Grandchamp, 11 avril 2024, Évangile de Luc 24, 13-35, Lettre aux Colossiens 2, 20-3, 4 Prédication d’André Sauter

« La foi est une brûlure. Elle nous laisse des marques », paroles de Jean-Luc Mélenchon de la France insoumise !
Que faisons-nous de cette brûlure, de cette chaleur et du désir de cette chaleur ?
Que faisons-nous de ces marques, du vide, du désespoir de notre chemin ?
Le chemin d’Emmaüs est mon chemin, ton chemin.
Il s’agit de trouver le lieu de la rencontre avec le Christ ou de se laisser trouver par Lui.
Vivre son chemin d’Emmaüs,
Pour moi vivre le passage du Dieu extérieur au Dieu intérieur.

Puis va se poser aussi la question de comment je reviens vers la civilisation, de comment je retourne vers Jérusalem, si j’y retourne ! La Jérusalem d’aujourd’hui n’est plus la Jérusalem du temps de Jésus, mais finalement malheureusement pas si différente avec ses heurts entre communautés…
Comment je vais partager ma quête et mes intuitions, avec les personnes autres qui habitent Jérusalem, différentes et pourtant qui sont mes semblables,
En fondant une nouvelle religion, doctrinaire, qui va écraser les autres ? Est-ce bien cela que le Christ désire ?
– Ne désire-t-il pas d’abord ce silence au cœur du mystère pascal. Mystère qui dépasse les mots et qui n’annihile pas ce que d’autres humains ont pu vivre et croire
– Pour ma méditation d’aujourd’hui, les disciples d’Emmaüs me donnent ce trésor de l’intériorité, de la rencontre du Christ et un trésor pour le chemin œcuménique et intrareligieux
Intériorité :
Les disciples d’Emmaüs avaient beaucoup d’informations dans la tête, plus que Jésus entre guillemets. Ils lui parlent durement qu’il n’est pas au courant de ce qui se passe. Ils semblent savoir plus de choses. Mais toutes ces informations n’empêchent pas qu’ils sont aveugles à la présence du Christ à leur côté. Absence qu’ils ne réalisent pas combien elle est Présence. Ils ont été jusqu’ici dans un rapport d’extériorité avec Jésus et la spiritualité. Mais par leur retour vers leur village, par leur interrogation de ce qu’ils ont vécu, ils entrent dans un chemin d’intériorité : ils ressassent ce qui est arrivé, ils essayent de comprendre, ils semblent revenir à la maison… comme lorsque l’on vit un choc ou un temps de déprime, retour sur soi, chamboulement intérieur….
– Les disciples sont même au risque d’abandonner, de revenir uniquement à leurs histoires de famille. Ils ont besoin de réconfort, ils suivent leur désir, leur besoin, ils écoutent le petit enfant en eux et étrangement cela les conduira à la rencontre, à cette brûlure de la foi et ainsi ils reviendront différents à Jérusalem, habités, réchauffés, illuminés de l’intérieur.
– Il s’agit donc de ne pas craindre d’être désorientés, de ne pas craindre le tombeau vide, de ne pas savoir quel chemin prendre, d’avoir un coup de déprime comme ces disciples. Ne pas avoir peur d’écouter nos besoins, ce que notre corps ou nos tripes nous disent. D’écouter en fait la réalité qui est soma en grec dans Colossiens 2, 17, d’où vient le mot somatique. La réalité est corporelle et spirituelle. La recherche de l’en haut est intimement liée à l’écoute de l’en bas si on en reste à ces catégories qui peuvent être trop dualistes.
– Il y a intimité, les disciples vivent une rencontre, une révélation qui finalement sera simplement une chaleur, une brûlure, des indices, un pain rompu, pas une doctrine, même s’ils vivent aussi ce temps de relecture des écritures, de réflexion et de méditation.
– Ce cheminement de tâtonnement, de l’intériorité, de ne pas en rester aux énoncés extérieurs de la foi, cela ne concerne pas seulement les disciples. C’est aussi notre chemin : ne pas savoir à quoi s’accrocher, c’est signe que nous sommes en chemin de résurrection, qu’on est une pâte à pain en travail. Le christianisme de par son histoire de grande religion vit ce grand danger d’en rester à une doctrine, à une glorification de Dieu, qui devient à nouveau extérieure à nous et donc un Dieu extérieur. Nous devenons comme une idéologie, un rouleau compresseur qui va imposer sa manière de penser, et on en a vu bien les dégâts, combien de mort avec l’arrivée des missionnaires en Amérique du Sud, combien de civilisations détruites ?
– Revenir à cette conscience de la vie cachée, de la pâte à pain, pétrie, mélangée aux autres cultures et traditions, sens dessus dessous, poussé vers la marge. Jésus est un homme de la marge. Emmaüs est un lieu inconnu et c’est là que se réalise cette rencontre supra substantielle. Marcel Légaut, qui a accompagné les carmélites de Mazille disait : si on est au milieu de l’Église, bien installé avec les dogmes, le catéchisme et tout la grande construction ecclésiale, on va dormir … si on est dans la marge, dans les remises en cause, il y a des courant d’air, on reste éveillés.
– Et c’est ce qui se passe pour les disciples d’Emmaüs, dans la marge d’un village inconnu, ils vivent une expérience difficile à relater. Le Christ a disparu et pourtant il est là. Présence qui est cette fois absence, insaisissable, difficile à mettre en mots, à objectiver. Il s’agit de ne pas se presser à la mettre en mots et en dogmes….
– Cela rappelle le fruit de l’arbre de vie que l’on ne doit pas cueillir, posséder, il s’agit davantage d’entrer en communion, cela rappelle le buisson ardent…

