Jc 3,1-18; Mt 18,21-35

Nous venons d’entendre 2 prédications (ou enseignements) – et vous voudriez que j’ajoute une 3e? Il y a celle de Jésus, avec sa parabole bien connue du serviteur impitoyable. Celle de l’épître de Jacques est moins connue, mais pas moins parlante, avec sa rafale d’images hautes en couleurs pour mettre en garde contre les désastres que peut provoquer la langue, quand elle n’est pas tenue en bride! Comment voulez-vous que j’en rajoute, alors que l’apôtre dit d’emblée:1Ne vous mettez pas tous à enseigner, mes frères [mes sœurs]. Vous savez avec quelle sévérité nous serons jugés, tant nous trébuchons tous. Si quelqu’un ne trébuche pas lorsqu’il parle, il est un homme parfait? Je suis loin d’être parfaite, et encore moins un homme parfait! Je n’ai donc pas préparé une prédication, mais simplement essayé de partager un peu de ce qui m’est venu à l’esprit en me mettant à l’écoute des 2 textes mis ensemble. Un 1er constat: les deux s’adressent à des personnes engagées, qui suivent Jésus le Christ.

La langue est un petit membre aux grands effets, semblable à un peu de feu qui suffit pour faire flamber une vaste forêt ! … Avec elle nous bénissons le Seigneur et Père ; avec elle aussi nous maudissons les humains, qui sont à l’image de Dieu … Mes frères [et sœurs], il ne doit pas en être ainsi (v.5. 9s). Oh, si seulement aucune parole blessante ou médisante ne sortait jamais de ma bouche! Mais ça m’arrive, bien malgré moi. Que faire?

Regarder du côté de la source, suggère notre passage. Or la source, nous apprend le psalmiste, c’est le cœur: Le parleur de vérité en son cœur ne diffame pas de sa langue (Ps 15,2s, trad° A.Chouraqui). Selon la Bible, le coeur est le siège non seulement de tous les sentiments, mais encore de l’intelligence, de l’imagination, de la sagesse, et pour l’apôtre Paul aussi de l’Esprit-Saint.

La mise en garde est très sévère: … si vous avez le cœur plein d’aigre jalousie et d’esprit de rivalité, … ne nuisez pas à la vérité par vos mensonges. Cette sagesse-là ne vient pas d’en haut ; elle est terrestre, animale, démoniaque. Malheur à moi: alors que je désire ardemment suivre le Christ et être proche de lui, tout particulièrement en ce temps de Carême, il m’arrive de parler et d’agir selon la sagesse terrestre – Que faire? Y aurait-il deux sagesses qui cohabitent dans mon cœur? L’apôtre semble l’exclure: la source produit-elle le doux et l’amer par le même orifice ? – Alors suis-je condamnée? que faire?

Et si ma question était mal posée? En effet, même si nous avons été revêtus de Christ par le baptême (Gal 3,27), et lui appartenons, nous restons des humains, nous appartenons aussi à la terre. Comme humains, nous apprenons des règles de vie, des lois du vivre ensemble établies par la société, et ces lois de l’habitat, de l’oiko-nomos, l’économie sont marquées par la sagesse humaine, terrestre. Dès le bas âge, nous apprenons chez nous à calculer et à nous comparer aux autres (à être premier en classe, à gagner), et cela suscite envie et rivalités. Nous sommes formatés pour être compétitif, performant, pour décrocher un meilleur poste, pour réussir. Et réussir se définit selon les critères de l’économie marchande, avec le profit maximal érigé en absolu. Tout est monnayable, calculé.

Cette sagesse terrestre nous colle à la peau, et elle reste tapie au fond de notre cœur. Pas seulement aux Occidentaux du 21e siècle que nous sommes! Combien de fois pardonnerai-je [à mon frère] ? Jusqu’à sept fois ? demandait Pierre. Lui, un des premiers à avoir tout quitté pour suivre Jésus, à être convaincu par la Bonne Nouvelle du Royaume et à s’engager avec enthousiasme, prêt à donner sa vie, il pose cette question tout humaine! Vous connaissez la réponse en parabole de Jésus: Il en va du Royaume des cieux comme d’un roi qui, …pris de pitié, remit sa dette à un serviteur qui lui devait 10’000 talents, et qui prétendait TOUT rembourser. Et le roi le laissa aller. L’autre jour, ce tableau m’a éblouie comme un éclair et s’est imposé comme la réponse à mon questionnement: une image simple et puissante à laquelle recourir toujours à nouveau pour me rappeler que je suis invitée à vivre la réalité du Royaume au quotidien. Rappel à me brancher et rebrancher sur la sagesse d’en haut et non plus sur la terrestre avec ses calculs, envies, jalousies et rivalités.

10’000 talents, ce sont 60 millions de jours de travail, plus de 150’000 années !… Qui arrive à se représenter ça? Moi pas! On est bien là à un tout autre niveau que la sagesse terrestre, avec ses savants calculs de pertes et profit!

Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te parle (Jn4,10). Le Royaume est régi par la sagesse d’en haut, celle de la grâce inconditionnelle, par amour, avec son économie de la gratuité, de la générosité, du don. Si cela a dû être rappelé à Pierre, le grand apôtre, alors tout n’est pas perdu pour moi qui me laisse parfois entraîner par la sagesse terrestre, voir démoniaque!

Comme les Israélites étaient sauvés de la morsure du serpent en regardant le serpent d’airain, je peux regarder à cette image quand ma sagesse terrestre veut s’imposer dans mon cœur, avec la croix en filigrane: Face au Maître pris de pitié, face au don de la vie-avec-Dieu reçu gratuitement, comment ne pas pardonner? En pensant à ce capital inépuisable de grâce et d’amour reçu, comment puis-je encore m’enliser dans des calculs, envies, rivalités, jalousies, au lieu de revenir toujours à nouveau à cet amour m’y plonger, pour vivre selon la sagesse d’en haut, dans la liberté des enfants de Dieu?

Cette parabole m’invite à ramener mon regard inlassablement sur le don de Dieu, sur la vie, la passion, la croix de Jésus, le Christ. Ce temps de Carême ne nous est-il pas offert pour que nous puissions prendre le temps de contempler le don de Dieu, l’accueillir, le connaître de mieux en mieux? Pour être à l’écoute de la sagesse d’en haut et vivre le Royaume de Dieu au milieu de nous au quotidien?

A toutes et tous, un temps de Carême béni. AMEN.