Lectures : Romains 12,16-21, Luc 12, 1-12

«Ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ou de ce que vous aurez à dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à ce moment-là ce que vous devez exprimer.»  (Luc 12, 11-12 – traduction en français courant)

Cette phrase a résonné tout particulièrement en moi ces derniers jours. Non que je sois amenée devant un tribunal ou que je doive me défendre – mais parce que, tout de même, j’ai accepté la responsabilité de m’exprimer devant vous, et de vous apporter un message sur les lectures de ce jour.

Cela fait maintenant plus d’une année environ que je ne vous ai plus rendu visite dans ce cadre. Depuis, beaucoup de choses ont changé pour moi, puisque mon mari et moi sommes devenus parents adoptifs de deux garçons venus d’Haïti, en avril dernier.

Or il se trouve que le plus grand, Ricardo, a dû entrer à l’hôpital justement aujourd’hui. Pour des interventions bénignes, rassurez-vous – mais cela occupe pas mal l’attention. Et c’est aussi demain le délai pour rédiger le rapport des 6 mois de leur arrivée en Suisse. Nous avons dû dans le même temps nous occuper de mes beaux-parents, entrés récemment au home…

Alors, c’est vrai, j’avoue, ces derniers jours, je me suis vraiment demandé si j’allais arriver à trouver le temps de réfléchir au message que je voulais vous donner ce soir.
Et oui, même à des pasteurs expérimentés, il arrive de se demander : qu’est-ce que, au monde je vais bien pouvoir leur dire ???

En relisant les textes proposés, cette phrase m’est alors sautée aux yeux :
«Ne vous inquiétez pas de la manière dont vous vous défendrez ou de ce que vous aurez à dire, car le Saint-Esprit vous enseignera à ce moment-là ce que vous devez exprimer.»

Alors j’ai respiré un bon coup (c’est ce qu’on dit à nos enfants de faire quand ils sont énervés ou stressés), et je me suis dit : OK – je crois que tu es appelée à lâcher-prise, et à faire confiance. Il y a eu des choses importantes à régler, et même si apporter un message à une assemblée mérite d’y apporter du soin, personne ne va te manger si tu ne fais pas la meilleure prédication du monde !

Et puis j’ai pensé à mes enfants, justement. Eux-mêmes ont dû lâcher-prise sur tellement de choses : ils n’ont pas choisi de quitter leur famille pour se retrouver dans une crèche ; ils n’ont pas choisi d’être adoptés, de laisser leur pays pour un découvrir un autre. Ils ont dû apprendre et se familiariser avec tant d’aspects nouveaux : apprendre ce qu’est une famille, les règles à suivre dans une maison ou en société, la langue, leur environnement, de nouvelles personnes et manières de faire… nous avons pu mesurer leurs progrès et leurs ressources pour s’adapter.

Pourtant, il y a un aspect du lâcher-prise avec lequel ils ont encore des difficultés : ils veulent toujours faire le plus possible de choses par eux-mêmes, comprendre comment ça marche, et faire si possible sans notre aide – ce qui est souvent bien, mais qui les mets et nous met parfois dans des situations compliquées, et potentiellement risquées !

Ricardo, le plus grand qui a 6 ans, est très protecteur encore parfois avec son frère de 4 ans, Marc Arthur, et vigilant sur plusieurs situations du quotidien : vérifier qu’on a bien éteint les lumières, qu’on a fermé la voiture, rangé les vélos…

Il faut dire qu’ils ont dû apprendre tout jeunes à survivre sans toujours pouvoir compter sur des adultes. Et c’est à nous maintenant de leur prouver que nous sommes des parents fiables, et qu’ils peuvent apprendre à nous faire confiance. Qu’ils ont le droit d’être juste des enfants, et de nous laisser la responsabilité de gérer la maison.

Dans les deux textes du jour, il est justement beaucoup question de lâcher-prise.
Et notamment dans ses rapports avec les autres.

Le texte de Romains nous invite, pour bien vivre ensemble, à être en accord les uns avec les autres. Je ne crois pas que cela veuille dire qu’il faut être d’accord sur tout et avoir les mêmes opinions. Mais il s’agit surtout de ne pas comparer les situations des uns et des autres, d’éviter de s’offusquer quand l’autre a des opinions ou des manières d’agir différentes que les nôtres, de mettre de côté ses désirs de justice, quand on se sent menacé par le comportement de ceux qui nous entourent. Pour rester fixés sur l’essentiel :
Il ne s’agit pas d’être vainqueur dans ses démêlés avec l’autre, mais vainqueur par le cap que l’on garde, et le bien que l’on arrive à faire et à montrer.

