélie du pasteur Dominique Geunin, le 5 septembre 2024

Homélie du pasteur Dominique Geunin, le 5 septembre 2024

Homélie sur Mc 13,14-23 et 2 Cor 3,1-11,
à Grandchamp, Dominique Guenin, de Morat

Alléluja ? – Vous auriez dû chanter Kyrie eleison –
Alleluja …
Chères sœurs, chers frères en Christ,
nous sommes tentés, ces temps, aux nouvelles
terrifiants du monde, de penser : eh bien voilà,c’est
l’Abominable Dévasteur installé là où il ne faut
pas comme disait Jésus: Vous donc, prenez garde,
je vous ai prévenus de tout.

Il y en a même qui sont prêts à accentuer les choses
plus précisément que l’Evangile. « Tout ce qui est ecrit,
eh bien voilà, vous n’avez qu’à voir les nouvelles a la
télé ou les entendre à la radio. Puis-je m’ empêcher de
penser à tout cela ? J’en ai froid dans le dos de lire que
ceux qui sont (non pas seront, mais sont !) en
Judée, qu’ils fuient dans les montagnes – ils n’y
sont pas à l’abri, on le voit, et celui qui est (non pas
sera, mais est) sur la terrasse,
qu’il ne descende pas, qu’il n’entre pas dans sa
maison pour emporter quelque chose ; quoi donc,
si tout est dévasté ? Celui qui sera au champ, qu’il
ne retourne pas en arrière pour prendre son
manteau ! Il y en a qui fuient, si fuite est possible,
pourvu qu’ils sauvent leur vie. Malheureux celles qui
sont enceintes et celles qui allaitent en ces jours-
là. Je le cite en présent parce que c’est présent. Priez
pour que cela n’arrive pas en hiver, mais l’hiver va
revenir à coup sûr et que faire, s’il n’y a plus de
moyens pour se réchauffer – c’est une stratégie ! J’en
ai les larmes au cœur d’entendre ça.

Tentation réelle de croire pouvoir identifier
l’Abominable Dévasteur installé là où il ne faut
pas – si clair que ça pourrait sembler, les noms
peuvent changer et il y en a plusieurs ! Vous ne
voudrez pas que je vous fasse une liste, la liste
mondiale d Abominable Dévasteurs installés là où il
ne faut pas – moi en tout cas, je suis tenté de trouver
des noms ! Mais attention. Attention à ne pas chauffer
le marmite, attention à ne pas accentuer le mal.

Il ne faut pas cacher le mal, mais il ne faut pas non
plus lui donner une partie décisive pour la venue du
Christ, il ne faut pas rendre salutaire le mal,
l’Abominable Dévasteur, comme s’il était nécessaire
pour l’arrivée d’un nouvel monde.

C’est malheureusement se qui se passe de nos jours
aux quatre coins du monde. On le voit en Amérique, en
Israël, au proche et au moyen Orient en Russie, même
chez nous en Europe …

De rendre salutaire le mal, l’Abominable Dévasteur,
comme s’il était nécessaire pour l’arrivée d’un nouvel

monde n’est décidément pas la vocation de qui croit en
Dieu, qu’il ou elle soit Juif, Chrétien ou Islamique.

Il est essentiel pour la vie spirituelle de bien
comprendre bien Celui qui dit : Vous donc, prenez
garde, je vous ai prévenus de tout. Comment donc
prendrons-nous garde ?

Il nous faut discerner qui parle. Est-ce la Parole du
Sauveur où est-ce la parole d’un pseudo-méssie
où même celle de l’Abominable Dévasteur ?
Et moi ? De qui suis-je la – ou le porte-parole ?
Nous ne sommes pas les porte-parole de la haine,
du mépris, de la peur …

Puisse grandir la clarté de l’Apôtre du Christ qui nous
parle, je le veux, aussi à nous (2 Cor 3,3-4) :
De toute évidence, vous êtes une lettre du Christ
confié à notre ministère, écrite non avec de

l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant (…) sur
vos cœurs. – Toujours alors discerner : Est-ce dit ou
écrit avec l’Esprit du Dieu vivant ? C’est un critère
salutaire ! Telle est l’assurance que nous avons
grâce au Christ devant Dieu.

Nous ne sommes pas les premiers au monde de voir
des atrocités insupportables. Les premiers Chrétiens
nous sont en devant. Suivons-les ! Nous ne sommes ni
les preniers ni les derniers. D’autant plus nous devons
nous assurer en Christ de l’Esprit du Dieu vivant. Car
tel est notre vocation dans- et envers un monde en
pleurs. C’est de LUI, du Dieu vivant, que nous sommes
les témoins et ambassadeurs, les porte-paroles de la
bonne Nouvelle, de la lumière.
Vous avez bien raison de chanter alléluja : DIEU soit
Loué !
Amen.

