Prédication sur Actes 1,12-14

J’ai été particulièrement interpellée lorsqu’il est dit : « Tous, unanimes, étaient assidus à la prière » (TOB).
Mais comment peut-on être unanimes quand on traverse un deuil ? Car oui, ils sont en deuil. Deux types de deuil :
1. Jésus est de moins en moins présent
2. Ils vivent de profonds bouleversements au niveau de leurs croyances. Ils doivent donc faire le deuil de certaines représentations qu’ils avaient jusque-là sur Dieu – nous y reviendrons.
3. Oui, Jésus étant toujours moins présent ou plutôt toujours différemment présent, ils doivent apprendre à croire sans voir. Mais si cela nous semble normal, pour eux, ça ne l’est pas encore. Ils viennent de voir Jésus disparaître à leurs yeux, entrer dans la présence même de Dieu.

Ils commencent seulement à croire que, même si le Christ a l’air absent, il est vivant, mais imperceptible à leurs yeux. C’est important si l’on veut pouvoir prier et on nous dit qu’ils sont assidus à la prière. Mais jusque-là, on ne sait pas s’ils ont beaucoup prié. On sait qu’ils n’ont pas accompli les jeûnes rituels du judaïsme, parce que Jésus était au milieu d’eux. On sait qu’ils se sont endormis lorsque Jésus leur demandait de veiller et de prier avec lui…

Maintenant, Jésus a passé à un nouveau niveau d’être, un autre niveau de réalité. Il leur a dit qu’il est préférable pour eux qu’il s’en aille, mais ils n’en perçoivent pas encore les avantages. Ils ne réalisent pas encore que si, jusque là, la présence de Dieu était limitée à un lieu : le lieu très saint du temple de Jérusalem, où le grand-prêtre ne pouvait pénétrer qu’une fois par an, puis la présence de Dieu en Jésus, qui était lui aussi présent qu’en un seul lieu, mais qui, déjà, pouvait bouger, se déplacer, se rapprocher, aller auprès des gens, toucher les personnes qui avaient besoin de guérison. Bientôt, la Pentecôte inaugurera la présence de Dieu dans tous les lieux où le Saint-Esprit est invoqué, même dans les cœurs des croyants. C’est un mode de présence radicalement nouveau.

Peut-être que tout cela fait beaucoup pour certains des disciples ! Je ne pense pas qu’on puisse dire que certains auraient pour autant perdu la foi, car on ne nous dirait pas qu’ils sont unanimes. Au contraire, je pense que leur foi a été fortifiée par tout ce qu’ils ont vécu. Par contre, ils ont assurément perdu des croyances, des représentations, des images qu’ils s’étaient faites de Dieu, du Christ – c’est le deuxième type de deuil qu’ils traversent.

Leur perception de Dieu avait déjà été transformée par les enseignements de Jésus. Puis sa vie offerte, sa résurrection, ses apparitions, son départ auprès du Père, tout cela aura fini par ébranler très profondément leurs croyances. Mais, encore une fois, ce n’est pas pour autant qu’ils ont perdu la foi, bien au contraire, c’est peut-être maintenant qu’ils la trouvent vraiment ! Parce que avoir la foi, c’est ouvrir son intelligence et son cœur à l’Inconnu, à ce qui arrive, à « Celui qui vient », et qui se révèle comme étant infiniment plus que tout ce qu’on a pu en dire, en savoir et même en expérimenter.

Il en est de même pour nous. Tout ce que nous disons de Dieu est lié à notre histoire personnelle, à l’histoire de notre petite enfance, à nos souffrances, de même qu’à notre histoire collective. Mais Dieu est plus que cela. Il est au-delà de nos mots, il est tellement plus que tout ce que nous pouvons penser et dire de lui. Il est celui qui s’est révélé à Moïse en disant « Je suis celui qui est ». Mon désir le plus profond serait de me taire en sa présence, car parler de l’Absolu est toujours relatif. En présence de l’Infini, je reste « finie », limitée. Alors, la question que je devrais me poser aujourd’hui est : ma finitude est-elle ouverte ou fermée ?

Est-ce que je tiens à faire entrer Jésus dans les cases que je lui ai toujours réservées jusqu’à ce jour ou est-ce que je suis ouverte à ce qu’il se révèle toujours plus à moi, au risque de déborder, au risque que je doive déconstruire certaines choses que je considérais comme certaines jusque-là et qui, soudain, m’apparaissent dépassées.

Nous aussi, nous avons peut-être vécu des bouleversements qui ont amené des remises en question, des prises de conscience. N’ayons pas peur de ces remises en question ! Ce n’est pas grave de s’apercevoir qu’une croyance que nous avions, ne colle plus. Cela signifie juste que Dieu s’est révélé davantage à nous et que nous pouvons accueillir cette révélation. Il est préférable d’oser faire de l’ordre dans nos croyances que de perdre la foi. Car il y a des personnes qui perdent la foi car elles s’aperçoivent que certaines de leurs croyances ne collent plus, mais elles n’osent pas les modifier. Ce qui compte, ce n’est pas ce que l’on dit ou pense sur Dieu, c’est ce que l’on vit avec Dieu.

C’est avec tous ces chamboulements que les disciples attendent la venue du Saint-Esprit. Ils sont, pour cela, exhortés à se tourner vers l’avenir où il y aura encore du nouveau et à ne pas regretter le passé. Et malgré qu’ils ont été retournés comme un gant, Luc nous dit qu’ils sont unanimes. Ce mot Grec, « homothumadon », se trouve douze fois dans le Nouveau Testament, mais dix fois dans le livre des Actes, chaque fois pour parler de l’unité de la communauté chrétienne. « Homothumadon » est composé de deux mots : «même» et  «cœur, pensée, ressenti», donc on pourrait traduire par « d’un même cœur ». L’image pourrait être musicale : des notes sont jouées avec harmonie, bien que différentes en tonalité. Donc il y a une harmonie entre les disciples, mais il y a des différences de tonalité, ce qui n’est pas grave, ça fait leur richesse.

Les disciples sont donc tous unanimes, mais ils ne pensent assurément pas tous la même chose, et ils sont probablement tous différents au niveau de leur ressenti. De même qu’il n’y a pas deux personnes qui pensent exactement la même chose parmi nous ce matin, ni deux personnes qui ont exactement le même ressenti. Et pourtant, nous pouvons être tous unanimes, car tous à la recherche d’une communion plus grande avec le Christ ressuscité et prêts à abandonner certaines croyances, dont certaines sont peut-être mortifères. En effet, ce qui est saint, ce ne sont pas nos croyances, c’est notre relation avec Dieu. Amen.