Le texte de Luc, pour sa part, nous invite à lâcher-prise par rapport aux craintes que peuvent nous inspirer les autres, et leur jugement sur nous.
Les pharisiens apparaissent ici comme des espèces de garants des bonnes mœurs, et des conséquences inhérentes à un mauvais comportement; et c’est en cela qu’ils peuvent susciter la crainte. Pourtant, qui sont-ils, au fond ? Même si d’apparence ils sont très respectables, Jésus rappelle à ses disciples qu’au fond d’eux-mêmes, ils ont les mêmes limites que n’importe quel être humain. Que personne ne peut avoir tout compris, et tout résolu dans sa vie, et qu’on reste tous en chemin.
Là aussi il s’agit de se tourner vers l’essentiel : bien choisir Celui à qui on veut donner sa confiance, pour poser son regard sur nous, et nous dire où nous en sommes sur le chemin.

Cela m’a refait penser à une histoire sous forme de conte, que nous avons relue en début d’année dans un culte avec les familles : celle de Punchinello, écrit par Max Lucado.

Punchinello est un Vémiche. Et chez eux, on colle des gommettes dorées et étoilées à ceux qui sont beaux, doués et plein de talents – les autres, qui paraissent plus négligés ou maladroits reçoivent des ronds gris. Punchinello est malheureux de cette situation, jusqu’au jour où il rencontre une Vémiche sur qui aucune gommette ne tient collée. Il va alors s’entretenir avec le sculpteur Eli, son créateur, qui constate :

« Je vois qu’on t’a donné beaucoup de mauvaises notes ! »
« Ce n’est pas de ma faute, Eli, j’ai fait tout ce que j’ai pu. » dit Punchinello.
« Oh, tu n’as pas besoin de te justifier, poursuit Eli. Peu m’importe ce que pensent les autres Vémiches. »
« Vraiment ? »
« Oui, et tu devrais en faire autant. Qui sont-ils pour donner des étoiles et des ronds ? Ce sont des Vémiches, tout comme toi. Ce qu’ils pensent ne compte pas, Punchinello. Tout ce qui compte, c’est ce que moi, je pense. Et tu as une grande valeur pour moi, voilà ce que je pense. »
Punchinello se mit à rire. « Moi, une grande valeur ? Mais en quoi? Je ne sais pas marcher vite, je ne sais pas sauter, ma peinture s’écaille. Pourquoi ai-je de la valeur à vos yeux ? »
Eli regarda Punchinello, posa ses mains sur ses petites épaules de bois, et répondit très lentement :
« Parce que tu es à moi. Voilà pourquoi tu as de la valeur à mes yeux. »

Punchinello n’aurait jamais imaginé que quelqu’un le regarderait comme cela, encore moins son créateur. Il ne sut plus quoi dire.

« Si les gommettes ne collent pas sur ton amie, c’est parce qu’elle a décidé que ce que je pensais était plus important que ce qu’ils pensaient. Les gommettes ne collent que si tu leur permets de coller. »
« Comment ? »
« Les gommettes ne collent que si elles ont de l’importance pour toi. Plus tu mets ta confiance dans mon amour, moins tu te soucies de leurs gommettes. »

« Je ne comprends pas très bien. »
Eli sourit.
« Ça Viendra, mais cela prendra du temps. Tu as reçu beaucoup de mauvaises notes. Viens donc me voir tous les jours, et laisse-moi te montrer à quel point je t’aime. »

Eli souleva Punchinello de la table de travail, et le posa par terre.
« Souviens-toi », dit Eli, alors que le petit Vémiche franchissait le seuil, tu as une grande valeur, parce que c’est moi qui t’ai créé. Et je ne fais pas d’erreurs. »

Punchinello ne s’arrêta pas, mais au fond de son cœur, il réfléchit :
«Je crois qu’il pense vraiment ce qu’il dit».
Et à ce moment-là, un rond gris tomba par terre…

C’est ce point central que j’aimerais garder ce soir : le lâcher-prise et l’apprentissage de la confiance ; la confiance dans les capacités que chacun.e a en lui. En sachant que le seul regard qui importe sur notre personne, c’est celui de Dieu, qui sait reconnaître ces valeurs, et qui peut nous apprendre à aller vers le meilleur de nous-mêmes.

Amen.