Homélie de la pasteure Nicole Rochat, le 21 janvier 2024

Homélie de la pasteure Nicole Rochat, le 21 janvier 2024

Le bon Samaritain
Les trois textes de ce jour, font tous trois l’éloge de l’amour, l’amour du prochain en particulier.
Abraham nous impressionne par son empressement à accueillir généreusement les étrangers qui se présentent à lui. Le terme aimer n’est pas exprimé, mais nous sentons une telle joie à offrir le meilleur de ce qu’il a, qu’au fond de lui, nous pouvons imaginer qu’il y a beaucoup d’amour pour ces visiteurs, ces étrangers. Aucune crainte, aucune méfiance à leur égard, bien qu’ils soient des inconnus.
Dans le récit du bon Samaritain, le terme aimer n’est pas non plus exprimé, mais il est formulé différemment : Jésus fait l’éloge de celui qui a exercé la miséricorde, qui s’est positionné comme étant le prochain de l’homme blessé.
Dans l’hymne à l’amour, en 1 Corinthiens 13, nous avons comme le dévoilement de ce que devrait être l’amour, s’il pouvait s’accomplir au travers de nous, humains. Pourtant, ce merveilleux texte me rend terriblement humble, car je réalise combien je suis loin de vivre l’amour sous toutes ses facettes et avec chacune des personnes que Dieu met sur mon chemin. Car certaines d’entre elles sont faciles à aimer : on ressent un bon feeling si bien que la douceur, la bonté, la générosité sont pour nous comme une évidence. Mais il y a les personnes avec qui « ça frotte ». Alors là, comment faire ? Est-ce qu’il faut se forcer à aimer ? Pouvons-nous aimer par obligation ?
Vous savez probablement que le commandement tiré du Lévitique : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même. » n’est pas un impératif. Contrairement à ce que laissent croire certaines de nos traductions françaises, le texte hébreu ne dit pas : « Aime ton prochain comme toi-même ! ». Non, il s’agit d’un futur : « Tu aimeras… » sous-entendant que l’amour peut être un chemin. S’il est difficile d’aimer une personne, ne fermons pas la porte, pensant que c’est définitivement désespéré. Non, comme le dit 1 Co 13, l’amour est patient (non pas la personne ! C’est l’amour qui est patient, il ne s’irrite point, il ne soupçonne point le mal). Ça, c’est l’Amour, c’est à dire le souffle de Dieu qui pénètre jusqu’au plus profond de nous et nous transforme à son image.
Mais cette transformation ne se fait pas si facilement. Dans le texte de Luc que nous avons écouté, Jésus cherche à faire réfléchir le légiste qui lui pose des questions. Cet homme a récité bien sagement ce que dit la loi. « C’est bien ! », lui dit Jésus, mais cet homme met-il ces paroles en pratique ? Nous n’en savons rien, quoique deux choses laissent entendre que ce n’est pas le cas :
1. On peut s’étonner que Jésus dise deux fois à cet homme de faire ce qu’il sait être bien :
a. Il le lui dit au début, lorsqu’il vient de réciter le verset du Lévitique : « Fais cela et tu vivras ».
b. Ainsi qu’à la fin de la parabole, lorsque Jésus raconte combien cet homme a été bon envers le blessé. Là, Jésus dit au légiste : « Toi aussi fais de même ».
Étonnante cette insistance de Jésus à lui dire de mettre la théorie en pratique ! N’est-ce pas justement parce que cet homme a de la peine à le faire ?
2. Il est surprenant que Jésus raconte justement à cet expert de la Torah une histoire qui met en scène un prêtre et un lévite, donc deux personnes à qui cet expert enseigne comment agir. Or, il est fort probable que ces deux hommes agissent en conformité avec ce qu’il leur a enseigné. Mais Jésus démontre que le seul qui a bien agi est quelqu’un qui n’est pas soumis à son enseignement : un Samaritain, c’est à dire un juif de deuxième classe.
Visiblement, Jésus sait que ce légiste enseigne à obéir aux multiples lois du Pentateuque au risque de ne pas mettre en application le commandement d’amour lorsque l’un et l’autre s’opposent.
Jésus fait savoir à ce légiste d’une manière très habile qu’il sait pertinemment qu’il aurait agi de la même manière que le prêtre et le lévite. Il n’aurait pas manifesté d’amour, de miséricorde pour son prochain. Il se serait caché derrière son devoir d’obéissance à la loi pour désobéir au commandement d’amour.
Par-là, Jésus démontre qu’obéir à la loi, ce n’est pas toujours obéir à Dieu. Il est donc plus indispensable d’écouter son cœur et pas seulement sa tête. La tête a besoin du cœur pour une vraie obéissance. Dans notre récit, seul le Samaritain, lui qui n’est pas sous la coupe de ces enseignements desséchants, écoute son cœur et agit avec compassion.
Récemment, mon fils me confiait combien il s’était longtemps senti sous une sorte de contrainte pour agir « juste », c’est-à-dire selon ce qu’il pensait être juste aux yeux de Dieu. Mais il n’écoutait pas son cœur, il écoutait juste sa tête. Il s’est rendu compte que souvent il s’énervait contre des gens qui n’agissaient pas de manière juste à ses yeux.  Depuis cette prise de conscience, il essaie d’écouter son cœur. A vrai dire, il apprend à écouter son cœur, car il ne savait pas l’écouter, tout comme le prêtre et le lévite, de la parabole.
Le Samaritain est juste un humain touché par ce que vit un autre humain. Il ne se demande pas si cet homme lui est sympathique, s’il l’aurait aidé, lui, à sa place. Il agit intelligemment et généreusement. Mais il ne s’accroche pas non plus à cet homme au risque de l’envahir par sa prévenance. Non, il en fait juste assez ; il n’en fait pas trop non plus.
J’ai été très touchée par ce qu’a vécu une voisine de mon immeuble. Sa maman a été victime d’un terrible accident de voiture. C’était son compagnon qui était au volant. La voiture a immédiatement pris feu. Un automobiliste qui circulait dans l’autre sens, voyant la voiture en flammes, s’est immédiatement arrêté. Il a fait signe aux voitures de s’arrêter, puis il s’est empressé de sortir les deux blessés de la voiture. Lorsqu’il a pris la maman de ma voisine dans ses bras, celle-ci lui a dit « Je vais mourir, je vais mourir ». Et en effet, c’est dans ses bras qu’elle est décédée. Cette voisine me disait combien elle était reconnaissante envers cet homme d’avoir offert à sa maman de mourir dans les bras d’un étranger, certes, mais d’un homme plein d’amour, qui l’avait sortie des flammes au péril de sa vie. Lorsque cet homme lui a raconté les circonstances de la mort de sa maman, il n’a pas pu retenir son agacement d’avoir observé que conducteurs de voiture s’empressaient de mettre des images de l’accident sur les réseaux sociaux, mais qu’aucun d’entre eux n’est sorti de sa voiture pour lui venir en aide. Lequel d’entre eux a exercé la miséricorde ? Est-ce que sont ceux qui ont mis des messages larmoyants sur Facebook, Instagram ou X, tout fiers d’annoncer le dernier scoop ou est-ce c’est homme qui a pris des risques pour tenter de sauver la vie de deux personnes et pour être là au départ de cette maman ?
1 Corinthiens 13 lance un cri désespéré nous appelant à valoriser l’amour « agapé ». Ce terme apparaît 9 fois dans le chapitre. Nous l’avons vu, il ne s’agit pas d’aimer par devoir, ça sonnerait faux, mais de se laisser conduire par l’Esprit pour aimer vraiment, pour prendre soin de l’autre d’un amour désintéressé.  « Agapé », est la recherche du bien de l’être aimé. « Agapé », c’est l’amour qui vient de Dieu même quand tout est désespéré et que l’on n’y croit plus. Car notre Dieu est le Dieu des miracles et je crois qu’en amour, il n’a pas fini d’en faire.
Aujourd’hui commence la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, au cours de laquelle nous sommes invités à prier pour que les chrétiens atteignent la pleine communion et témoignent de l’amour envers tous. Oui, prions pour que nous apprenions à écouter ce que l’Esprit souffle à notre cœur, malgré nos obstacles intérieurs, afin que nous devenions toujours plus enfants de l’Amour.
Heureux ceux qui se savent pauvres en amour, parce qu’ils aspirent à ce souffle qui les ouvre à pressentir chez l’autre son infinie soif d’être aimé.