Homélie par le pasteur Laurence Mottier, le 8 septembre 2024

Homélie par le pasteur Laurence Mottier, le 8 septembre 2024

 

Prédication Marc 7, 31-37
8 septembre 2024 Grandchamp

« Les personnes présentes étaient dans le plus grand étonnement », nous dit l’Evangile de Marc à la fin de ce récit de guérison au chapitre7.
Et vous, êtes-vous étonné.es ?
Surpris, frappés ou troublés ?
Ou bien ce texte vous est-il passé dessus comme une ritournelle habituelle, comme qqch de trop connu, trop entendu, rabâché et remâché dont il ne peut rien sortir de nouveau ni d’inattendu.

Y’a t’il place dans notre foi pour la curiosité, pour un regard neuf, une oreille non-préparée, une écoute vierge, une présence attentive, sans a-priori ni prêt-à-penser ?

Ai-je un espace en moi pour ce qui est non prévu et qui va m’étonner?

Ephphata, dit le texte….suis-je concernée par cette parole du Christ « Ephphata ouvre-toi- sois ouvert-ouverte » ? ou bien cela ne concerne-t-il que cet homme mal en point, qui n’arrive pas à articuler de paroles intelligibles, cet homme du passé ?
Ephphata sois ouverte, sois accueillante à ma parole…eu hé- bien non merci Seigneur j’ai pas trop envie de m’ouvrir là ! je suis bien dans ma vie, dans ma routine je me suis adaptée à ce qui est ; tout est en ordre et en place : toi, moi les autres, le monde et les choses comme elles vont. Je passe mon tour !

Etonnement ouverture : comment les laisser résonner ?
Qu’y a t’il à entendre dans ce texte de l’Evangile ?

Je vous partage un premier étonnement : après vérification, le lectionnaire de l’année b donnant lecture à l’Evangile de Marc saute à pied joint sur le récit précédant, à savoir le récit de la femme syrophénicienne qui vient hurler sa détresse à Jésus pour sa fille malade à telle force qu’elle arrache sa guérison à Jésus. Est-ce que ce récit reste trop décapant mettant à nu un Jésus ethnocentré et non-compassionnel, d’abord sourd aux cris et obtus, enclos dans sa propre tradition ? En effet, nos théologies supra naturalistes ont eu une fâcheuse tendance à diviniser Jésus, à lui ôter ses doutes, ses larmes, ses hésitations et ses agacements pour le faire flotter dans une identité christique toute puissante et intouchable. Tant il paraît anormal à nos yeux de conjuguer Fils de Dieu et fils de Nazareth, l’humain et le divin en Jésus-Christ, le divin avec l’humain et inversement, sans en lâcher aucun des deux.
Pourtant selon moi on perd une grande partie de la dynamique de ce chapitre 7, en sautant le récit de la syrophénicienne.

L’enjeu du chapitre 7 tourne autour du pur et de l’impur et nous pose la question suivante : qu’est-ce qui est véritablement souillure ? Qu’est ce qui entache l’humain ? et l’enjeu est posé par le reproche fait aux disciples de Jésus par les religieux de ne pas se laver les mains avant de manger. Et de tremper des doigts impurs dans le plat de nourriture. De ce pas, Jésus part dans une zone étrangère (Tyr et Sidon puis la Décapole) donc des régions impures, mélangées : il passe résolument la frontière – il met les pieds dans le plat – et accepte de se confronter à ce qui est étranger à sa propre religion. Ce faisant, il va opérer des retournements d’une totale radicalité et même plus il va être retourné lui-même.

Et c’est là qu’il est signifiant – et pour ma part, je dirais indispensable – de mettre en écho ces deux récits de guérison : qui concernent la syrophénicienne et l’homme sans parole.
Je vous partagerai ces échos en 4 points.

Le premier point, c’est que tout oppose l’homme et la femme : l’homme est passif, il subit ce qui lui arrive il n’a aucune voix au chapitre et il est sans parole distincte ni singulière. Il est aliéné à lui-même ; il n’est pas sujet mais l’objet de la foule, ce « on » impersonnel : on lui amène cet homme pour que Jésus fasse qqch, alors que la femme, elle, agit de son propre chef, elle crie, elle vitupère et intervient sans gêne et malgré les insultes et les rebuffades, insiste et supplie pour sa fille, à tel point qu’elle parvient à faire changer d’avis Jésus et à obtenir la guérison de sa fille.

