Lecture : Évangile selon st. Marc 6, 1-6

« Nul n’est prophète en son pays » !

Cette réalité que Jésus vit au cœur de son enracinement familial et religieux, c’est déjà un clou planté dans le bois de la Croix.

La sagesse de Jésus, son discours, ses talents miraculeux, sa renommée admirable, sont incompatibles avec l’enfant du pays que tout le monde identifie : le charpentier, fils de Marie, de Joseph (Luc précise),le frère de ses frères et sœurs, est en complet décalage avec le tableau familial ; quand, dans la synagogue, on lui fait lire la prophétie annonçant un temps nouveau dont il dit être l’initiateur, le témoin, c’est trop ! il en devient insupportable, au point que l’on le jette hors de la ville pour le précipiter du haut d’un escarpement : c’est Luc qui le précise. Plus tard, quand sa mère et ses frères viennent le chercher, parce que, disent-ils, Il a perdu la tête, Jésus dira : « ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique (Luc 8, 19).

L’Évangile nous rappelle très clairement que Jésus appartient à une lignée humaine, terrestre, enracinée ; et, en même temps, Il vient du ciel ; cette double appartenance est incompréhensible, ce n’est pas raisonnable et Jésus le confirmera : quand Pierre confessera : « tu est le Christ, le fils du Dieu vivant ». Jésus répondra : « tu es heureux, Simon, ce ne sont pas la chair ni le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux (Matth. 16,17).

C’était donc difficile d’accueillir Jésus, Parole vivante de Dieu : Il se heurte à l’incompréhension des siens, emprisonnés dans une logique rendant Jésus inopérant.

Il me semble que notre monde ressemble étrangement à celui de Nazareth, et, comme cela est dit du temps de la vocation de Samuel : « la Parole de Dieu était rare en ces jours-là » (1 Sam. 3, 1). Ce n’est pas que Dieu soit absent mais sa Parole n’est plus entendue dans notre monde en grande souffrance et même en Église, cette même Parole de Dieu rencontre beaucoup d’opposition, d’indifférence ; dans notre relation avec autrui, si fondamentale pourtant, elle n’est pas toujours accueillie, bienvenue, et, dans notre propre terre intime, intérieure, elle se heurte à de la résistance, quelquefois distillée au gré de nos humeurs, quand nous confondons la foi, la raison et la sentimentalité, quand s’installent la lassitude, le doute ou la révolte ou quand nous biaisons l’exigence liée à un engagement.

Nul n’est prophète en son pays ! Pour qu’il comprenne que ce n’était pas lui le prophète, St. Paul a été terrassé, corps et âme : Jésus a utilisé la manière forte pour réajuster les priorités et que l’apôtre accepte que la source de sa force il la puise dans la fragilité d’une écharde, d’une blessure sans qu’en soit amoindrie sa passion pour Dieu.

C’est difficile aussi de reconnaître le visage du Christ dans celui de l’autre, mon frère, ma sœur ou de discerner en eux un visage comme Jésus le voit, dépassant l’accidentel, ce qui heurte et dérange ; oui, trans-figurer (traverser la figure), comme une icône, fenêtre ouverte sur l’Au-delà, l’intériorité, la vie intérieure : ce n’est pas une intrusion dans la vie d’autrui, mais simplement la reconnaissance que cette vie intérieure est habitée, comme je le souhaite pour la mienne, et là se joue un cœur à cœur parce que ce regard-là n’est rien d’autre que celui de l’amour, ce talent mystérieux qui permet de dépasser l’apparence, de quelque ordre qu’elle soit, pour discerner la réalité divine de l’autre. Ce n’est pas une évaluation raisonnable, mais un acte de foi et d’amour qui relève de l’intelligence du cœur.

Le corps, l’esprit, la raison, la conscience peuvent être abîmés à l’extrême, défigurés, mais demeure cette image du Christ présence ineffable dans l’âme.

C’est à elle qu’appartient de reconnaître le corps et le sang du Christ, dans le pain et le vin de l’Eucharistie ; c’est en elle et par elle, avec la force et la douceur de l’Esprit que vibre en nous la présence de Jésus. J’aime cette parole du sage : « Je voudrais être flaque d’eau pour refléter le ciel ! »

Il arrivait, autrefois, qu’on dise de quelqu’un qui mourait « qu’il a rendu son âme à Dieu » ! Ce n’était pas tant pour signifier la fin des battements du cœur que pour dire le retour à Dieu de ce qui lui appartenait, à Lui-Dieu, dans la vie du trépassé = l’âme.

Alors oui, Jésus demeure prophète en son pays qui est notre âme qui « trouve son repos en Dieu seul ».

Amen.

08.07.2024/JLL