Homélie du pasteur Raoul Pagnamenta, 18 février 2024

Homélie du pasteur Raoul Pagnamenta, 18 février 2024

Genèse 22

Il y a quelques années le synode de notre Église avait décidé de reformuler la sixième demande du Notre Père.
L’ancienne formule « ne nous soumets pas à la tentation », avait été changée par « ne nous laisse pas entrer en tentation ».
Cela ne correspond pas à la version grecque, mais c’était plus facile à entendre.
Car l’idée que Dieu puisse tenter est inacceptable.

Et pourtant c’est ce qui arrive dans ce récit.
Dieu met à la preuve Abraham.
Une preuve inhumaine, celle de sacrifier son fils.
Ou peut-être pas !
ça dépend comment on lit ce récit.
Peut-être la vraie tentation ce n’est pas une épreuve que Dieu nous donne.
La vraie tentation, c’est Dieu lui-même.
Ce Dieu qui est différent de ce qu’on imagine.
Qu’on n’arrive pas à saisir par nos efforts et qu’on ne veut pas saisir lorsqu’il se manifeste.

Ne nous soumets pas à la tentation équivaut alors à dire, permets-nous de t’accueillir tel que tu es sans te réduire aux images que nous nous faisons de toi.
Une paraphrase pourrait être ce que Jésus dit aux messagers de Jean au chapitre 11 de l’évangile de Matthieu : Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute.

Abraham fait preuve d’une obéissance sans tache quand il accepte de monter sur le mont Moriah pour sacrifier Isaac.
Mais qui lui demande de sacrifier son fils ?
Dans le texte hébreu Dieu dit littéralement : fait monter ton fils Isaac sur la montagne. L’expression « faire monter » signifie parfois « sacrifier à Dieu » et plus spécifiquement quand il s’agit d’un holocauste, car on fait monter la fumée vers les hauteurs.
Mais on n’est pas obligé de le comprendre comme ça.
La première signification reste celle de « faire monter » et on peut bien comprendre que Dieu ait simplement demandé à Abraham de faire monter Isaac sur la montagne qu’il lui indiquerait, dans une autre intention.

Tout dépend du contexte.
Et le contexte de Abraham, c’est qu’il vit au milieu d’un peuple païen.
Et le sacrifice d’enfants était pratiqué.
Aujourd’hui aussi on les pratique, sous d’autres formes plus civilisées. Et parfois on le pratique au nom de Dieu.
A l’époque d’Abraham, on tuait des enfants avec un couteau et on les brûlait sur un autel pour faire plaisir à tel ou tel dieu et obtenir ses faveurs.

Abraham avait un autre Dieu que les idoles du moyen Orient, mais sa façon de comprendre le mot Dieu, de comprendre le vocabulaire qu’on utilise quand on veut parler de Dieu était fortement influencé par son éducation et par ce qu’il entendait autour de lui.

Nous ne sommes pas épargnés de ça. Quand nous utilisons le mot Dieu, nous le comprenons comment ? Quand nous utilisons le mot « justice », le mot « péché », nous les comprenons comment ? Est-ce que notre compréhension est due à une lecture assidue de la bible et à des heures de méditation et de prière, ou bien nous pensons savoir ce que ces mots signifient et nous les comprenons comme on nous les a transmises et comme les comprennent nos contemporains, au point que parfois nous nous demandons si croire ou pas croire fait une différence.
Nous faisons des dégâts avec notre mauvaise compréhension de Dieu.
Ceux qui nous entourent deviennent souvent les victimes collatérales de notre mauvaise théologie.

Dieu.
Le mot Dieu en soit est un mot païen, la Bible préfère parler de Jahvé, un nom propre.
Et Jahvé nous pouvons le connaître dans la mesure où il se révèle et que nous entretenons une relation avec lui.
Mais c’est difficile de connaître quelqu’un en faisant abstraction des idées reçues et des préjugés.
Abraham avait une relation avec Jahvé, et il avait osé ce qu’aucun de ses contemporains n’avait osé. Il a osé, il a quitté sa patrie, il a renoncé à la sécurité, il a changé de nom, il a quitté beaucoup de choses pour son Dieu.
Et Dieu lui demande de quitter encore une chose.
Son fils ? ou pas !