Le deuxième point est aussi une nuance de taille, entre parole et corps : C’est sur la seule parole de la mère que sa fille est guérie, le dialogue, qui est très rude entre Jésus et la femme, joue sur les mots et les images et la femme entre dans la métaphore de Jésus comme enfermé dans sa judéité « il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens »… »pour lui proposer une nouvelle issue «  Mais les chiens sous la table mangent les miettes des enfants ». Le jeu de la langue échangée entre eux deux délie le pouvoir du malin, tenant la fille de la syrophénicienne dans ses griffes. Quant à l’homme, sans paroles et sans mots, il est touché dans son corps, dans sa matérialité corporelle blessée – langue nouée et oreilles obturées – et c’est le Christ en personne qui le touche au plus intime, avec sa salive mise sur sa langue – il crache nous dit le texte, ce que certaines versions ont poliment évité de traduction) et avec ses doigts mis dans ses oreilles. C’est un corps à corps qui s’engage entre eux ; face-à-face vies-à-vies incarné, dans la chair, dans la sueur et la salive.

Le troisième point est un contraste saisissant, mais qui, au fond, dit la même chose : le passage de frontières et la délivrance.
On dit à la femme étrangère : « Ferme-la ! »
Jésus dit à l’homme « Ouvre-toi »
A la femme qui dérange, on dit : Tais-toi. Boucle-là. Parole patriarcale qui cherche à enfermer hier comme aujourd’hui les femmes dans le silence, la bienséance et l’injustice. Des prisons de mort et de terreur. Les cris de la femme hors d’elle disent sa colère et sa force vitale pour affirmer son droit et sa place ; et pour sauver sa fille. Jésus finalement l’a entendue, l’a reçue et a été lui-même transformé.
Il dit à l’homme : Ouvre-toi ! sors de ton aliénation mutilante ! et il le touche là où l’homme est absent à lui-même et noué dans une confusion aphasique; dépersonnalisé, anonymisé, cet homme retrouve une parole claire, une capacité de nommer et d’être entendu, reconnu, compris, une capacité de partager et de dialoguer ; il est replacé dans un désir qui lui est propre. Il sort de sa prison de mots désarticulés, d’impuissance, – une prison de souffrances – pour trouver une place d’homme désirant et relié aux autres.

N’y a t’il pas de quoi être étonné.e par ces paroles d’Evangile ? et même bouleversé.es ?

Le 4ème point porte sur la différence d’environnement. Alors que la femme fait irruption dans un groupe d’hommes juifs, qui lui barrent le chemin vers Jésus et qu’elle doit jouer des coudes et de la voix,, Jésus prend l’homme à l’écart de la foule (le texte biblique insiste sur ce point : Jésus tire l’homme hors de la foule à l’écart…) pour vivre un face-à-face avec lui. Un seul-à-seul avec lui.

A l’écart
A l’écart de l’agitation
à l’écart de ce qui me presse et m’oppresse,
J’ai envie de vivre ce face-à-face avec le Christ,
avec son regard décisif sur moi, avec sa présence douce et vigoureuse sur mes zones en souffrances ; j’ai envie de sentir son toucher et son intimité  ; lui me débouche les oreilles pour entendre en vérité et en nouveauté
lui me prête sa salive pour renouveler mes mots et me remettre en désir
Et j’entends sa parole Ephphata

Chères soeurs, chers frères.
C’est bien l’étonnement qui devrait prévaloir à l’écoute de l’Evangile
car à la question de la souillure et des mains sales avant le repas, l’Evangéliste Marc répond carrément que Jésus s’engage tout entier avec son corps et sa parole dans ce qui est sale répugnant malséant chez l’humain ; qu’il le fait hors des frontières de son propre clan pour rejoindre l’autre en son humanité ; l’humain, la personne humaine singulière et unique, voilà une grandeur cardinale qui émerge dans l’Evangile, une valeur supra clanique, supra religieuse, supra nationale, supra réglementaire, supra idéologique, qu’elle que soit l’idéologie.
Jésus brise un interdit séculaire celui de la frontière entre le pur-impur…
ah vous pensiez qu’il est mal et condamnable d’avoir les mains sales avant un repas, eh bien regardez-moi je guéris un homme étranger qui n’est pas de notre religion – impur – que je ne devrais même pas voir ni considérer – avec ma salive mes doigts et ma parole…

La souillure…ce n’est pas d’avoir les mains sales, de toucher un malade, de répondre à une femme, de se mêler au monde tel qu’il est.
La souillure c’est de se croire pur aux yeux de Dieu en rejetant l’autre au nom de ce qu’on croit être la volonté de Dieu

Mésuser de Dieu est bien plus grave que de se salir les mains.

En Christ, la fracture entre pur et impur est consommée.

