1 Rois 19, 9-15a – Rom. 9, 1-5 – St. Matthieu, 14, 22-33

Jésus oblige les siens à monter dans la barque, comme nous avons été obligés d’entrer dans celle de la vie, qui s’apparente davantage à une coquille de noix qu’à une embarcation stable. Pour être parabole de la vie, l’Évangile d’aujourd’hui ne veut pas dire que l’existence n’est que tempête, ou que l’existence de la loi n’est authentique que dans l’affrontement de tempêtes ; il ne veut pas dire non plus que nous avons reçu la vie pour être envoyé au casse-pipe, et, je ne pense pas qu’on puisse prêter à Jésus l’intention d’une mise à l’épreuve ; on voit plutôt un homme triste et fatigué.

Il s’était retiré une première fois après la mort de Jean-Baptiste, mais il est rappelé pour une urgence humanitaire : nourrir une foule affamée qui le poursuit.

Une nouvelle fois, il se retire pour être seul, vivre un instant d’intimité avec le Père, reprendre souffle, se resituer, prier : un appel à vivre nous aussi cette alternance de l’action et de la contemplation, respectant ce mot d’ordre vital : « Prie et travaille pour qu’Il règne ».

Un coup de tabac, donc, sur le lac de Tibériade : une tempête active, « jusque vers la fin de la nuit » : c’est long, bouleversant les disciples qui ont peut-être dérivé : Marc, dans l’Évangile, dit que « les disciples se battent à ramer contre le vent ».

Le vent, l’eau, comme le feu sont ces forces ambiguës, paradoxales, tantôt sources de vie ou de mort, de consolation ou de désolation qui s’entremêlent dans nos vies et dans le monde.

Dans l’Évangile, aujourd’hui, la tempête symbolise les mystères douloureux, les turbulences, les pertes de repères, toutes ces tempêtes, bouleversant, dénaturant les projet du Créateur et la beauté de la vie, désespérant tant de nos semblables qui en concluent à l’inexistence de Dieu.

Elie, lui-même, ce passionné de Dieu, déprime et cherche la mort. Dieu le rattrape, parce que Dieu n’est jamais loin, et Il lui dit Sa Présence dans le murmure d’un souffle ténu : c’est le Seigneur tout en douceur et en tendresse l’invitant à refaire un pas de vie.

St. Paul, cet autre passionné de Dieu, vivra jusqu’à son dernier souffle « la douleur et la grande tristesse » d’être un dissident de sa famille d’origine, ses frères de race, parce qu’il a été appelé à suivre le Christ : un conflit de loyauté, peut-être pas vraiment une tempête, mais un bon exemple de combat, touchant l’être profond ; pourtant il annonce la Bonne Nouvelle, contre vents et marées, avec autorité et succès : il a l’air satisfait, mais il prend l’Esprit Saint à témoin, pour dire sa souffrance ; et puis, il y a cette mystérieuse écharde qui le tourmente, dont il demande, avec insistance, d’être débarrassé : « Ma grâce te suffit »… pour toute réponse !

Alors, comment comprendre une telle parole, au cœur des tempêtes qui secouent notre monde ? Qui peut s’entendre dire : « ne pleure pas », « n’aie pas peur », face aux désastres humanitaires qui font l’actualité. Il y a des tempêtes qui défigurent, personnelles ou collectives, elles laissent souvent sans voix, face à l’absurdité, au pourquoi, face à la révolte, au malheur, à l’injustice, il vaut quelquefois mieux se taire, mais être là et laisser la place au cri de douleur : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Face aux tempêtes de la vie, il y a dans l’écriture un visage exceptionnel, c’est Job. Il est l’image de la confiance absolue en Dieu : il perd tout, à l’extrême imaginable, mais son malheur n’est pas au centre de ce qui lui reste de vie. Je ne sais pas s’il faut dire qu’il lutte avec le mal ou contre le mal, parce qu’en fait on a l’impression que le mal n’a plus de prise sur lui, comme s’il disait « oui » au silence de Dieu ; c’est que sa dignité lui vient justement de sa relation vivante avec Dieu, au fond de son cœur.

« N’ayez pas peur, c’est moi » : Jésus peut le dire parce qu’il EST la Paix, le calme dans la tempête ; comme il rend la vie à Lazare, parce qu’Il EST la Résurrection, comme Il EST la consolation de la veuve de Naïm  en lui rendant son fils.

D’ailleurs, face aux disciples qui le prennent pour un fantôme, Il dit : « N’ayez pas peur, JE SUIS ». En français courant, on traduit : « C’est moi ». En fait, il se présente, comme quant il dit : « JE SUIS le pain de vie », « JE SUIS le bon berger », « JE SUIS la Résurrection et la Vie » … C’est ainsi que Dieu se présente face à Moïse.

Jésus a dit « Je prierai le Père et Il vous donnera un autre consolateur qui sera avec vous pour toujours, , « l’Esprit de vérité » (Jn 14, 16) et, au moment de retourner vers le Père, il a promis : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps » (Matth. 28. 20).

C’est là que se joue notre combat de la foi = le pas de confiance à poser, à faire et à refaire au quotidien, avec évidemment, l’inévitable besoin de vérifier, et la tentation de se donner la main à soi-même, plutôt qu’à Jésus = nous sommes alors proches de Pierre qui sombre ! Mais proche de lui aussi, peut-être, quand nous crions, fragilisés et démunis, comme lui : « Seigneur, sauve-moi ! »

Amen.