On voit Abraham lutter contre l’idée qu’il se fait de Dieu.
On le voit douter de l’idée qu’il se fait de Dieu et qu’il partage avec ses contemporains.
D’un côté il comprend l’ordre de Dieu comme l’ordre de sacrifier son fils, mais il n’y croit pas vraiment.
Il dit à ses serviteurs qu’il va retourner avec Isaac, il dit à Isaac que Dieu pourvoira avec un agneau.
Il n’y croit pas car il a fait l’expérience d’un Dieu bon, un Dieu qui garde ses promesses.
Entre sa foi et ses préjugés il y a une lutte, pas très différente de celle que devra mener son petit-fils Jacob au bord du Yabbok, pas très différente de celle que devront mener tous ceux qui se réclament de son Dieu.

La foi nous fait douter de nos propres images de Dieu. Et ce doute demande beaucoup de courage.
C’est la tentation d’Abraham : oser voir le vrai Dieu, en face.
Et c’est terrible, car qui voit Dieu doit mourir, il doit mourir à soi-même, il doit mourir aux autres, il doit mourir à ce qu’il a toujours pensé être Dieu et être sa volonté.

Et c’est ce que Abraham découvre sur la montagne de Moria.
Quand il descend de la montagne ses rapports avec Isaac et avec Dieu ont complètement changé.
D’ailleurs, le récit utilise le mot générique Dieu pour parler de l’Éternel, jusqu’à ce que Abraham arrive au sommet. Après le refus de Dieu de voir Isaac sacrifié, le récit le nomme Yhavé, un nom propre. Dieu change, Abraham change, Isaac probablement change aussi.

Cette histoire commence avec l’expression « après ces événements ».
Souvent je n’y prête pas attention, cela signifie simplement qu’un épisode vient de se terminer et qu’un autre va commencer.
Mais cette fois-ci j’ai voulu voir quels étaient ces événements.

Avant ce récit est racontée l’alliance qu’Abraham fait avec Abimelek pour l’accès à l’eau d’un puits.

Abraham apparaît comme un homme de foi qui fait entièrement confiance à Dieu et en même temps un homme avisé qui sait comment régler les choses de la vie à son avantage.

On peut être homme de foi et bien gérer sa vie, c’est même souhaitable.
Mais le danger c’est l’attitude que nous pouvons avoir face à la vie et face à Dieu, quand nous réussissons par nos efforts. Reconnaissance ou fierté ? Don ou exploit ? Grâce ou mérite ?

Abraham est un homme de foi et il est sûrement reconnaissant vis-à-vis de Dieu pour la naissance d’Isaac.

Mais après l’épreuve du mont Moria, je pense qu’il est davantage reconnaissant.

Comme chacun de nous, il est reconnaissant dans la foi de ce qu’il a reçu, mais comme chacun de nous il se confie tout de même un peu en ses capacités et en ses mérites.

Isaac est le fruit de la promesse, mais Abraham y est pour quelque chose.
Et Dieu a réalisé la promesse, mais il a le droit d’exiger en retour.

A Moria Abraham change sa vision de Dieu, Dieu n’est pas « oui et non », je te donne mais à des conditions, je te donne mais tu me donnes. Pour paraphraser l’apôtre Paul Abraham découvre que Dieu n’est que « oui ».
Dieu ne donne pas seulement, Dieu donne totalement, sans calculer.
Et ainsi Abraham change son rapport à Isaac qui lui est donné une deuxième fois.

C’est souvent ce que notre attitude de croyant, nous croyons mais jusqu’à un certain point. Ce que nous avons est un don de Dieu, mais aussi un peu le fruit de nos efforts et de nos mérites, quelque chose que nous avons le droit d’avoir.
Et pour nous Dieu, à notre image, il est généreux, mais jusqu’à une certaine limite.
Découvrir un Dieu qui n’a pas demandé de sacrifice, qui n’a pas demandé de contrepartie, nous plonge dans une nouvelle dynamique.

Vivre du don absolu signifie aussi devenir don absolu,
car comme dit Jésus nous sommes l’image de Dieu qui fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons.
Nous avons à être parfaits comme notre père est parfait.
Ayez la pensée de Christ, dira Paul.
Vivre dans une dynamique du don parfait est une bénédiction.
Mais essayer de la vivre, ça fait peur.

Ce n’est la demande d’un sacrifice qui nous fait trembler, c’est l’absence de cette demande qui nous bouleverse.
Qu’est-ce que ça veut dire de recevoir sans mériter ? si nous n’avons aucun mérite pour ce que nous avons, est-ce que nous l’avons vraiment ?
Et si nous ne l’avons pas mérité, sommes-nous tenus de le donner si quelqu’un en a besoin ?

Nous entrons aujourd’hui dans le temps de carême.
A la fin de cette période nous ferons mémoire de la mort en croix de Jésus.
Jésus est le don de Dieu.
Le don absolu de Dieu, un Dieu qui donne sans compter.
Un Dieu qui change toute logique et qui ne demande pas de sacrifice.
Qui devient lui-même le sacrifice.