Et pourtant, les religions instituées se soucient encore et toujours de mettre des barrières entre pur et impur, d’ériger des frontières entre le dedans et le dehors, les sauvés et les damnés, les bons et ls méchants en catégorisant le nous et les autres, le nous et eux. Malheureusement les religions passent bcp de temps et d’énergie à séparer et à classifier, pour quoi ? pour tenter de se préserver et préserver une soi-disant pureté fantasmée et illusoire.

Jésus fait sauter ces carcans une fois pour toutes et il le fait au prix de sa vie et il le fait avec l’autorité de Fils de Dieu, non pas comme révolutionnaire, mais comme Fils du Père, au nom d’un Dieu, qui ne vient pas réinstaurer un nouvel ordre moral, mais un Dieu qui part, qui sort, qui va sur les chemins du monde ; un Dieu qui saisit à pleines mains la pâte du monde, la chair du monde…
Allons-nous le suivre ?

Libéré.es de l’obsession de la pureté que nous reste-t-il ? Hé bien les humains, l’humanité, les femmes hommes enfants jeunes ; en quête de guérison, de délivrance et de relèvement.

A l’image de la syrokphénicienne en colère, notre humanité hurle, vitupère et éructe sa détresse et sa révolte ; – dans nos maisons, familles maltraitantes, nos rues déshumanisées, sur les champs de guerre et de ruines, dans les désastres écologiques et les menaces nucléaires – Jésus vient, entre en dialogue, il écoute, il entend et répond à nos cris.

A l’image de l’homme à la langue nouée, notre humanité est sans paroles, confuse et dépersonnalisée ; elle erre perdue, désorientée, incapable de communiquer et de se faire comprendre ; au-milieu du tohu-bohu « cul par dessus tête, sens dessus dessous », Jésus vient et prend chaque personne à part Ephphata ; libérant la Parole, il redonne, à chacun.e, statut et visage humains.
Amen

Prédication du 27 juin 2024 par la pasteure Marie Cénec

Prédication du 27 juin 2024 par la pasteure Marie Cénec

 

Prédication sur Actes 16, 16-24 et Jean 11, 55 – 12, 11

Deux femmes qui dérangent: c’est ce dont il est question dans les textes du jour. Si je vous invite à vous concentrer sur l’épisode de l’onction à Béthanie, je vous proposerai de le méditer à partir de l’impulsion donnée par la jeune servante qui émerge du livre des Actes au chapitre 16. C’est une jeune femme qui dérange les prédicateurs avec son savoir venu d’ailleurs, avec son insistance… Elle confirme leur identité et la force de leur message en disant : « Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut ; ils vous annoncent une voie de salut ».

Mais elle les agace. Elle est tenace et Paul est « excédé », nous dit-on. Il l’exorcise, lui enlève son don et se met ainsi à dos les maîtres de cette femme qui monnayait ses oracles.
Si cette femme fait sortir Paul de ses gonds, ses paroles ne sont-elles pas justes ? Elle déborde du cadre de la bienséance, elle parle au nom d’un esprit qui sera exorcisé et pourtant ce qu’elle dit est juste et vrai. Cela donne à penser…

En écho, Marie de Béthanie, elle aussi dérange et elle est aussi dans le juste. Elle est mal accueillie par Judas qui est agacé. Jésus, lui, n’est ni dérangé ni choqué. Il saisit ce qui se joue dans la profondeur du geste de Marie et il le révèle à ceux qui assistent à la scène… aux personnages du récit, comme aux lecteurs et aux lectrices qui imaginent aujourd’hui cette scène incroyable et bouleversante de sensualité, de force et de fragilité mêlées.

En effet, ce qui est au cœur de cette histoire, c’est l’adieu au corps. C’est le dernier hommage au visible, à la matière, à la chair.

Et c’est un hommage d’une grande délicatesse: Jésus est encore bien vivant, mais Marie ouvre une porte sur l’au-delà de sa vie terrestre.
Elle verse sur ses pieds du parfum, un onguent parfumé. C’est incongru ! Plus encore, son geste est excessif : elle gaspille, elle en fait trop. Soudain, c’est toute la maison qui est envahie par l’odeur du parfum… Elle attire les regards sur elle, elle suscite les reproches de Judas. Comme si cette immense générosité ne pouvait que heurter cet homme de calcul caractérisé ici par son avidité.

Et que fait Jésus ? Il lui donne raison et, comme je vous le disais, il révèle le sens profond de ses gestes : elle a embaumé par avance son corps promis à la mort. Jésus justifie la folie de son acte : la perte d’un parfum de grand prix qui aurait pu être vendu pour procurer de l’argent aux plus nécessiteux. Mais il est juste, à ce moment-là, que ce parfum lui soit donné à lui.

