Prédication – Grandchamp, le 23 juin 2024

Luc 1, 55-66

Il faut tout un désert 

Parlant en paraboles 

Pour qu’au silence ouvert 

Fleurisse une Parole

Paroles d’un chant qui a raisonné pour moi à l’écoute de l’Evangile,
naissance d’une parole, et qu’elle voix ! Celle qui retentira dans le désert justement, pour fleurir avec Jean-Baptiste qui appelle au bord du Jourdain

Une voix forte, puissante, abrupte parfois

Une parole sans détours, claire comme la source, limpide comme un baptême

Mais une voix qui est d’abord née d’une promesse, d’une visite et puis de … silence

Dans notre monde envahit de bruits, d’agitations, saturé d’informations, dans ce monde qui s’écoute si souvent parler

Ce monde si friand de communication, mais qui peine à trouver un accès à la voix de l’autre

Voilà que cette naissance est précédée de silence… Celui de Zacharie rendu muet par l’ange. Avec peut-être aussi la discrétion d’Elisabeth qui se cache durant 5 mois dans la région montagneuse de Judée alors qu’elle est enceinte.

Et il y a tout cet Avent qui conduit à aujourd’hui, ce qui précède un premier cri, des exclamations de joie, une louange comme un hymne de reconnaissance

Peut-être faudrait-il soi-même commencer par se taire pour que le silence dilate notre écoute et qu’il nous murmure une parole

Car comment nourrir encore ce besoin qu’il y a au fond de chacun de puiser aux sources du silence, et sans lequel, comme le dit la règle, « l’être profond se dissocie et se perd ? »

Seulement il ne suffit pas d’arrêter de parler pour qu’il y ait un peu de silence. Une absence de bruit comme on coupe la radio ou que l’on fasse taire le pasteur !

Il est des solitudes silencieuses qui sont angoissantes… où il nous manque la voix rassurante de l’ami

 

Je me souviens de ma première découverte d’un silence habité lorsque jeune encore, j’avais passé quelques jours de retraite au Carmel de la paix à Mazille en Bourgogne. On en devient imprégné, enveloppé, mais il nous rend aussi à la saveur et au précieux d’une parole que l’on a plus envie de gaspiller, qui prend un sens retrouvé

Et c’est justement ce qui entoure la naissance de Jean-Baptiste aujourd’hui. Un silence plein de mystère, qui survient lorsque Zacharie va douter des paroles de l’ange Gabriel et remettre en question l’annonce d’une prochaine naissance : « comment saurai-je que cela est vrai ? Je suis vieux et ma femme aussi est âgée !»

Honnêtement, comment ne pas lui donner raison  ? Ce n’est en tout cas pas cette parole de trop qu’on lui aurait reproché. Aurait-il dû recevoir la nouvelle sans broncher ?

Mais l’ange lui annonce alors qu’il va devenir muet et ce, jusqu’à la naissance de l’enfant ! Un silence imposé, pour un prêtre, un homme de parole, un ministre du Verbe : ne pas pouvoir s’exprimer pendant 9 mois, imaginez le défi ! Un Dieu qui vient nous couper la parole !

On nous dit que Zacharie était obligé de communiquer en faisant des gestes, comme une nouvelle langue pour devenir lui-même Signe visible

Il y a des silences qui parlent…

Et si cela avait été dans la vie de Zacharie, comme une grâce pour laisser la promesse faire son chemin de naissance en lui ? un peu comme une mise en espérance, comme s’il lui fallait lui aussi enfanter d’un devenir ?

« N’aie pas peur, Zacharie, car Dieu a entendu ta prière : Elisabeth, ta femme te donnera un fils que tu nommeras Jean. Tu en seras profondément heureux et beaucoup de gens se réjouiront au sujet de sa naissance ».

Et si le fait de ne pas pouvoir tout de suite discutailler, causer, échanger avec d’autres, c’était d’abord pour l’inviter à prendre le temps du retrait, de la gestation. Le temps d’accueillir et d’adopter, de faire grandir et de mettre au monde lui aussi ?

Un silence qui l’entoure, mais le protège aussi de trop de paroles. Celles qui agressent et questionnent sans cesse.

