Homélie à partir de Es 62, 1-5 / 1 Co 12, 4-11 / Jn 2, 1-12

Chères sœurs, chers frères,
Les textes de ce dimanche nous parlent encore de la Bonne Nouvelle de Noël : Dieu se rend présent et se manifeste dans le concret de nos vies. Il vient nous rejoindre dans nos réalités les plus humbles. A Bethléem, la réalité est celle d’une pauvre étable. L’enfant qui naît dans cette étable est un pauvre lui aussi. Il est de condition modeste. Et c’est dans cette condition que Dieu choisit d’accomplir sa présence au cœur de l’humanité. Après sa naissance, Jésus est présenté au Temple. Là encore, il partage la condition des gens de son peuple. Ses parents s’acquittent de ce que prévoit la loi de Moïse. Ils le font en suivant les prescriptions qui concernent les plus pauvres, ceux qui ne peuvent apporter un agneau : ses parents apportent deux petits pigeons (Lv 12,8 ; Lc 2,24). Puis il est menacé de mort par le massacre organisé par Hérode. Avec ses parents, il doit se réfugier en Égypte. Il fait l’expérience de l’exclusion, partage la condition des migrants (Mt 2,13-18).
Dans tous ces récits, nous voyons comment Dieu vient à nous en Jésus. Non pas de manière grandiose, avec fastes et honneurs, mais dans l’humilité. Il est parmi ceux qui occupent les derniers rangs de la société. Mais par sa seule présence à la périphérie, c’est le centre du monde qui se déplace. Il n’est ni à Rome ni à Jérusalem, mais dans une pauvre étable ou dans un lieu ignoré d’Égypte, ou même sur les chemins. Et, dès lors, c’est le monde entier qui est sauvé, car plus aucun lieu n’est délaissé, ignoré. Dans le lieu le plus insignifiant, Dieu peut révéler sa présence et en faire sa demeure.
C’est aussi la bonne nouvelle rapportée par le récit du miracle de Cana. « Ils n’ont pas de vin » dit Marie à Jésus (Jn 2,3). Qu’est-ce que sera la fête s’il n’y a plus rien à boire ? Jésus répond à cette carence. La présence de Dieu se manifestera discrètement au travers d’un signe qui se déroule dans les coulisses. Qui a été au courant ? Bien sûr, pas les mariés, aucun des convives, et même pas le maître de cérémonie qui s’étonne du bon vin qu’on lui fait goûter pour savoir s’il convient. Ce maître du repas s’étonne qu’on serve un meilleur vin que celui qu’on a bu jusque-là, mais rien ne lui est dit de sa provenance. Ceux qui sont au courant, ce sont uniquement Jésus, sa mère et les serviteurs. Or, ce qui est intéressant, c’est la manière dont Jésus s’y prend. Il ne fait pas providentiellement arriver sur place une caravane de marchands qui apporteraient du vin. Non. Il fait remplir les jarres d’eau. L’eau, c’est le breuvage le plus élémentaire pour satisfaire la soif. Et c’est de l’eau qu’il commande aux serviteurs de servir. Les serviteurs obéissent et puisent de l’eau. Et voici que lorsque le maître du repas goûte le breuvage qu’on lui apporte, il déguste un meilleur vin que le bon vin qui avait été servi. Le vin, c’est la boisson de la fête, de la joie partagée. L’eau, c’est la boisson de base. Quand nous buvons de l’eau, elle le goût de ce qui est le plus basique dans notre alimentation. Mais lorsque nous buvons l’eau que Dieu nous donne, elle se met à avoir le goût du vin le plus succulent. Quand Dieu habite nos lieux et nos habitudes les plus courantes, ceux-ci se transforment en lieux et moyens de communion avec Dieu.