 

Homélie du pasteur Pierre-Yves Brandt, le 14 janvier 2024

Homélie du pasteur Pierre-Yves Brandt, le 14 janvier 2024

 

Homélie à partir de Es 62, 1-5 / 1 Co 12, 4-11 / Jn 2, 1-12

Chères sœurs, chers frères,
Les textes de ce dimanche nous parlent encore de la Bonne Nouvelle de Noël : Dieu se rend présent et se manifeste dans le concret de nos vies. Il vient nous rejoindre dans nos réalités les plus humbles. A Bethléem, la réalité est celle d’une pauvre étable. L’enfant qui naît dans cette étable est un pauvre lui aussi. Il est de condition modeste. Et c’est dans cette condition que Dieu choisit d’accomplir sa présence au cœur de l’humanité. Après sa naissance, Jésus est présenté au Temple. Là encore, il partage la condition des gens de son peuple. Ses parents s’acquittent de ce que prévoit la loi de Moïse. Ils le font en suivant les prescriptions qui concernent les plus pauvres, ceux qui ne peuvent apporter un agneau : ses parents apportent deux petits pigeons (Lv 12,8 ; Lc 2,24). Puis il est menacé de mort par le massacre organisé par Hérode. Avec ses parents, il doit se réfugier en Égypte. Il fait l’expérience de l’exclusion, partage la condition des migrants (Mt 2,13-18).
Dans tous ces récits, nous voyons comment Dieu vient à nous en Jésus. Non pas de manière grandiose, avec fastes et honneurs, mais dans l’humilité. Il est parmi ceux qui occupent les derniers rangs de la société. Mais par sa seule présence à la périphérie, c’est le centre du monde qui se déplace. Il n’est ni à Rome ni à Jérusalem, mais dans une pauvre étable ou dans un lieu ignoré d’Égypte, ou même sur les chemins. Et, dès lors, c’est le monde entier qui est sauvé, car plus aucun lieu n’est délaissé, ignoré. Dans le lieu le plus insignifiant, Dieu peut révéler sa présence et en faire sa demeure.
C’est aussi la bonne nouvelle rapportée par le récit du miracle de Cana. « Ils n’ont pas de vin » dit Marie à Jésus (Jn 2,3). Qu’est-ce que sera la fête s’il n’y a plus rien à boire ? Jésus répond à cette carence. La présence de Dieu se manifestera discrètement au travers d’un signe qui se déroule dans les coulisses. Qui a été au courant ? Bien sûr, pas les mariés, aucun des convives, et même pas le maître de cérémonie qui s’étonne du bon vin qu’on lui fait goûter pour savoir s’il convient. Ce maître du repas s’étonne qu’on serve un meilleur vin que celui qu’on a bu jusque-là, mais rien ne lui est dit de sa provenance. Ceux qui sont au courant, ce sont uniquement Jésus, sa mère et les serviteurs. Or, ce qui est intéressant, c’est la manière dont Jésus s’y prend. Il ne fait pas providentiellement arriver sur place une caravane de marchands qui apporteraient du vin. Non. Il fait remplir les jarres d’eau. L’eau, c’est le breuvage le plus élémentaire pour satisfaire la soif. Et c’est de l’eau qu’il commande aux serviteurs de servir. Les serviteurs obéissent et puisent de l’eau. Et voici que lorsque le maître du repas goûte le breuvage qu’on lui apporte, il déguste un meilleur vin que le bon vin qui avait été servi. Le vin, c’est la boisson de la fête, de la joie partagée. L’eau, c’est la boisson de base. Quand nous buvons de l’eau, elle le goût de ce qui est le plus basique dans notre alimentation. Mais lorsque nous buvons l’eau que Dieu nous donne, elle se met à avoir le goût du vin le plus succulent. Quand Dieu habite nos lieux et nos habitudes les plus courantes, ceux-ci se transforment en lieux et moyens de communion avec Dieu.
C’est pourquoi le premier signe rapporté par l’évangéliste Jean se déroule lors d’un mariage, fête de la communion par excellence. Ce signe veut nous faire comprendre qu’il n’est plus temps de considérer Dieu comme un étranger, comme un être lointain, distant. En fait, Dieu n’a jamais été désintéressé par l’humanité. Mais peu nombreux étaient ceux qui le savaient et en vivaient. A Noël, Dieu sort d’un certain silence. Il choisit de se montrer à découvert. Mais pas où on l’attend en priorité : à Bethléem plutôt que dans le Temple de Jérusalem, venant de Nazareth dans la famille d’un charpentier plutôt qu’à la cour du roi. Et si Jésus opère un signe lors d’une fête, ce n’est pas lui qui est le centre de la fête mais un couple de jeunes mariés. Autrement dit, en Jésus Dieu choisit de se montrer à découvert, mais encore faut-il avoir les yeux ouverts pour le reconnaître parmi les gens qui voyagent sur les chemins de Palestine ou au milieu des convives invités à la noce.
C’est ainsi qu’il veut faire comprendre que les hiérarchies humaines ne sont pas celles qui priment lorsqu’il vient à notre rencontre. Il ne fait pas alliance avec le peuple en devenant l’ami de son roi et de ses chefs religieux. Il fait alliance avec le peuple en se rendant proche de ceux qui lui sont donnés à rencontrer. Comme il l’enseignera à ses disciples : ils sont invités à demeurer là où on les accueille (Lc 10,5-11). C’est ainsi que ceux qui sont touché par sa grâce ne sont pas d’abord les gens importants, mais des gens qui sont en attentes, en manque et en éveil, tels Syméon et Anne, mais aussi des lépreux, des sourds et des aveugles, des gens en deuil. Alors s’accomplit la prophétie d’Esaïe : « on ne te dira plus : ‘l’Abandonnée’, on ne dira plus à ta terre : ‘La Désolée’, mais on t’appellera ‘Celle en qui je prends plaisir’ et ta terre ‘l’Épousée’ » (Es 62,4). C’est ainsi que Dieu fait alliance avec l’humanité. Tel est le sens profond des noces durant lesquelles Jésus opère le signe du changement de l’eau en vin. Elles indiquent que Dieu ne laisse plus l’humanité seule dans ses divagations, son repli sur soi ou sa démesure. Il en fait l’objet de son amour électif.
Il n’y a rien d’uniformisant dans cet élan. Car quand Dieu s’approche de tous, il s’approche de chacun en particulier. Toutes les rencontres de Jésus sont éminemment personnelles, s’ajustant à chacun, chacune dans sa spécificité. Zachée n’est pas Nicodème, Bartimée n’est pas la Samaritaine venue puiser de l’eau à midi (Jn 4). Lors du signe accompli à Cana, Jésus se rend même présent dans la vie d’un tout jeune couple sans même avoir d’interaction directe avec eux. Plus tard, parlant de la diversité de la manifestation de Dieu dans la vie communautaire, Paul dira que la diversité des dons accordés aux uns et aux autres le sont dans l’unique et même Esprit : « c’est l’unique et même Esprit qui le met en œuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut. » (1 Co 12,11).
Un seul Seigneur Jésus pour une diversité de rencontres avec des personnes de toutes conditions. Un seul Esprit-Saint pour une diversité de dons accordés aux membres de la communauté : la vie de Dieu vient transformer notre terre. Elle rejoint chacun, chacune dans sa condition particulière. Mais en même temps, elle construit la communion entre tous, car c’est le même Seigneur qui crée un lien vivant avec chacun, chacune. Cette vie se manifeste à Cana par le vin donné à l’intention de tous les convives. Tous auront part à la même joie, sont convives de la même fête. Mais chacun, chacune à sa manière.
Telle est la Bonne Nouvelle de Noël : personne n’est délaissé, oublié, abandonné. Puis-je me rappeler de cela : moi non plus, je ne suis pas oublié. En douterais-je ? A Cana, Jésus a fait remplir 6 jarres pouvant contenir entre 80 et 120 litres. Au total, cela faisait donc environ 600 litres. C’était assurément bien plus que ce qui était nécessaire. Il y en a eu pour tous, et bien au-delà. Quand Dieu est là, personne ne manque de sa présence. Accueillons-le donc avec joie, puisqu’il se laisse trouver.