Il est habituel pendant la période de Carême de renoncer à quelque chose.
Il y en a qui renoncent à la viande, qui renoncent à l’alcool, qui renoncent au chocolat.
En suivant l’exemple d’Abraham pourquoi n’essaierions-nous pas de renoncer aussi aux idées que nous nous faisons de Dieu.
Pourquoi ne pas prendre distance de ce que nous pensions de notre foi et se remettre à une lecture de la Bible renouvelée.
Pourquoi ne pas s’ouvrir à Dieu tel qu’il veut se montrer, quitte à devoir mourir pour renaître ?
Pourquoi nous ne renoncerions pas aux idées que nous nous sommes faites de Dieu et que sur la montagne, le Golgotha cette fois-ci, nous ne laisserions pas Dieu se donner à nous tel qu’il est et transformer radicalement nos vies ? Amen

Homélie de la pasteure Aline Lasserre, le 7 mars 2024

Homélie de la pasteure Aline Lasserre, le 7 mars 2024

Prédication Matthieu 22, 23 à 33 Q au sujet de la résurrection
et Hébreux 7, 14à17 et 25 à 27 Q au sujet du grand-prêtre.

La question de la résurrection se pose à beaucoup aujourd’hui et même parmi les chrétiens la question divise. Jésus est-il vraiment ressuscité, qu’est-ce que cela veut dire et qu’en savons-nous concrètement ? la résurrection sera-t-elle le duplicata de notre vie ici-bas, mais sans le mal ?
La question des Sadducéens pourrait donc être légitime, pourtant nous la pressentons bien comme un piège tendu à Jésus, faisant suite à la question piège des Pharisiens au sujet du tribut à payer ou non à César.
Les Sadducéens appartiennent à la noblesse sacerdotale de Jérusalem, unis dans l’hostilité à Jésus mais pourtant en rivalité avec les Pharisiens dont ils viennent de prendre le relais.

A la résurrection, demandent-ils, de qui sera-t-elle l’épouse, cette veuve qui a épousé successivement 7 maris ?

Jésus ne se dérobe pas à la question, mais y répond par une double accusation.
Vous vouliez mettre en lumière par votre question embarrassante l’absurdité de croire en la résurrection, mais voilà que c’est vous qui êtes dans l’erreur d’une part parce que vous ne connaissez pas les Ecritures et d’autre part parce que vous ignorez la puissance de Dieu.

Ces accusations sont graves : comment Jésus peut-il dire à des spécialistes de la Loi qu’ils sont ignorants des Ecritures ?
Ils viennent de lui prouver le contraire en citant la Loi de Moïse, cette loi du lévirat, qui prescrivait à la veuve de se remarier avec un frère du défunt de manière à assurer une descendance à cette famille. Leur exemple est certes tiré par les cheveux, mais la question ne pourrait-elle pas se poser ?
Jésus remet en question cette connaissance des Ecritures qui permet de confondre son adversaire à coup de versets bibliques ou de prétention à une connaissance supérieure fondée sur les Ecritures. Nous avons en Eglise une certaine pratique de cette manière de faire, hélas.

Et puis peut-être plus grave encore, Jésus les accuse d’ignorer la puissance de Dieu.
Cette puissance de Dieu qui est puissance de Vie, avec un grand V.
C’est elle qui est à l’œuvre dans la résurrection.
C’est cette puissance de Vie qui se manifeste en son Fils Jésus, venu nous faire connaître ce temps nouveau.
Dans l’épître aux Hébreux l’apôtre en rend compte dans ce que nous venons d’entendre, Jésus n’est pas un grand-prêtre selon l’ordre établi, d’abord il n’est pas de la bonne lignée des prêtres de pères en fils, il est clair pour tous qu’il est issu d’une autre tribu, celle de Juda. Et même plus, il sera, si l’on reste en ces catégories, grand-prêtre pour l’éternité, non plus comme celui qui doit offrir un sacrifice pour son peuple, mais comme celui qui donnera sa vie pour définitivement nous arracher à la puissance du mal.
C’est dire que ces catégories de pensées se trouvent incapables de rendre compte de ce temps nouveau si elles ne sont pas éclairées par l’Esprit de Dieu.
La puissance de Dieu, cette puissance de Vie, transcende les ordres établis et délimités comme la Grâce qui vient rendre la Loi caduque.