Nous sommes si souvent prompts à réagir, impulsif, immédiats. A vouloir le dernier mot

Passer du doute à la tranquille assurance d’un accomplissement
De l’instantané au temps qui nous tisse intérieurement
Devenir soi-même un signe qui ne doit pas être troublé
Laisser peut-être parler à travers nous sans s’interposer
On respecte Zacharie car on le sait porteur aussi d’un message qui un jour sera délivré

Silence qui résonne, plein d’une belle densité où l’on reçoit une parole qui permet d’avancer pour s’ouvrir aux autres, aux événements, à la vie avec ces bruits, ces à-coups, sa dureté même et tout ce qui nous envahit mais dans une paix intérieure préservée.

Une paix comme une disponibilité à tout ce qui nous est donné

Dieu se dit dans nos déserts, nos espaces de silences, nos retraites, mais aussi lorsque nous sommes sans voix, démunis, vulnérables, exposés

Se taire pour devenir plus attentif, mieux tendre le coeur. Car si l’on peut être facilement sollicité, divisé, plein de bruits, comme Marthe ou légion comme l’homme qui est dépossédé de sa voix, il faut retrouver néanmoins une unité. Une parole unie, cohérente, un oui qui soit oui

Zacharie confirme après son épouse que le nom qui sera donné à l’enfant est Jean

Et en nommant, la langue se délie, en appelant, il s’ouvre à nouveau à la vie! Il loue le Seigneur, et c’est la première exclamation de joie après si longtemps, comme si ce qui avait été retenu pouvait enfin s’exprimer comme un trop-plein

Il s’appellera Jean pour celui qui n’aura pas la langue dans sa poche, mais qui un peu comme son père, invitera, loin des bruits de la ville, à venir au désert pour vivre un retournement

Johanan – Dieu fait grâce

Jean – des temps nouveaux sont annoncés où l’on peut retrouver le feu d’une vocation, l’immersion d’une nouvelle naissance, le fruit d’un changement

Jean – celui qui montre et désigne, celui qui est dénonce et parle vrai, dans le désert, celui qui demandera : es-tu celui qui doit venir ?

Jean le précurseur pour ajuster nos vies à l’Agneau, à cet autre Parole en marcher qui tout à coup paraît

Il est des silences féconds, non pas forcés, mais qui nous dépouillent et auxquels il faut consentir pour retrouver la Source

Il est des silences qui nous réapprennent à bien nous nommer, par nos noms, nos identités

Il est des silences qui parlent comme de nouvelles Pentecôte, comme Zacharaie rempli du Saint-Esprit

Il est des nuits comme Jésus qui s’était retiré sur une montagne pour prier, mais aussi juste après avoir appris la mort de Jean, au désert, dans un endroit isolé…

Il est de silences qui pleurent
Il est des silences qu’il ne faut pas troubler
Il est des silences de communion et d’intimité

Bien avant que je ne prépare ce message, j’avais pris pour résolution pour cet été, entre déménagements, changements de paroisse et beaucoup de sollicitations, d’une sorte de shabbat de la parole. Je ne me tairai pas entièrement, rassurez-vous, je reste pasteur, mais voilà venu le temps d’un certain silence intérieur dans lequel il me faut entrer, à relire les Ecritures, à ne pas toujours donner explications de théologien trop assuré. Un temps de jachère où on laisse reposer le champ. Que c’est bon

C’est aussi l’histoire de ma vie, ce passage d’un grand silence à la parole donnée

A propos, vous connaissez la suite de ces paroles du chant de Jean Debruynne ?

Il faut tout un désert 

Parlant en paraboles 

Pour qu’au silence ouvert 

Fleurisse une Parole. 

Une question est née

Tout au fond de moi-même,

Certitude étonnée

Qu’il existe un « je t’aime »

Aujourd’hui j’étais mort:

J’entends la vie qui craque,

J’entends la vie qui sort,

Je choisis une Pâque!

Suis-je donc assez fou

Pour croire une présence:

Dieu comme un rendez-vous,

L’homme comme une chance ?

Dieu qui délie nos langues pour laisser jaillir la joie
Pour parler vrai comme Jean avec audace et foi
Pour témoigner comme une première parole, la première de notre vie :

voici Celui qui vient et qui nous redira : Effata !

Ouvre-toi !

Amen