Homélie du pasteur Yves Bourquin, le 7 janvier 2024

Homélie du pasteur Yves Bourquin, le 7 janvier 2024

Chères sœurs, frères et sœurs en Christ, chers amis,
C’est incroyable car la dernière fois que je suis venu célébrer l’eucharistie et prêcher dans ce magnifique lieu, c’était à la Dormition, le 15 août… Et j’avais fini ma prédication (si vous ne vous en souvenez pas, ce n’est pas grave) sur la fameuse vision de la vierge qui enfante au chapitre 12 de l’Apocalypse.
Je vous avais alors brièvement résumé ce passage à peu près avec ces mots : Une femme, vêtue du soleil, la lune sous les pieds, couronnée de douze étoiles, enfante, elle met au monde un enfant, un fils. Et voilà qu’au sortir de son ventre le dragon se poste, avec sa queue qui balaye le tiers des étoiles, comme on balaye l’espérance, pour dévorer l’enfant dès sa naissance…
Et voilà, que je me trouve à nouveau devant vous précisément avec un texte de l’évangile qui fait référence à ce passage de l’Apocalypse : le dragon prêt à dévorer l’enfant, semble en effet être une référence évidente à Hérode, prouvant que les puissants de ce monde veulent la mort de l’enfant dès sa sortie du ventre… Bref, c’est une incroyable coïncidence… mais ce n’en est peut-être pas une ? C’est peut-être une providence… Une providence qui va initier le thème de cette prédication.
Vous voyez, tout en cette vie (et peut-être même dans l’entier de la Création) n’est que providence. Providence… Voilà un terme que l’on n’entend plus guère, malheureusement. Il a disparu de la plupart des bouches ! Providence… C’est bien autre chose que coïncidence, ce n’est pas du hasard. Ce n’est pas la même chose non plus que le destin ou même la destinée… Et c’est bien autre chose aussi que de la manipulation divine, tel qu’un grand marionnettiste, fût-il tout puissant, la ferait sur nos pauvres vies. Nous ne sommes pas des pions. Non, la providence, c’est autre chose : c’est la conduite de l’Histoire (la Grande comme chacune de nos petites) vers la gloire… vers ce que nous sommes appelés à être… vers ce que Dieu veut pour nous, c’est-à-dire l’accomplissement de sa volonté au-delà de nos volontés, à nous.
Chaque jour, nous vivons de petites providences… Et bien sûr, à l’échelle du monde ou de la Création, une grande providence gouverne.
Mais, même si Dieu conduit, la providence est un jeu subtil entre lui et chacun de nous, un jeu qui implique sa liberté et ma liberté, son Esprit et mon esprit. C’est une danse subtile avec Dieu, dans son histoire et dans mon histoire…
Paul l’exprime dans l’épître lue ce matin : L’Esprit de Dieu atteste lui-même à notre esprit (voyez la danse) que nous sommes enfants de Dieu.
Dieu conduit donc l’Histoire. Il conduit l’Histoire du salut. Pour cela, il a besoin d’un peuple qui soit un peuple de témoins, qui proclament justement cette providence de Dieu, l’action de Dieu dans ce monde. (C’est ce que nous avons lu dans la prophétie d’Esaïe 43). « Mes témoins à moi, c’est mon peuple ! Dis le Seigneur. Vous êtes mon serviteur, celui que j’ai choisi… (et plus loin). Le Seigneur, c’est moi et moi seul. A part moi, pas de sauveur. C’est moi qui apporte le salut. » Dieu donne donc le salut, les témoins l’annoncent… voilà comment la providence gouverne. Cette danse.
Vous avez sans doute déjà eu l’impression d’être conduits ou conduites, que les choses se mettaient en place indépendamment de vous… Même au cœur des épreuves et sans doute même surtout dans les épreuves, cette conduite s’est fait sentir… parfois on le découvre après coup. Et voilà que nous prononçons alors la fameuse phrase de Jacob : Pour sûr, le Seigneur est-là mais je ne le savais pas.
La danse de la providence que chaque être humain fait est celle de relire son histoire à la lumière constante de la Bonne Nouvelle pour y chercher l’action de Dieu ; tu étais là, tu m’as soutenu, tu m’as accompagné, porté, consolé, encouragé, protégé et tu as donné du sens à mon existence. Cette lecture providentielle du passé devient alors projection vers l’avenir : tu seras-là, je le sais, tu m’accompagneras, tu me consoleras, tu veilleras sur moi, tu me glorifieras… Et cela devient, la foi !
Jésus fut emmené en Egypte, Joseph ayant été averti providentiellement par un ange, pour que s’accomplissent les prophéties… Dans sa providence, donc… Dieu avait prévu une fuite en Egypte, lieu qui pour tout israélite signifie bien sûr, l’esclavage. Vous voyez comme la providence est parfaite.
C’est dans le pays de l’esclavage que Jésus va trouver son refuge et donc réhabiliter cette terre devenue maudite. Il va y grandir, y être en sécurité, y recevoir l’enseignement de base, celui de ses parents… Il grandit et prospère, à l’abri… jusqu’à ce qu’il soit prêt à revenir pour accomplir ce que Dieu prévoit pour lui.
Et c’est le propre de toute fuite que de différer le moment d’un destin (j’utilise ce mot pour signifier quelque chose qui va nécessairement devoir arriver). La mort ne devait pas être pour tout de suite, pas de la main d’Hérode, car il fallait absolument auparavant que Jésus, devenu adulte, puisse être un témoin du Père, Le Témoin, La figure de tous les témoins. (Que nous sommes nous aussi appelés à être.)
Toutes nos fuites n’ont que ce but, différer l’accomplissement de ce que nous devons accomplir… pour prendre de la force, faire le plein de courage, le plein d’Esprit-Saint. Toutes nos fuites servent à nous mettre en sécurité. Mais toutes nos fuites se passent dans le pays de l’esclavage. Car en fuyant, la liberté se perd. La liberté qui nous fait être pleinement, qui nous donne le courage d’être (comme le disait Tillich) est l’inverse de la fuite… Aucune fuite ne peut être définitive, il faudra toujours d’une façon où d’une autre sortir du pays de l’esclavage et assumer notre destin… et accomplir ce que demande la providence. Sortir de l’ombre et affronter sa destinée… (c’est aussi ce que Jésus va faire.)
D’ailleurs, mes amis, si l’on devait résumer en une seule phrase l’œuvre que Dieu, son père, a demandé à son fils d’accomplir, que proclamerions-nous ? Eh bien, nous pourrions dire que Dieu a envoyé son Fils unique pour libérer le monde de tous ses esclavages, tous ! jusqu’au dernier, toutes ses fuites en avant comme en arrière, jusqu’à l’ultime esclavage à savoir la mort implacable.
Il fallait pour cela 3 choses qui n’auraient pas été accomplies si Jésus était mort de la main d’Hérode : Une promesse, la filiation (Jésus est fils de Dieu, héritier du Père et nous sommes frères et sœurs du Christ, co-héritiers du Père). 2. Un enseignement (l’Evangile) : qui proclame la fin de la loi et le début d’une espérance, le Royaume, qui est déjà là, et qui se base sur l’amour de Dieu, du prochain et de soi, sur une compassion universelle qui fonde un monde nouveau. Et 3. Il fallait une victoire, une gloire nouvelle, une résurrection qui, face au dernier combat, proclame que Dieu peut vaincre toutes choses de la création, donc même la mort est vaincue.
Voilà… Comment cette fuite nécessaire sera providentielle à l’accomplissement de la promesse des prophètes.
Et toute personne qui vit de cette providence, qui en est consciente et l’a éprouvée dans sa vie, sait que Dieu est là et qu’il veille et que sans lui, il n’y a point de salut. Il sait se sentir appartenir au peuple de Dieu qui proclame et témoigne. Il sait que son seul travail est finalement d’œuvrer à l’amour, au pardon, à la compassion, à la réconciliation, avec Dieu, avec son prochain, avec lui-même. Il sait que c’est finalement cet unique témoignage qui donne du sens à son existence et fait advenir, petit à petit, le règne de Dieu, ici-même.
Amen