Il arrive parfois que les effluves d’un parfum nous permettent de trouver le réconfort suffisant pour traverser une perte ou une épreuve : parfum d’encens ou d’huile consacrée, parfum d’un être aimé, parfum d’une simple fleur qui couvrent l’odeur du chagrin, parfum qui nous monte au nez et au cœur et suffit à masquer la puanteur d’une blessure ou d’une souffrance trop envahissante.

Avant qu’il traverse le gouffre de la mort, c’est un tel parfum, un tel baume qui est offert à Jésus. Il est ainsi préparé avant son dernier geste d’amour excessif, lui qui va consentir à la pauvreté radicale, se déposséder de sa vie.

Marie, en faisant cette onction sur les pieds de Jésus, nous entraîne au cœur du mystère de la vie et de la mort; elle offre également l’occasion à Jésus de délivrer un enseignement important : la suspension du jugement.

Le sens profond d’un geste ou d’une existence nous échappe si souvent… Nul besoin de juger hâtivement l’autre ou soi-même ! Savons-nous toujours d’emblée ce qui est juste ?
Que savons-nous de la trame mystérieuse qui donne à chaque vie son sens et sa grandeur ?
Que comprenons-nous réellement des intentions et des désirs des autres ?

La suspension de nos jugements hâtifs peut nous aider à mieux comprendre les autres, et parfois nous-mêmes. En effet, il faut souvent du temps pour saisir ce qui se joue dans telle ou telle situation. Le pourquoi de nos actes est parfois si étonnant !

Pourquoi ne pas accueillir l’excès et lui donner un sens ?
Les moments forts d’une vie, ceux qui restent gravés dans nos mémoires et dans celles de nos proches, ne sont-ils pas ceux qui sont excessifs ? Excès de chagrin ou de peine, mais également excès d’amour et de compassion, cadeaux qui coûtent trop cher, temps donné sans compter, projets un peu fous, rencontres où l’on se donne avec trop d’élan ?

Que ce soit dans nos liens affectifs, nos engagements professionnels ou la mission de vie que nous remplissons, ce qui reste, n’est-ce pas souvent ce que l’on a donné de tout son cœur, avec largesse ?

J’en conviens, il n’est pas toujours facile de fréquenter des personnes qui ont le sens de l’excès: c’est un peu comme vivre à côté d’un fleuve qui menace de déborder régulièrement. Mais dans nos élans de vitalité et d’énergie, n’y a-t-il pas quelque chose qui nous rappelle à l’intensité de la vie et qui peut nous inspirer ? Quelque chose qui nous déplace et nous invite à abandonner nos petits calculs pour épouser à notre tour l’excès ?

La vie spirituelle est caractérisée par la surabondance de l’amour de Dieu pour les êtres humains. Ce qui déborde également, c’est l’Esprit de Dieu, qui est aussi abondant qu’incontrôlable, comme dans l’Evangile de Jean où Jésus dit, parlant de lui : « Celui qui met sa foi en moi, — comme dit l’Écriture — des fleuves d’eau vive couleront de son sein ».

Ce n’est pas une petite source de vie qui traverse celui ou celle qui croit, ce sont des fleuves ! C’est clairement inconfortable, dérangeant, étonnant, provocant.

Mais c’est bien ce qu’il nous faut pour affronter l’ombre qui plane sur ce récit : celui de la mort, de l’absence, de l’impermanence : « Moi, vous ne m’aurez pas toujours ».

Si l’Evangile de Jean nous appelle à goûter à la vie éternelle, il nous parle aussi du « pas toujours », et les discours d’adieu de Jésus sont marqués par cette invitation à apprivoiser l’absence.

Jésus ressuscité ne revient pas avec son corps de chair, il ne revient pas comme avant. Lors de la crucifixion, il y laisse sa peau. Quelle délicatesse chez Marie qui prend soin de ce corps, qui ne néglige pas le rite de l’onction, qui honore de manière si tangible, concrète et charnelle le corps de Jésus ! J’aime y voir un excès de tendresse et d’humanité.

Excès de tendresse et d’humanité si difficile à exprimer de peur d’être jugé.
Excès de tendresse et d’humanité si difficile à recevoir, car il nous rejoint dans notre vulnérabilité.

Et pourtant, n’est-ce pas ces gestes de tendresse et d’humanité qui nous permettent de traverser nos morts et de nous relever ? N’est-ce pas ces débordements de vie qui nous rappellent avec force à la dimension résurrectionnelle de nos existences ?
Puisse cette histoire de parfum versé sur les pieds de Jésus guider chacun de nos pas dans les jours à venir… Oui, puisse cette histoire nous encourager à ne pas nous priver des excès inspirés par le Souffle saint.