La réponse de Jésus aux Sadducéens manifeste ce décalage entre ce qu’ils imaginent de la résurrection et la réalité de résurrection déjà à l’œuvre dans l’agir du Christ.
La résurrection dit Jésus ne sera pas le copié collé de ce qui se passe ici-bas.
A la résurrection il n’y aura plus ni mari, ni femme, le mariage n’aura plus court parce que notre vie sera alors tout autre.
Jésus, dans sa réponse, donne deux indications qui nous permettront d’en savoir suffisamment sur la résurrection.
D’abord il indique que nous serons alors comme des anges. Qu’est-ce à dire ?
C’est dire en tous cas que nous vivrons d’une autre condition que celle que nous connaissons ici-bas et dans la proximité immédiate de Dieu dont la louange sera notre principale fonction. Il me semble que Jésus nous donne ainsi à la fois une réponse qui doit nous être suffisante pour comprendre que nous entrerons là dans réalité d’un autre ordre et qui reste encore un mystère pour nous.

Ensuite, en affirmant que Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts, il annonce à ses adversaires et à nous tous que la résurrection est déjà présente, là en notre temps et au milieu de nous. Ce que nous pouvons alors comprendre, c’est que la résurrection, qui a trait à la puissance du Dieu de Vie, est déjà à l’œuvre dans le ministère du Christ et dans nos propres vies,
En affirmant que Dieu est le Dieu des vivants et non pas des morts, étant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Jésus nous révèle que Dieu est celui qui donne vie à ceux qui nous ont précédés et que déjà maintenant nous nous trouvons en Lui dans une même communion avec tous les croyants de tous les lieux et de tous les temps. C’est cette même communion que nous manifestons et qu’il nous est donné de vivre, lorsque nous partageons son repas.

Croire en la résurrection ne provient pas seulement de nos raisonnements savants, ni de nos connaissances bibliques aussi bonnes soient-elles.
Croire en la résurrection dépasse de loin certainement nos questionnements et nos raisonnements tout en leur apportant la réponse que seule la puissance de Dieu à l’œuvre nous donne d’accueillir comme une certitude et un mystère encore.
Croire en la résurrection est déjà de l’ordre de l’agir de Dieu en nous, qui nous donne par Grâce, de nous ouvrir à une réalité nouvelle et tout autre qu’il est venu révéler en Christ. Qu’en en soit ainsi pour nous tous.

Grandchamp 7 mars 24

 

Homélie du pasteur René Perret, le 3 mars 2024

Homélie du pasteur René Perret, le 3 mars 2024

Célébration à Grandchamp – dimanche 3 mars 2024
Exode 17,1-7 ; Romains 5,1-8 ; Jean 4,1-26

« Un jour, un vieux sage demanda à ses interlocuteurs : Où peut-on rencontrer Dieu ? Et le musulman parla de la mosquée, le juif du Mur des Lamentations. Un autre évoqua la nature quand elle est hospitalière. Le chrétien, timidement, se permit de citer le culte dominical. Chaque fois, le vieil homme hochait la tête. Aucune réponse ne le satisfaisait. Il reprit la parole : Tu rencontres Dieu chaque fois que tu lui ouvres la porte de ton cœur. »
Je trouve cette histoire intéressante pour ouvrir notre méditation sur ce récit d’Evangile aussi connu qu’intrigant. Il raconte une histoire qui ressemble tellement à la nôtre, finalement.

Bien sûr, les lieux et les circonstances de la rencontre ont changés ; mais cette soif qui tenaille la Samaritaine, cette soif qui la pousse à chercher de l’eau en plein midi, à l’ombre du regard des autres, cette soif ne dit-elle rien de notre soif ? de notre recherche d’eau vive ? de notre recherche de sens ? Bon, nous n’avons pas eu cinq maris / ou cinq femmes, et nous ne vivons pas non-marié-e avec le ou la sixième !
Ça, c’est pour forcer le trait, une caractéristique des récits d’Evangile, qui nous présente des gens plus « perdus », plus « pécheurs » que nous, plus loin de Dieu que nous le sommes. C’est pour dire : tu vois, si Dieu s’approche de quelqu’un de si loin de lui à vues humaines, combien plus il s’approche de toi qui ne lui est pas autant étranger !
Et en regardant avec quel non-jugement il parle avec cette Samaritaine, mieux : avec quel respect il accueille ses paroles, on peut bien être assoiffé de participer à un tel dialogue en profondeur avec lui !