Prédication du pasteur John Ebbutt, Épiphanie 2024

Prédication du pasteur John Ebbutt, Épiphanie 2024

Prédication   – Esaïe 60, 1-6+18-22,   Ephésiens 3, 2–6, Matthieu 2, 1-12
Kaïrete ! Bonjour à vous en grec ! χαίρετε ! Salut ou plutôt Joie, joie en ce début d’année ! car la salutation résonne comme une exclamation et un souhait : Kaïré – Χαίρε Maria, réjouis-toi Marie, dit l’Ange, mais aussi avec chacun de vos prénoms, si tant est que l’Evangile nous parle de la « mega joie », c’est écrit ainsi, ressentie si fortement par les mages au moment où l’Etoile leur a indiqué le lieu où était l’enfant.
Ils ont été saisis, remplis, habités ces hommes qui tout à coup avaient trouvé, après bien des détours et des mirages, le Roi recherché dont l’Etoile avait brillé.
Kaïré ! Joie immense quand les chemins de nos vies sont faits de rencontres dont certaines nous enfantent vraiment.
Alors je me demande, de manière peut-être saugrenue, vous me pardonnerez :  et si les mages, en repartant de la crèche, avaient pris, comme vous, comme moi, de bonnes résolutions ? Car on ne peut les imaginer continuant comme avant, comme si rien ne c’était jamais passé, non,… leur vie, leur regard ont dû être retourné pour toujours, pour croire ailleurs, au loin, autrement. Emportant avec eux un présent bien plus précieux que l’or, la myrrhe ou l’encens.
Ils étaient venus comme des astronomes, des spécialistes du firmament, habitués à scruter la voie lactée, à nommer, détailler avec rigueur et précision, et voilà que tout change devant un autre éclat…
1) Et si la première bonne résolution des mages, c’était désormais d’avoir un peu moins les yeux dans l’infini des étoiles, mais de garder cette curiosité en marche, pour se réjouir, s’émerveiller de ce qui est parfois caché, mais à notre portée, juste sous notre nez, mais qui demande à être trouvé. Comme le Christ qui aime être cherché et qui ne se donne qu’aux Avent-uriers, non pas aux Hérodes dans leur palais, aux scribes et prêtres immobiles, enfermés dans leur vérité. Le Christ qui aime être cherché, comme il le dira lui-même : « Je vous précède en Galilée, c’est là que vous me trouverez ».
La bonne résolution commune, ce serait de garder les yeux un peu plus ouverts pour apprendre à discerner la vie nouvelle à naître et à surgir tout au long de cette année. Si Dieu a choisi d’habiter le monde par l’Enfant de Noël, c’est pour que dans l’épaisseur de nos nuits, dans la clarté de nos jours, sous l’apparence des choses et des êtres, il y ait une présence secrète et féconde, comme un levain dans la pâte, un ferment en devenir, comme une pousse qui aimerait jaillir.
Une nouvelle année nous est donnée pour toujours mieux écarquiller les yeux et croire à la vie offerte malgré tout si belle  en sa nouveauté !
2) la deuxième bonne résolution des mages, ce serait aussi d’avoir un peu moins la tête dans la course des étoiles où tout serait écrit d’avance ou presque, à la manière d’une horoscope qui ferait la pluie et le beau temps, pour désormais se laisser guider, mieux écouter cette voix qui leur a dit en songe de ne pas retourner chez Hérode, mais de prendre un autre chemin pour rentrer. Oui, il y a dans ce monde plus que simplement le savoir, les prévisions. Il y a ce désir de Dieu qui oriente nos choix, nous invite à être conduit pour rentrer dans une autre dimension, une co-naissance, une intuition, une certitude intérieure, une vocation. Redevenir comme un enfant.
La bonne résolution, ce serait d’écouter cette voix qui nous invite, nous souffle les mots de sa tendresse, qui prévient et oriente pour que l’on puisse toujours aller sur des chemins inspirés.
J’aimerais croire que les mages qui avaient regardé l’extérieur du Ciel étoilé, le monde avec ses riches et ses puissants, la ville et ses habitants, sont repartis avec le souhait de faire plus de place au silence, à ce qui résonne comme un appel, qui vient ouvrir un espace personnel pour se laisser habiter. Et c’est tout un univers aussi à explorer ! la carte de notre ciel intérieur ! ne sommes-nous pas nous non plus poussière d’étoiles, portant l’infini au-dedans de nous ?
Une nouvelle année nous est donnée pour mieux tendre le cœur vers la lumière que Dieu vient faire étinceler !