Amen

Marie Cénec, juin 2014

 

 

Homélie du 4 août 2024 par Pierre-Yves Brandt

Homélie du 4 août 2024 par Pierre-Yves Brandt

Chères sœurs, chers frères,
Les textes de ce jour nous parlent d’aveuglement. A ceux qui le cherchent après la multiplication des pains, Jésus dit :
« En vérité, en vérité, je vous le dis, ce n’est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez, mais parce que vous avez mangé des pains à satiété. » (Jn 6,26)
Autrement dit, vous avez reçu la nourriture quand vous en aviez besoin et vous en restez là. La seule chose qui vous intéresse est d’avoir le ventre plein et d’être en bonne santé. Et vous ne voyez pas que si cela se passe, c’est que Dieu prend soin de sa création et de ses créatures. C’est lui qui, par le passé, a donné le pain au peuple qui marchait dans le désert. C’est lui qui, aujourd’hui, donne le pain du ciel. Mais une fois que vous avez satisfait votre faim, vous ne vous demandez pas un instant comment cela a-t-il bien pu se passer. Pourtant, comprendre que le pain que nous mangeons nous met en relation avec Dieu change tout. C’est ce que Jésus exprime quand il parle du pain du ciel.
Quelle est la différence entre le pain que l’on mange juste pour se nourrir et le pain du ciel ? En apparence il n’y en a pas. L’un et l’autre ont la même forme, nous sont donnés par le moyen d’un aliment fait avec de la farine. La différence, elle se marque dans la manière de recevoir cet aliment. Ce pain que vous mangez, vous comprenez qu’il est le pain du ciel quand vous le recevez comme l’expression de l’amour de votre Père qui est aux cieux, quand les yeux de votre cœur se sont ouverts pour le reconnaître.
De même que Jésus, l’auteur de la Lettre aux Éphésiens parle d’un aveuglement. Il parle de ceux qui ne connaissent pas Dieu comme de gens dont la « pensée est la proie des ténèbres » et qui « sont étrangers à la vie de Dieu » (Ep 4,18). Ils n’ont pas d’autre horizon qu’eux-mêmes. La traduction de la TOB dit qu’ils sont inconscients ; le texte dit littéralement qu’ils « sont devenus insensibles » (Ep 4,19), c’est-à-dire qu’ils ne sont pas réceptifs à l’autre, aux autres, à l’expression de l’attention des autres. Ils vivent pour attirer vers eux-mêmes. Le texte utilise deux termes qui l’expriment très bien : la cupidité et les convoitises. Au verset 19, la traduction de la TOB parle de « se livrer à la débauche, au point de s’adonner à une impureté effrénée » ; littéralement, le texte dit que « ceux qui sont eux-mêmes devenus insensibles ont été livrés à la débauche en vue de la pratique de toute impureté, dans la cupidité ». Quand on devient insensible à tout ce qui nous entoure, la seule chose qui nous intéresse, c’est d’avoir pour soi-même ; dès lors, ce que l’on reçoit, on ne voit plus qu’on le reçoit d’un autre. C’est cela la cupidité : avoir pour soi, sans s’intéresser ni aux autres qui pourraient aussi avoir besoin de recevoir, ni aux autres par lesquels nous recevons ce dont nous avons besoin.
Plus loin, au verset 22, le texte parle de convoitises : « Il vous faut, renonçant à votre existence passée, vous dépouiller du vieil homme qui se corrompt sous l’effet des convoitises trompeuses. » Le texte fait référence au « vieil homme », c’est-à-dire au vieil Adam, celui du premier jardin. En Genèse 3, on voit comment Adam et Eve ne sont intéressés qu’à une seule chose : avoir pour eux-mêmes le fruit de l’arbre. Ils ne pensent plus que s’il y a un jardin et un arbre, ce jardin et cet arbre sont l’expression de l’amour de Dieu. Ils ne voient pas l’arbre et son fruit comme la manifestation de la présence de Dieu dans le jardin. Ils voient seulement le fruit, comme une substance appétissante à ingurgiter pour leur seul plaisir. Leurs yeux sont aveuglés. La cupidité et les convoitises sont l’expression d’un enfermement sur soi. Être ouvert à l’autre ou enfermé sur soi s’exprime au quotidien, dans toutes nos attitudes, y compris dans le simple rapport que nous entretenons avec ce que nous mangeons.
A ce propos, je vais vous lire un apophtegme d’un père du désert, tirée de la collection systématique parue dans les Sources chrétiennes qui illustre bien ce qui fait la différence entre ceux qui mangent en étant aveuglés et centrés sur eux-mêmes et ceux qui ont les yeux ouverts sur la relation à l’autre et à la présence de Dieu en toute chose. C’est l’apophtegme XVIII,42 :
1 « L’un des pères racontait que trois choses sont pré-
2 cieuses aux moines, qu’il nous faut poursuivre avec crainte,
3 tremblement et joie spirituelle : la communion des saints
4 mystères, la table des frères et leur laver les pieds. Et il
5 en apportait l’exemple suivant. Il y avait un vieillard,
6 grand clairvoyant, auquel il arriva de manger avec plu-
7 sieurs frères. Tandis qu’ils mangeaient, le vieillard spiri-
8 tuellement attentif, assis à table, en vit certains manger
9 du miel, d’autres du pain, d’autres du fumier. Il s’en
10 étonna et demandait à Dieu : « Seigneur, révèle-moi ce
11 mystère : pourquoi, alors que les mêmes aliments sont
12 présentés à tous sur la table, ils paraissent ainsi trans-
13 formés lorsqu’on les mange, et que les uns mangent du
14 miel, d’autres du pain, d’autres du fumier ? » Et une voix
15 d’en haut vint lui dire : « Ceux qui mangent du miel sont
16 ceux qui sont assis à table avec crainte, tremblement et
17 joie spirituelle, et qui prient sans cesse. Leur prière monte
18 vers Dieu comme un encens ; aussi mangent-ils du miel.
19 Ceux qui mangent du pain sont ceux qui rendent grâce
20 en prenant part aux dons de Dieu. Ceux qui mangent
21 du fumier sont ceux qui murmurent et disent : ceci est
22 bon et cela est mauvais. Il ne faut pas penser cela, mais
23 plutôt rendre gloire à Dieu et adresser des hymnes au
24 Tout Puissant afin qu’en nous s’accomplisse cette
25 parole : soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi
26 que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu. » (1 Co 10,31)