J’ai entendu parler d’une jeune femme, extrêmement douée pour visiter les gens. Quand elle parlait avec un pensionnaire de home, à la cafétéria, insensiblement, les autres pensionnaires venaient se joindre à la conversation. Elle avait une telle qualité d’écoute, que la valeur de ce partage parvenait même à ceux qui regardaient la télé. Et ils convergeaient vers cette table où on pouvait déposer des bribes de son histoire, des réflexions longtemps enfouies, et où la compréhension d’une seule personne était comme une eau fraiche, qui désaltérait des soifs aussi diverses que tenaces.

C’est cette soif-là de rencontre qui anime Jésus, au-delà de la soif qu’il ressent au midi de ce jour.
Lui qui est l’Eau vive et jaillissante, il a besoin de quelqu’un qui l’accueille en ses profondeurs, comme un puits que l’on a désensablé. Et nous voyons avec quelle douceur, avec quel doigté il creuse en la Samaritaine les soifs qui l’habitent. Admirons la Samaritaine ! Il lui en faut, de la confiance, pour livrer ainsi ses questions les plus personnelles, pour se reconnaître dévoilée et mise en lumière en en éprouvant du soulagement plutôt que de la honte.

J’aime la remarque d’Alphonse Maillot sur la réponse de Jésus à la femme qui vient de lui avouer l’état de sa vie conjugale ; quand Jésus lui répond : Tu dis vrai.
« Le « Tu dis vrai » n’est pas sans ironie envers les éventuels lecteurs (que nous sommes, ndlr). Voilà une bonne confession (vraie) du péché (vrai). La bonne (et la vraie) parole n’est pas une parole orthodoxe, un catéchisme, mais celle qui fait la lumière (même celle des ombres !) sur soi. »

Cette Samaritaine a fait ce qu’elle a pu jusqu’ici pour vivre conjugalement, spirituellement, humainement.
Les autres la condamnent pour sa vie conjugale ; sa spiritualité est dépassée, selon Jésus, et même erronée, puisque « le salut vient des Juifs ». Mais tout cela n’a plus cours, puisqu’elle se trouve en présence de Jésus. Puisqu’elle l’acceptera comme « Celui qui vient de Dieu pour nous annoncer toutes choses », aucune condamnation ne l’empêche d’être désormais elle-même, une femme libérée, une femme ressourcée et plus, une source jaillissante pour ceux qui vont la rencontrer.

Ce qui s’est passé là au bord de ce puits se reproduit aujourd’hui encore : quand nous acceptons ce dialogue avec ce Dieu qui a soif de nous ; quand ses questions à nos questions viennent nous rejoindre au cœur de qui nous sommes ; quand nous nous sentons à la fois dévoilés et retrouvés, accueillis, compris et pardonnés ; alors, nous vivons ce qu’a vécu la Samaritaine : une retrouvaille avec le cœur de notre cœur.
Quel apaisement, quelle libération, quel ressourcement, quel redressement que d’expérimenter, en soi et pour soi, comme le début d’une source jaillissante, la présence de celui qui nous dit : je le suis, ce Christ que tu attendais et qui t’annoncera toutes choses. Amen.

 

 