Et cette expérience intérieure est fondamentale à se remémorer, à garder au cœur, cela va se rapprocher de ce qu’on a appelé la théologie apophatique, où l’on peut surtout dire ce que Dieu n’est pas, plus que ce qu’il est.
Cette réalité va pouvoir nourrir et féconder le dialogue œcuménique. Ce dialogue est au purgatoire, comme le dit si bien Jean-Claude Basset et j’encourage à s’imprégner de ce que Jean-Claude Basset nous indique.
Quand on parle d’œcuménisme, on pense aujourd’hui surtout au dialogue entre confessions chrétiennes. C’est un rétrécissement dommageable.
Œcuménisme, d’oikouméné signifie terre habitée, le monde, l’univers. L’œcuménisme a donc une signification globale, de village global. Que l’on retrouve dans le terme catholique, littéralement kata olon, selon le tout, olon, que l’on retrouve dans holistique.
Il s’agit là de se relier à la terre entière et c’est ce que la communauté humaine vit aujourd’hui de par les communications sur toute la planète, on est très informé comme les disciples d’Emmaüs, sur tout ce qui se passe, mais aussi souvent aveuglés.
On sait aujourd’hui, pour la survie de la terre, combien il est important d’œuvrer ensemble. C’est ensemble que nous pourrons mener à bien ce défi de la survie du vivant.
Et cela nous conduit encore davantage à faire fructifier le dialogue entre les cultures, entre les religions aussi et pas seulement entre les confessions.
Jean-Claude Basset montre combien les origines du dialogue œcuménique entre confessions chrétiennes s’est fait dans les terres de missions, en Inde par exemple, où on ne comprenait pas nos différentes confessions et cela a poussés les différents courants chrétiens au rapprochement.
Pour que la paix règne dans cette oikouméné, il s’agit de ne pas mettre sa religion au centre, mais bien davantage cette présence de Dieu insaisissable, mystérieuse, que chaque tradition va manifester avec son vocabulaire et ses mots.

L’humain reste partiel et partial dans sa connaissance de la réalité, de Dieu, les religions également. Cela nous invite à une révolution intérieure, copernicienne. Ne pas mettre notre croyance, notre expérience spirituelle au centre. Mettre Dieu au centre, que chaque religion révèle à sa manière.
Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas avoir une expérience de l’absolu. Les religions sémitiques sont exclusives, bien plus que les religions asiatiques pour qui toutes les traditions révèlent Dieu au risque de ne pas respecter les particularités de chacune.
Le danger des religions exclusivistes vient au moment où nous en faisons des doctrines.
Et c’est pour cela que l’expérience d’Emmaüs est fondatrice pour le dialogue œcuménique.
Raimundo Panikkar, théologien catholique d’origine indienne, parlera ainsi de dialogue intrareligieux. Il s’agira de ne pas se considérer comme des religions ou doctrine indépendantes, mais d’approfondir ensemble la quête de la vie spirituelle, de la foi, de l’intériorité, intra…
Nous pouvons le mieux, dira Thomas Merton, approcher et comprendre nos différences religieuses par la voie de l’inconnaissance et du silence.

Vatican II l’a reconnu, chaque tradition nous apprend quelque chose du salut, de la présence de Dieu et il s’agit de soutenir les valeurs spirituelles de chacune et de les préserver.
Découvrir que des croyants d’autres traditions ont pu vivre à leur manière cette brûlure, cette chaleur du cœur ne peut que nous réjouir et nous conforter que les révélations spirituelles ne sont pas illusions.
L’en haut est une réalité, mais il s’agit de ne pas s’arrêter aux diverses doctrines sur ce qu’’il faut ou non manger, sur ce qu’il faut ou non croire, comme le dit l’apôtre dans la lettre aux Colossiens. Ne pas s’arrêter sur la diversité des usages et des doctrines.
– N’ayons donc pas peur du vide, du silence, des autres expressions spirituelles, pas peur de ne pas avoir le dernier mot…car dans nos cœurs palpite une brûlure.
– Une interview de Pietro Sarto m’a frappée. Il dessine le Léman, en essayant de supprimer la ligne d’horizon, parce que celui qui regarde le paysage et donc aussi le tableau est dans le paysage et non pas au dehors. De même nous sommes en Dieu pas dehors. En Lui avec tous les humains et toute la création, avec la diversité et la pluralité de toute la création.