3) La troisième bonne résolution des mages, ce serait également d’avoir un peu moins les pensées dans la lune et les astres en s’évadant dans l’immensité, pour garder les pieds sur terre pour ne plus jamais se décourager devant les obstacles qu’on a devant soi, les détours, les impasses de la vie.  Il aura fallu le passage chez Hérode pour bifurquer du palais vers une modeste crèche. Et si les échecs pouvaient être des portes ouvertes sur autre chose ? et si les prises de consciences pouvaient être des choix nouveaux ? On peut se tromper, certes, mais n’est-ce pas ce qui rend la vie plus vraie lorsque l’on a pu poursuivre avec courage et ténacité ? Les mages étaient venus d’orient, là où la lumière se lève et marchent vers une autre lumière, Celle du Christ qui nous relève !
La bonne résolution ce serait de trouver dans le pardon et la grâce, cette force de toujours recommencer pour ne pas craindre tout ce qui pourrait encore nous arriver. Saviez-vous qu’en grec, la grâce – Xaris est la même racine que le mot joie, Xairo ? Et si la joie était une raison de vivre avec gratuité ? Et la grâce ce qui brille, ce qui réjouit ?
Une nouvelle année nous est donnée pour toujours espérer comme une joyeuse faveur imméritée !
4) La 4e bonne résolution des mages, ce serait d’avoir un peu moins les idées toutes faites, pour désormais ne plus se laisser impressionner par tous les Hérodes que l’on peut rencontrer. Oui, en passant d’un roi à un autre, ils n’ont pas tout à fait trouvé la même réalité, les mages. Ils ont dû changer leurs valeurs…
La bonne résolution, ce serait alors de se détourner des fausses … résolutions !  De l’immédiat, du superficiel, de l’instantané parfois si flatteur, pour essayer de trouver ce qui se construit dans la lenteur d’une fidélité, dans le si simple en apparence.
J’aimerais croire que les mages ont changé leur regard sur le monde, ne s’arrêtant désormais pas aux titres ni aux apparences, aux annonces tonitruantes, mais assurés que ce qui triomphe n’est pas la force, l’arbitraire, les menaces, le mensonge, mais au contraire ce qui est accueil, douceur et bienveillance, à l’image de l’Emmanuel, présent là où 2 ou 3 se retrouvent en son Nom.
Une nouvelle année nous est donnée pour toujours mieux se rapprocher du Christ, notre Paix !
5) et puis la 5e et dernière résolution ( on arrive au bout, rassurez-vous !), ce serait pour les mages, et j’en reviens au début de notre dé-marche, de garder en eux la joie, la très grande joie, même qu’ils ont ressentie.
Oui, comment garder malgré les peurs, les Hérodes d’aujourd’hui, malgré les obstacles, malgré les bons conseils de ce monde, malgré les discours scientifiques et rationnels, la joie toute neuve de Dieu en nous ?
La bonne résolution, ce serait de cultiver cette joie, de la faire grandir au contact de Celui qui n’est pas venu nous alourdir, mais au contraire, comme pour les mages, nous faire découvrir qu’il y a plus de joie à donner, plus de joie à croire qu’à maîtriser, plus de joie dans l’écoute que de s’imposer, plus de joie à repartir qu’à s’installer. Que la joie est vraiment source de liberté.
J’aimerais croire que les mages ont été durablement habité de cette joie divine et qu’ils l’ont faite rejaillir sur d’autres, qu’ils ont déposé des bagages bien plus immatériels, mais plus précieux, en devenant ainsi les porteurs d’une proximité inédite, à cause de ce Dieu fragile, ce Dieu si humain, ce Dieu de naissance qui est avec nous, sur tous nos chemins d’enfantement, nos jardins féconds, nos compostelle, nos champs des étoiles !
Une nouvelle année nous est donnée pour faire route ensemble, en accrochant nos vies à une Etoile, celle du Roi promis : n’est-ce pas-là une bonne résolution ?
Amen
De bon matin, ils se sont mis en route
Les rois-voyageurs d’un pays lointain
Ils ont parcouru les dunes et le sable
Suivant l’Etoile qui leur traçait un chemin
Ils emportaient avec eux des parfums inconnus
Senteurs, biens précieux, trésors pour dire Dieu
Encens qui se libère dans la chaleur de la braise
Or pur qui vient se lover au creux de la main
Myrrhe qui embaume la tristesse
Quand disparait l’espoir des lendemains
Sans quitter l’Astre du regard
Ils avaient hâte de saluer le Roi des rois
De s’abaisser devant le Puissant de la terre
De rendre hommage à celui qui imposerait sa loi
Quelle ne fut pas leur surprise
De découvrir, humble et sans parterre
Un enfant emmailloté comme un cadeau
Les voilà donc riches de cette rencontre qui se dévoile
Secret d’une aube qui s’éveille sur la terre des vivants
Déjà ils pourront mettre les voiles
Sur d’autres horizons où l’on reçoit au-delà de tout argent
Dors ma merveille
Car le souffle te berce dans la paix du froment
Tu seras pain de la terre au jour du soleil
Etoile qui brille pour toujours au firmament
Homélie du pasteur D. Guenin de Morat, le 4 janvier 2024