Homélie du pasteur Heiner Schubert, le 29 février 2024

Homélie du pasteur Heiner Schubert, le 29 février 2024

Mt 20, 29-34 Grandchamp 29.2.24
Le monde crie, chères sœurs, chers frères,
Le monde crie très fort. Il crie : « Pitié, pitié ! »
Mais très peu, trop peu de monde entend le cri.
Le monde crie : « Les hommes s’entretuent. Ils se haïssent. Ils se détestent. Ils se méprisent mutuellement. Pitié, pitié ! »
Le monde crie : « La nature souffre. Les mers, les forêts, les animaux souffrent ».
Le monde crie : « N’y a-t-il pas de dieu quelque part ? Qui peut nous sauver de nous-mêmes ? »
Jésus répond : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Et le monde se tait. Silence. Il ne sait pas quoi dire. Et Jésus reprend : « Est-ce que je vais t’ouvrir les yeux ? »
Après un moment de silence, le monde répond : « Ah, ça. Ah, non. Merci, c’est gentil. Vaut mieux pas… »
Il ne veut pas ouvrir les yeux, le monde. Ouvrir les yeux, cela voudrait dire faire face.
Il faudrait regarder de près. Affronter des difficultés. Changer radicalement notre mode de vie, notre manière de nous organiser. Les mentalités. Se repentir.
Ouvrir les yeux entrainerait la métanoïa. Terme grec qui signifie « Changer radicalement ».
Mais le monde, apparemment, ne veut pas changer.
La tâche nous revient alors à nous qui connaissons Jésus. Tout d’abord, il nous faut crier sans cesse à Dieu. Crier à la place d’un monde qui se contente de hurler, mais qui, manifestement, ne veut pas ouvrir les yeux parce que, ouvrir les yeux voudrait dire affronter les inégalités et réduire drastiquement la consommation dans tous les domaines.
La tâche nous revient alors à nous qui crions et qui entendons ensuite Jésus dire : « Que veux-tu que je fasse ? »
La bonne réponse selon Matthieu, c’est, « Ouvre-moi les yeux ! ».
Quand nous les ouvrons, c’est la grande surprise.
Un grand soulagement d’abord :
Ah ! C’est le Christ qui a sauvé le monde. Ce n’est pas à moi de sauver le monde. Certes, je ne comprends pas comment il l’a fait, mais j’y crois fermement.
Parce que, si je suis libéré de la lourde et impossible tâche de sauver tout et tout le monde, je suis vraiment libre. Libre de changer ce que je peux changer et surtout libre de ne pas désespérer face à mon impuissance.
Quand j’aurai compris cela et quand, enfin, je me serai remis de mon étonnement, viendra alors le moment de vérité. Je commencerai à voir autrement, je serai renouvelé.
Dieu m’aura ouvert ce que l’épître aux Éphésiens appelle les yeux du cœur.
Quand on voit avec les yeux du cœur, on regarde autrement.
Nous vivons dans une période nébuleuse de l’histoire, la lumière devient pâle.
C’est la pénombre permanente. Il faut être vigilant, attentif.
Nous sommes constamment distraits pour ne plus voir l’essentiel,
c’est même le mot clé de notre époque : la distraction.
D’anciennes certitudes vacillent. Dans une telle situation, il faut soigner les yeux de son cœur. C’est eux seuls qui arrivent à discerner quelque chose dans la pénombre ambiante. Discerner ce que je peux faire et ce que je dois laisser à d’autres.
Si les yeux de notre cœur ne sont pas grand ouverts, nous échouons. Les tentations sont trop fortes. « Ouvre-moi les yeux ! » C’est la prière de chaque jour. C’est MA prière de chaque jour. Si Jésus a sauvé le monde à la croix une fois pour toutes, il doit sauver ma petite vie chaque jour des forces qui tirent dans toutes les directions possibles.
Matthieu ne cache pas que l’opposition se lève quand quelqu’un dit cette prière :
Dans le récit, les gens rabrouent les deux aveugles : « Taisez-vous ! » C’est un élément très important. Le monde n’aime pas les gens qui ont les yeux ouverts. Les hommes et les femmes aux yeux ouverts rappellent qu’une autre vie est possible. Une vie qui compte sur la présence de Dieu. Une vie plus modeste, plus satisfaisante aussi. Une vie respectueuse, discrète et disponible. Mais pour vivre cette vie, il faudrait changer radicalement.
Soyons honnêtes. Qui voudrait vraiment changer ?Amen 

Homélie du pasteur François de Charrière, le 22 février 2024

Homélie du pasteur François de Charrière, le 22 février 2024

Prédication de Matthieu 18, 21-35

Mais qu’est-ce qui m’a pris? Je ne sais pas… et je m’en veux! !……Ça ne vous dis jamais arrivé ? Un geste, une parole, une attitude, bénine, grave ou terrible… qui m’entraine là où je ne voulais pas aller, aux conséquences néfastes pour moi et mon entourage. Mais qu’est-ce qui m’a pris?
Pourtant la journée avait bien commencé. Mon créancier, Basile, m’a demandé de passer dans son bureau. Je l’ai supplié et il m’a remis ma dette. Quatorze…j’en tremble encore tellement je n’arrive pas à articuler ce nombre! Quatorze millards. En plus il m’a dit, on va fêter ça. Je t’offre une semaine de vacances dans mon hôtel. Tu peux prendre avec toi qui tu veux: ta femme, ton fils et son copain, ta fille et son ami, tous. Vous pouvez rester une semaine ou plus, c’est vous qui décidez. Sur place c’est mon nouveau maître d’hôtel qui vous accueille: Jean-Marc, tu le connais ? – Quoi Jean-Marc mais ce n’est pas possible, s’il me voit, je vais passer une sale quart-d’heure et il a le couteau facile!
– Non ne t’en fait pas, il a changé, tu ne le reconnaîtras pas! Et tiens, sur ce papier, je te donne l’adresse de l’hôtel et le bon de réservation.
Sorti de chez Basile, je tenais fièrement mon bon de réservation et je croise Pierre. Alors là, la moutarde m’est montée au nez, ça a été plus fort que moi. Il me devait 100 balles tout de même! Alors j’ai fait trois fois le tour de son cou avec le papier que je tenais. On s’est tellement fâché que Jean-Marc est arrivé là je ne sais comment, il m’a blessé. Ces cents francs, il fallait bien que je les rende à Basile, tout de même!
Mais maintenant, tout est par terre, il n’y a plus de vacances et je suis à l’hôpital pour des mois.