C’est pourquoi le premier signe rapporté par l’évangéliste Jean se déroule lors d’un mariage, fête de la communion par excellence. Ce signe veut nous faire comprendre qu’il n’est plus temps de considérer Dieu comme un étranger, comme un être lointain, distant. En fait, Dieu n’a jamais été désintéressé par l’humanité. Mais peu nombreux étaient ceux qui le savaient et en vivaient. A Noël, Dieu sort d’un certain silence. Il choisit de se montrer à découvert. Mais pas où on l’attend en priorité : à Bethléem plutôt que dans le Temple de Jérusalem, venant de Nazareth dans la famille d’un charpentier plutôt qu’à la cour du roi. Et si Jésus opère un signe lors d’une fête, ce n’est pas lui qui est le centre de la fête mais un couple de jeunes mariés. Autrement dit, en Jésus Dieu choisit de se montrer à découvert, mais encore faut-il avoir les yeux ouverts pour le reconnaître parmi les gens qui voyagent sur les chemins de Palestine ou au milieu des convives invités à la noce.
C’est ainsi qu’il veut faire comprendre que les hiérarchies humaines ne sont pas celles qui priment lorsqu’il vient à notre rencontre. Il ne fait pas alliance avec le peuple en devenant l’ami de son roi et de ses chefs religieux. Il fait alliance avec le peuple en se rendant proche de ceux qui lui sont donnés à rencontrer. Comme il l’enseignera à ses disciples : ils sont invités à demeurer là où on les accueille (Lc 10,5-11). C’est ainsi que ceux qui sont touché par sa grâce ne sont pas d’abord les gens importants, mais des gens qui sont en attentes, en manque et en éveil, tels Syméon et Anne, mais aussi des lépreux, des sourds et des aveugles, des gens en deuil. Alors s’accomplit la prophétie d’Esaïe : « on ne te dira plus : ‘l’Abandonnée’, on ne dira plus à ta terre : ‘La Désolée’, mais on t’appellera ‘Celle en qui je prends plaisir’ et ta terre ‘l’Épousée’ » (Es 62,4). C’est ainsi que Dieu fait alliance avec l’humanité. Tel est le sens profond des noces durant lesquelles Jésus opère le signe du changement de l’eau en vin. Elles indiquent que Dieu ne laisse plus l’humanité seule dans ses divagations, son repli sur soi ou sa démesure. Il en fait l’objet de son amour électif.
Il n’y a rien d’uniformisant dans cet élan. Car quand Dieu s’approche de tous, il s’approche de chacun en particulier. Toutes les rencontres de Jésus sont éminemment personnelles, s’ajustant à chacun, chacune dans sa spécificité. Zachée n’est pas Nicodème, Bartimée n’est pas la Samaritaine venue puiser de l’eau à midi (Jn 4). Lors du signe accompli à Cana, Jésus se rend même présent dans la vie d’un tout jeune couple sans même avoir d’interaction directe avec eux. Plus tard, parlant de la diversité de la manifestation de Dieu dans la vie communautaire, Paul dira que la diversité des dons accordés aux uns et aux autres le sont dans l’unique et même Esprit : « c’est l’unique et même Esprit qui le met en œuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut. » (1 Co 12,11).
Un seul Seigneur Jésus pour une diversité de rencontres avec des personnes de toutes conditions. Un seul Esprit-Saint pour une diversité de dons accordés aux membres de la communauté : la vie de Dieu vient transformer notre terre. Elle rejoint chacun, chacune dans sa condition particulière. Mais en même temps, elle construit la communion entre tous, car c’est le même Seigneur qui crée un lien vivant avec chacun, chacune. Cette vie se manifeste à Cana par le vin donné à l’intention de tous les convives. Tous auront part à la même joie, sont convives de la même fête. Mais chacun, chacune à sa manière.
Telle est la Bonne Nouvelle de Noël : personne n’est délaissé, oublié, abandonné. Puis-je me rappeler de cela : moi non plus, je ne suis pas oublié. En douterais-je ? A Cana, Jésus a fait remplir 6 jarres pouvant contenir entre 80 et 120 litres. Au total, cela faisait donc environ 600 litres. C’était assurément bien plus que ce qui était nécessaire. Il y en a eu pour tous, et bien au-delà. Quand Dieu est là, personne ne manque de sa présence. Accueillons-le donc avec joie, puisqu’il se laisse trouver.