Ce petit récit raconté par un ancien du désert illustre bien ce qui distingue ceux qui ne sont centrés que sur eux-mêmes et ceux qui reconnaissent en toute chose le signe de la présence de Dieu. Ceux qui mangent du fumier sont comme le peuple au désert qui murmurait. Ils jugent de tout, ne sont jamais content de rien. Il y a toujours un défaut, de quoi se plaindre. Ceux qui sont ainsi savent en permanence ce qui est bien et ce qui est mal. Ils poursuivre le même objectif qu’Adam et Eve dans le premier jardin : avoir la connaissance du bien et du mal, être au-dessus de toute choses, comme s’ils étaient des dieux. Mais ils pensent qu’être des dieux, c’est être distants, évaluant froidement toute situation pour la juger. Ils n’ont pas compris qu’est Dieu celui qui donne la vie véritable, celui qui s’engage par amour pour les autres, jusqu’à se perdre soi-même.
Ceux qui mangent véritablement du pain sont ceux qui chaque matin en redécouvre le goût comme un bienfait renouvelé. Chaque matin, ils reçoivent le pain du jour comme une nouvelle occasion de rendre gloire à Dieu.
Et ceux qui mangent du miel sont ceux qui gardent en permanence en leur cœur le souvenir de la présence de Dieu. Pour eux, tout devient occasion de prière, c’est-à-dire de relation avec Dieu dans laquelle tout ce qui est vécu est partagé avec le Père céleste. En eux la « transformation spirituelle de l’intelligence » (Ep 4,23), comme le dit l’auteur de la Lettre aux Éphésiens, est arrivée à son accomplissement. Alors, ils sont en permanence reliés au Père céleste, source de toute vie.
Nous sommes sur ce chemin. L’apôtre dit que la sortie de l’aveuglement, l’ouverture à la présence des autres et de Dieu dans nos vies, se traduisent par des changements de conduites et de pratiques. « Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde » (Jn 6,33), dit Jésus. Quand nous recevons les dons de Dieu en rendant grâce, nous recevons la vie que Dieu donne au monde. Et quand nous recevons cette vie le cœur empli de joie, alors nous avons pleinement revêtu l’être humain nouveau, l’Adam nouveau qui est le Christ. Nous sommes de ceux qui croient en Jésus, qui n’avons plus ni faim ni soif, car notre être est en permanence irrigué par la vie de Dieu. Nous sommes devenus semblables au Seigneur Jésus. Recevons cette grâce qui dépasse tout entendement dont Dieu nous fait don sans compter.

Homélie du 7 juillet 2024 par Jean-Louis L‘Eplattenier

Homélie du 7 juillet 2024 par Jean-Louis L‘Eplattenier

 

Lecture : Évangile selon st. Marc 6, 1-6

« Nul n’est prophète en son pays » !