J’ai raconté cette histoire pour me demander: qu’est-ce qui s’est passé dans le tête du débiteur sans pitié? Je perçois qu’il a au moins deux difficultés.
La première, il n’a pas pu recevoir ce don, cette remise de dette. Il s’imagine toujours qu’il faudra rembourser. Il est incapable de recevoir quelque chose, il faut toujours que ce soit lui qui fasse, agisse, rende, donne. Il n’arrive pas à se croire pardonné et ne perçoit pas le moins du monde que Basile, dont le nom signifie, roi, est vraiment ailleurs, dans un monde royal, céleste, libre, généreux, il est d’une souplesse incroyable.
S’imaginer pouvoir rembourser est une grande illusion. La parabole le dit en parlant de 10’000 talents soit près de 14 millards, si vous gagnez 30.- de l’heure. Le pardon est donc impossible. L’offenseur ne peut jamais réparer la blessure qu’il a faite et l’offensé doit avouer que sa vie ne peut plus être comme avant, il est marqué à vie. La blessure physique et/ou psychique sont impossible à annuler. Le débiteur sans pitié, quand il est chez le roi, est impardonnable.

Sa deuxième difficulté: il a en lui une puissance qui le déborde. Il s’en veut, ça a été plus fort que lui. Il aimerait empêcher ce débordement donc étrangler tout ce qui vit, plutôt que de transfigurer ce qui le déborde. Il étrangle Pierre plutôt que d’étrangler volcan qui jaillit en lui, plutôt que de transformer son volcan en lumière. La gorge, c’est ce qui est traversé par la respiration, par l’haleine de vie, par le souffle de l’Esprit-Saint. Il étrangle sa vie divine par son attitude calculatrice. Il veux garder le pouvoir sur sa dette, plutôt que de laisser aller et en être libérée. Aidé dans ce moment-là de crise, il aurait transformé sa rage, cet étranglement en libération de vie, en pardon royal, céleste comme Basile.

Mais qu’est-ce qui m’a pris? Ça m’a échappé! Quand cela nous arrive, c’est peut-être que j’étrangle moi aussi ? J’étrangle un plus de vie divine en moi. Le pardon est un travail intérieur où j’ai besoin d’être aidé, guidé pour transfigurer mes côtés ombres intérieures, travailler sur la violence de mes animaux internes qui me maltraitent, me pardonner mon énergie néfaste.

A partir de là, qu’est-ce que le pardon ? Cette parabole nous présente les deux moments d’un Seigneur. Au début il est qualifié de roi. Il vit dans le royaume des relations vivantes, il est divin. Il a un accueil sans borne, d’une générosité sans faille, il est inoffensable. Et dans cette liberté sans borne, il libère celui qui lui devait 14 millards. Rembourser est impossible, pardonner est totalement hors de portée pour un humain. Il n’y a qu’un roi qui puisse le vivre, pardonner c’est royal, immensément libérateur pour l’offenseur et l’offensé. C’est pourquoi dans mon histoire j’ai ajouté Jean-Marc le violent devenu méconnaissable disait Basile.

Et puis, deuxième moment du Seigneur. On lui rapporte l’attitude du débiteur sans pitié qui réclame ses 100 francs. Alors quoi, ce maître pardonne une fois mais pas deux? Alors que Jésus vient de demander de pardonner 77 fois 7 fois ! La parabole le dit explicitement, le deuxième pardon refusé par ce Seigneur fait qu’il n’est plus dans le royaume, il est qualifié de maître, il n’a plus rien de royal, il devient dictateur.
C’est intéressant que ce soit justement le même qui une fois pardonne et la deuxième fois pas. Pour nous signifier que le pardon n’est pas évident, et que le point de bascule entre les deux attitudes est fragile.
Ce n’est pas dans le texte mais ici j’ai un regard sur les compagnons du débiteur sans pitié. Ils ont manqué de responsabilité. Ils ont assisté à la scène de l’étranglement sans s’interposer, ni raisonner l’étrangleur, il leur a manqué une parole. Je trouve leur attitude lâche et passive. Suis-je le gardien de mon frère, devraient-ils se demander ? – Oui, Messieurs!