Homélie du pasteur D. Guenin de Morat, le 4 janvier 2024

Homélie sur 1 Jn 5,3-12a et Jn 3,16-21

Mes très chères sœurs et frères en Christ,
Une année a pris fin – Je vous souhaite une bonne
nouvelle année benie !
Une année a pris fin, et qu’est-ce qu’elle a eue de la misère au monde entier, cette année. Une année a pris fin, mais ce ne’est pas fini. Qu’apportera la nouvelle ?
Le monde, dans les deux lectures, est un mot clef.
Nous entendons monde les yeux ouverts aux nouvelles de nos jours. Et c’est comme ça qu’il faut écouter la bonne nouvelle, la nouvelle du Christ.
Je cite l’Epitre : 4 puisque tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde. Et la victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi. Et 6 C’est LUI qui est venu par l’eau et par le sang, Jésus Christ.
J’ajoute de l’Evangile : 17 Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
Le Christ est comme une clef – plus qu’un mot de clef, il nous ouvre une porte, un autre accès. Un accès à Dieu. Une autre vue sur le monde. Mais cette autre vue, cette autre perspective, cette autre nouvelle a à faire avec nos nouvelles, les mauvaises nouvelles de tous les jours. Le Nouveau veut transformer ce qui doit prendre fin.

Le monde, nous sommes en ces temps plus sensibles
par toutes ces nouvelles, qui ne sont pas des vraies des bonnes nouvelles, puisque c’est tout le temps comme ça, il y a trop longtemps. Le monde avec toutes ces guerres, problèmes de pollution, réchauffement climatique a une tendance négative, finale, menant à la fin, à la mort. Ce n’est pas seulement d’une actualité terrible, c’est plus profond.

Comme disait l’écrivain Franz Kafka : « Das Leben ist ein Prozess mit tödlichem Ausgang».
Alors comme si c’était une réponse de l’Evangile, et c’en est une, pas seulement à Kafka, mais au monde entier : 19 Le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises.