Cette réalité que Jésus vit au cœur de son enracinement familial et religieux, c’est déjà un clou planté dans le bois de la Croix.

La sagesse de Jésus, son discours, ses talents miraculeux, sa renommée admirable, sont incompatibles avec l’enfant du pays que tout le monde identifie : le charpentier, fils de Marie, de Joseph (Luc précise),le frère de ses frères et sœurs, est en complet décalage avec le tableau familial ; quand, dans la synagogue, on lui fait lire la prophétie annonçant un temps nouveau dont il dit être l’initiateur, le témoin, c’est trop ! il en devient insupportable, au point que l’on le jette hors de la ville pour le précipiter du haut d’un escarpement : c’est Luc qui le précise. Plus tard, quand sa mère et ses frères viennent le chercher, parce que, disent-ils, Il a perdu la tête, Jésus dira : « ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique (Luc 8, 19).

L’Évangile nous rappelle très clairement que Jésus appartient à une lignée humaine, terrestre, enracinée ; et, en même temps, Il vient du ciel ; cette double appartenance est incompréhensible, ce n’est pas raisonnable et Jésus le confirmera : quand Pierre confessera : « tu est le Christ, le fils du Dieu vivant ». Jésus répondra : « tu es heureux, Simon, ce ne sont pas la chair ni le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux (Matth. 16,17).

C’était donc difficile d’accueillir Jésus, Parole vivante de Dieu : Il se heurte à l’incompréhension des siens, emprisonnés dans une logique rendant Jésus inopérant.

Il me semble que notre monde ressemble étrangement à celui de Nazareth, et, comme cela est dit du temps de la vocation de Samuel : « la Parole de Dieu était rare en ces jours-là » (1 Sam. 3, 1). Ce n’est pas que Dieu soit absent mais sa Parole n’est plus entendue dans notre monde en grande souffrance et même en Église, cette même Parole de Dieu rencontre beaucoup d’opposition, d’indifférence ; dans notre relation avec autrui, si fondamentale pourtant, elle n’est pas toujours accueillie, bienvenue, et, dans notre propre terre intime, intérieure, elle se heurte à de la résistance, quelquefois distillée au gré de nos humeurs, quand nous confondons la foi, la raison et la sentimentalité, quand s’installent la lassitude, le doute ou la révolte ou quand nous biaisons l’exigence liée à un engagement.

Nul n’est prophète en son pays ! Pour qu’il comprenne que ce n’était pas lui le prophète, St. Paul a été terrassé, corps et âme : Jésus a utilisé la manière forte pour réajuster les priorités et que l’apôtre accepte que la source de sa force il la puise dans la fragilité d’une écharde, d’une blessure sans qu’en soit amoindrie sa passion pour Dieu.

C’est difficile aussi de reconnaître le visage du Christ dans celui de l’autre, mon frère, ma sœur ou de discerner en eux un visage comme Jésus le voit, dépassant l’accidentel, ce qui heurte et dérange ; oui, trans-figurer (traverser la figure), comme une icône, fenêtre ouverte sur l’Au-delà, l’intériorité, la vie intérieure : ce n’est pas une intrusion dans la vie d’autrui, mais simplement la reconnaissance que cette vie intérieure est habitée, comme je le souhaite pour la mienne, et là se joue un cœur à cœur parce que ce regard-là n’est rien d’autre que celui de l’amour, ce talent mystérieux qui permet de dépasser l’apparence, de quelque ordre qu’elle soit, pour discerner la réalité divine de l’autre. Ce n’est pas une évaluation raisonnable, mais un acte de foi et d’amour qui relève de l’intelligence du cœur.

Le corps, l’esprit, la raison, la conscience peuvent être abîmés à l’extrême, défigurés, mais demeure cette image du Christ présence ineffable dans l’âme.

C’est à elle qu’appartient de reconnaître le corps et le sang du Christ, dans le pain et le vin de l’Eucharistie ; c’est en elle et par elle, avec la force et la douceur de l’Esprit que vibre en nous la présence de Jésus. J’aime cette parole du sage : « Je voudrais être flaque d’eau pour refléter le ciel ! »

Il arrivait, autrefois, qu’on dise de quelqu’un qui mourait « qu’il a rendu son âme à Dieu » ! Ce n’était pas tant pour signifier la fin des battements du cœur que pour dire le retour à Dieu de ce qui lui appartenait, à Lui-Dieu, dans la vie du trépassé = l’âme.

Alors oui, Jésus demeure prophète en son pays qui est notre âme qui « trouve son repos en Dieu seul ».

Amen.

08.07.2024/JLL