Il n’y a pas de méthode pour pardonner, c’est un long chemin spirituel où nous nous aidons les uns les autres. Un chemin de divinisation: Dieu s’est fait humain pour que l’humain devienne Dieu!

Amen
Grandchamp le 22 février 2024
François de Charrière

Homélie du pasteur Claude Fuchs, le 25 février 2024

Homélie du pasteur Claude Fuchs, le 25 février 2024

Nous voir avec les yeux de Dieu
Luc 9. 28-36

Ils pensaient bien connaître Jésus, Pierre, Jacques et Jean, les trois que Jésus avait pris avec lui pour l’accompagner sur la montagne. Cela faisait déjà des mois qu’ils le suivaient. Ils étaient fascinés de sa personne, par tout à la fois l’autorité et la bonté qui émanaient de lui, par ces merveilleuses guérisons qui témoignaient de la présence presque à toucher du doigt autour de lui de ce Royaume de Dieu que Jésus proclamait.
Ce jour-là pourtant, il leur a été donné de connaître Jésus sous une lumière encore toute nouvelle, de le connaître jusqu’au cœur, jusqu’au centre de sa personne : « Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea et son vêtement devint d’une blancheur éclatante. » Ils ont pu voir Jésus à la lumière, avec les yeux même de Dieu.
Et qu’est-ce qui leur a été révélé ? Quel est-il le cœur de la personne de Jésus ? Le cœur de sa personne, c’est tout d’abord l’authentique tradition de son peuple dont il vit, ce sont Moïse et Elie avec qui il est en dialogue, mais surtout la présence et l’amour de Dieu qui l’entourent de toute part comme un étincellement de lumière. Et c’est cette voix qui de la nuée met comme en paroles cette vision : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! »

Parfois je me demande moi aussi qui je suis au fond, au cœur de moi-même. Je sais bien des choses à mon propos, bien des choses de ma vie, de mon caractère, de mes forces et de mes faiblesses, de mes victoires et de mes échecs. Et je sais que bien plus encore demeurera toujours caché dans mon subconscient. Sachant tout cela, parfois pense que finalement ce que j’ai fait de ma vie n’est pas trop mal. Mais parfois aussi, devant les abîmes que j’entrevois au fond de moi-même, je me sens insupportable. Alors quelle est la vérité sur moi-même ? Qui suis-je vraiment ?

Cette question un seul est en mesure d’y répondre : celui qui m’a créé et qui seul me connaît vraiment. La vérité dernière sur moi-même c’est ce que lui dit de moi. Si je veux savoir qui je suis au fond, au cœur de moi-même, il faut que j’apprenne à me regarder avec les yeux de Dieu.
Or comment Dieu me voit-il ? Que dit-il de moi ? Ce que Dieu dit de moi c’est : « Tu es mon fils bien-aimé, celui que j’ai choisi » – « Tu es ma fille bien-aimée, celle que j’ai choisie » Qui que tu puisses être encore par ailleurs, quelles que puissent être tes forces ou tes faiblesses, quelles que puissent être tes victoires ou tes défaites, ton obéissance ou tes manquements, depuis toujours je t’ai aimé et je t’aimerai toujours. Le cœur de ce qui peut être dit de moi comme de chacun et de chacune d’entre nous trouve son expression dans cet amour de Dieu dont nous vivons et qui nous entoure à chaque instant de notre vie comme une lumière plus étincelante même que le soleil. Dans l’éblouissement de cette lumière, tout le reste, je ne dirais pas que cela n’a plus aucune importance, mais tout le reste n’est en tous cas pas l’essentiel de ce qu’il y a à dire sur moi.
Savoir cela m’aidera à m’accepter, les jours où je risque de désespérer de moi-même. Savoir cela m’aidera à apprendre à m’aimer moi-même malgré toutes mes faiblesses. Je n’aurai plus besoin de me faire des illusions, ni sur mes victoires ni sur mes défaites. Elles sont là, c’est vrai, mais elles ne sont pas l’essentiel. Ni chez moi, ni d’ailleurs chez mon prochain. Lui aussi, elle aussi a ses forces et ses faiblesses, et il m’arrive d’en souffrir. Mais pour lui aussi, pour elle aussi, elles ne sont pas l’essentiel. L’essentiel c’est que nous sommes tous les enfants bien-aimés de Dieu entourés de tous côtés de la lumière de son amour. Et savoir cela pourra de plus nous motiver et nous aider à devenir de plus en plus ce que déjà nous sommes aux yeux de Dieu. Amen.

Grandchamp le 25 février 2024 Claude Fuchs