J’ai toujours pensé et jamais compris que c’était un choix libre, comment peut-on préférer l’obscurité ? Pourquoi les gens donnent-ils préférence à des œuvres mauvaises. Il ne faut pas généraliser, je sais, faut pas dire « les gens » préfèrent l’obscurité, il y en a d’autres, heureusement… Mais peut-être qu’effectivement c’est une tendance générale. Parce que c’est une tendance du monde, une tendance vers la mort, non par libre choix mais parce que la mort s’impose, partout. L’invitation aux œuvres mauvaises est omniprésente et s’impose, non tout premièrement par un manque de discipline, mais par cette tendance du monde vers la mort. Guerre et contre-guerre suit la logique de la mort. Abus du pouvoir, oppression des plus faibles, ravage des biens naturels jusqu’à une terre brûlée suit la logique de la mort – et c’est comme l’autre côte de la même monnaie : D’un côté le faux vainqueur, de l’autre côté la peur, la détresse. Pourquoi ai-je dit faux vainqueur ? Parce que la mort dans cette logique de la mort ne s’arrêtera pas chez l’autre. Cette tendance générale vers la mort n’a comme vainqueur que la mort qui s’impose partout. C’est pourquoi que cette préférence de l’obscurité à la lumière n’est pas un libre choix mais un tourbillon à un seul issu : la mort.

Qu’a à faire la foi dans tout cela ? – Tout !
17 Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Et, l’acte du début, la création, n’est pas la création de la mort, mais la création de la vie ! J’entends – et c’est effectivement un acte de foi – une
priorité de la vie ! Et là en linguistique dans ce cas le français est beaucoup mieux que l’allemand : Quand je dis oui, en principe « j’accuse réception ». Oui en principe c’est « bien-entendu ». En allemand ce serait Jawohl, mais on omet le wohl, dommage. « Bien-entendu » ne va pas de soi. Il faut un consentement actif.

Alors si je dis oui à que Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui, il faut que mon consentement soit actif. Si je dis oui à la priorité de la vie, il faut que mon consentement soit actif. Le témoinage plus grand de Dieu (1 Jn 5,9) par Celui qui est venu par l’eau et par le sang (1 Jn 5,6) demande, attend mon oui. Mon oui au baptême qui est un vrai commencement par mon consentement actif, mon oui à que Jésus, le Christ, sur la Croix ait cassé la dictature de la mort en la surmontant vers la lumière est un témoignage qui surmonte la tendance du monde à l’obscurité, l’omniprésence de la mort.
Nous préférons activement la vie, la vie éternelle !
Nous ne sommes pas des ambassadeurs de la fin, de la mort, de l’obscurité inévitable. Notre témoignage part d’autres priorités. De la priorité de Dieu !

Et, que ceci soit dit encore pour la fin : Il nous faudra toujours – même s’il y aurait beaucoup de raisons pour le contraire – faire attention de ne pas juger le monde. Car le monde, même celui qui a fait un mauvais choix, même par méchanceté, est un monde qui est basé sur la création, sur la priorité de la vie, soumis – sans foi – sous la peur de la mort, et non seulement sous la peur de la mort, mais sous une peur encore beaucoup plus profonde.
Il y a pire que la peur de la mort : C’est la peur profonde du monde de périr (Jn 3,16).

En Ukraine,
en Russie,
en Israel,
au Gaza
est la peur de périr.
Le monde est un monde en peures.

Aussi chez nous, dans les craintes de beaucoup de gens de ne plus pouvoir payer les exigences de la vie.
La peur de périr à son règne clandestin aussi dans les richesses aveugles, le matérialisme impie de notre pays, qui, au fond, est une peur cachée que peut-être rien ne reste, rien de nous, rien du tout. C’est un râpage final selon la logique de la mort : Volons aujourd’hui vite tout ce qui saura perdu demain !

Nous ne témoignons pas de la fin, mais du commencement. Nous témoignons du créateur qui à donné priorité à la vie : Que la vie soit, et la vie fut !
Nous témoignos de celui qui sur la croix a brisé la dictature de la mort pour une ouverture à la vie en lumière.
Nous témoignons aujourd’hui à nouveau de la bonne nouvelle :
Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
Et nous ne temoignons pas de la haine du monde quoi qu’il soit coupable, mais de sa chance : Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
Amen – ainsi-soit-il !

Prédication pour la Saint-Etienne par le pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 26 décembre 2023

Prédication pour la Saint-Etienne par le pasteur Jean-Baptiste Lipp, le 26 décembre 2023

Esaïe 35, 1 à 10, Actes 7, 55 à 60 et Jean 1, 9 à 13 – Pasteur J.-B. Lipp

Sœurs et frères,
Hier, nous fêtions un peu partout Noël, dans les paroisses et dans les familles. Aujourd’hui, nous sommes quelques-uns seulement à fêter, avec vous, et quelques autres communautés, la Saint- Etienne. Calendrier liturgique oblige. Le 26 décembre est devenu, dans l’Eglise, le jour de la commémoration du premier martyr chrétien, appelé pour cette raison protomartyr. Je me garderai bien de contester le bien-fondé de ce passage, à vrai dire quelque peu abrupt, du jour au lendemain, entre la nativité de notre Seigneur et la mort de son premier témoin. Je nous propose plutôt de nous laisser entraîner par les possibles mises en tension et mise en relation de ces deux célébrations.
Après tout, comment être étonné de cette proximité des extrémités, lorsque l’on sait que la naissance du Christ Jésus se passe d’entrée de jeu dans un univers certes d’accueil, mais principalement et principiellement, dans un univers de refus de la Lumière qu’il incarne pour le monde. L’Evangéliste le plus sévère, mais le plus lucide aussi, sur le bilan globalement négatif de la réception du Christ Jésus est celui de Jean, dont nous avons écouté un extrait du prologue. Le Verbe, en venant dans le monde, illumine tout être humain. Cependant, les siens ne l’ont pas accueilli. Seuls celles et ceux qui l’ont reçu sont devenus enfants de Dieu. A Noël, il s’agit ni plus ni moins que de naître, ou de ne pas naître, avec le Christ, à ma vocation de fils ou de fille de Dieu. Ainsi Jean, l’Evangéliste.
Chez Matthieu, cette alternative entre l’accueil et le refus se raconte autour de la figure des mages et de la figure d’Hérode. Comme l’a si bien relevé la théologienne Marion Muller-Colard dans sa grande interview pour le Temps : d’un côté, il y a Hérode, qui se sent menacé au point d’ordonner le massacre de tous les garçons de moins de deux ans, de l’autre, les Rois mages. Réagir en Rois mages, revient à dire, pour cette théologienne contemporaine : « Je m’incline devant la vie. » Est-ce que je suis au service de ma vie, ou au service de la vie ? Telle est la question.
C’est donc sous le signe du service que nous pouvons passer de la fête de Noël à celle de la Saint- Etienne : au service de cette vie incarnée par le Christ, né, mort et ressuscité pour que nous aussi, nous passions, avec lui, de la mort à la vie. Lui, au notre service de notre humanité : c’est ce que nous fêtions hier. Nous, au service de sa divinité : c’est ce que nous fêtons aujourd’hui. Le service n’est-il pas, au fond, le maître mot de la vie d’Etienne à la suite du maître Jésus ? Certainement, puisque le livre des Actes, au chapitre 6, nous fait connaître Etienne comme premier de la liste des sept ministres affectés au service des tables.
A ce stade, qui est celui du livre des Actes, les apôtres sont au service… au service de la Parole, et les sept nouveaux ministres au service… au service des tables. (Les premiers sont des juifs d’origine hébraïque, les seconds des juifs d’origine grecque.) Le point commun étant le service au nom d’un seul et même Seigneur. Et dans le cas d’Etienne, force est de constater que le service des tables du chapitre 6 va déborder sur un magnifique service de la parole qui rend témoignage au Christ Jésus, dans la droite ligne d’Abraham, de Joseph et de Moïse.
C’est le grand plaidoyer du chapitre 7 devant le Sanhédrin. Le discours magistral qui va tout faire basculer d’un procès sommaire, basé sur de faux témoignages, à un lynchage des plus arbitraires. S’il sera qualifié plus tard de diacre, et même de protodiacre, Etienne est ici un excellent théologien, dans sa manière de revisiter l’histoire de Dieu avec les humains, un Dieu préférant de loin habiter dans la vie des personnes plutôt que dans des institutions telles que le Temple de Salomon. Non, Etienne n’a rien ni contre Moïse, ni contre le Temple, comme le prétendent ses détracteurs.
Le premier martyr, le premier témoin ne renie rien, bien au contraire : il relit et il relie Moïse et le Temple à la venue de Jésus. En Jésus le Christ, Dieu est venu habiter notre humanité pour la transformer. En somme, Etienne témoigne de l’incarnation, cette incarnation que nous célébrons à Noël et dans le temps qui suit. Et ce faisant, Etienne va incarner lui-même le sort de son maître, dont nous ne cessons de rappeler, notamment dans la tradition protestante, à Noël, que cette naissance a lieu dans le bois de la crèche pour signifier le bois de la croix. Alors non, ce n’est pas tellement étonnant que l’Eglise nous fasse passer de Noël à la Saint-Etienne, comme nous le faisons ce matin.
Tenez, ce matin, avant que le soleil ne se mette à luire, j’entendais le chant d’un oiseau, et je me disais ceci : « L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. » Dans le récit de ce matin, c’est l’Esprit Saint qui ouvre les yeux d’Etienne sur le ciel, pour y voir la gloire de Dieu et Jésus, debout, à sa droite. Et le Saint-Esprit non seulement ouvre les yeux, mais encore la bouche d’Etienne pour en témoigner encore, une dernière fois, publiquement, comme un « amen » : c’est vrai, ce n’est pas qu’un discours que je vous fais. Je n’ai plus rien à perdre. Maintenant, j’ai tout à y gagner. Et peut-être même que l’une de ces pierres se transformera en un cœur ouvert…
Hier, il était question d’une naissance au monde. Celle de Jésus, la nôtre aussi. Aujourd’hui, il est question d’une naissance au Ciel, celle d’Etienne, à la suite de Jésus. Etienne passe aussi devant un pseudo tribunal. Il crie comme son Seigneur. Il prie comme son Seigneur. Il meurt comme lui. Jusqu’à prononcer deux paroles de son Seigneur en croix. Mais ici, c’est à Jésus qu’Etienne remet son esprit. Et comme lui, il invoque le pardon pour ses bourreaux. Il est pourtant une parole qu’Etienne ne prononce pas, et qu’un martyr serait en droit de prononcer : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Pourquoi, en un mot. Ou pour quoi, en deux.
Je me la pose. Nous nous la posons peut-être, pour lui, comme pour d’autres martyrs. Et je trouve une réponse dans la mention de ce jeune homme nommé Saul, et qui joue le rôle de vestiaire pour les témoins de cette horrible lapidation. Saint Augustin disait que si nous avions Saint Paul, c’était grâce à Saint Etienne. Sans oublier tous les autres qui ont suivi, puisque le livre des Actes nous dira que cette lapidation a engendré de grandes persécutions, et une mission hors de Jérusalem. Alors, je retrouve ma réflexion de ce matin : « L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. »
Oui, Etienne salue le monde du Ciel, où Jésus est assis à la droite du Père. Mais il salue aussi, de loin, et peut-être à la manière de ce Moïse dont il avait témoigné, le monde qui va recevoir l’Evangile. Le monde où nous sommes, ici et maintenant. Ce monde est promis à cheminer avec un Dieu vulnérable, comme nous le suggère déjà le prophète Esaïe. De même que Noël n’est que le germe d’une naissance, – mais quel germe ?!, – de même le martyr d’Etienne, comme celui de toute vie consacrée et qui vit ce qu’elle prêche, n’est que le germe d’une renaissance, – mais quel germe ?!
« L’oiseau salue le jour qui va naître. Le martyr salue le monde qui va venir. » Le monde qui est venu et qui va venir encore est comparable à cette image découverte chez vous, chères Sœurs : des galets visibles au bord de l’eau, sous l’eau claire, et qui forment comme un chemin. Ces galets ont peut-être été ceux d’une lapidation verbale ou physique. Ils sont devenus ceux d’un chemin de pacification et de clarification. Alors marchons, à la suite du Christ, à la suite d’Etienne et de tous les témoins, vers ce monde promis à la vie.
Amen