Lectures bibliques: 1 Pierre 3,8-13, Luc 15,8-10

 

Chères sœurs en Jésus-Christ,

Les autorités en ont décidé ainsi : pour des raisons sanitaires, les célébrations religieuses, sauf les funérailles, sont de nouveau interdites. Et vous voilà de nouveau contraintes de fermer votre accueil. Et une fois de plus, comme au printemps passé déjà, me voilà empêché de venir prêcher de vive voix à Grandchamp ! Mais la Parole de Dieu peut se faire entendre quand même, pour éclairer de sa lumière la situation que nous traversons. Elle a pu trouver la bonne terre, malgré les bords de chemin, les oiseaux, les endroits pierreux et les épines (cf. Marc 4,3-9). Elle ne se laissera donc pas abattre par ce coronavirus qui sème le chaos et la souffrance un peu partout. La Parole de Dieu continuera de faire son travail : comme la femme de notre parabole, elle continuera à chercher sans répit ce qui est perdu. C’est dans ce sens que nous voulons nous mettre à l’écoute des textes bibliques qui viennent d’être lus. Qu’ont-ils à nous dire en ces jours de fermeture, d’isolement ?

Le passage de la première épître de Pierre est habité par une tension frappante. Il appelle d’abord à une attitude de compassion réciproque : « soyez tous – et toutes – dans de mêmes dispositions, compatissants, animés d’un amour fraternel, miséricordieux, humbles. Ne rendez pas le mal pour le mal, ou l’insulte pour l’insulte. » (vv. 8-9a) Une exhortation qui est tout à fait adéquate en nos temps de pandémie : la solidarité, l’entraide. Dans l’ArcInfo de samedi, l’éditorial de Sophie Winteler se terminait par la phrase : « Plus que jamais, nous avons besoin les uns des autres. »

Mais en même temps, ce passage contient une longue citation du Psaume 34 qui lui donne une pointe polémique : « qui veut aimer la vie et voir des jours heureux doit garder sa langue du mal et ses lèvres des paroles trompeuses ». Voilà une exhortation adéquate, elle aussi, en nos temps de « fake news », de fausses vérités, de tromperies qui suscitent la division, la suspicion et finalement la violence. Une fois de plus, nous en avons une illustration ces derniers jours avec les élections présidentielles aux États-Unis : au lieu d’accepter sa défaite, le président Trump insulte son adversaire, accuse le parti démocratique de fraude électorale, engage des procédures judiciaires et met ainsi en péril la démocratie, parce qu’il faut gagner à tout prix, il faut être le plus fort. Mais plus globalement, nous assistons également au développement de toutes sortes de théories de soupçon, d’ailleurs aussi en lien avec le coronavirus : nous serions tous manipulés par des groupes maléfiques. On a même inventé un terme pour ça : le complotisme. Que de paroles trompeuses qui se répandent et qui répandent ainsi le mal, le mal de la peur, de l’inquiétude, de la colère et de la vengeance, qui fait qu’on veut rendre le mal pour le mal, l’insulte pour l’insulte ! Et nous voilà pris dans une spirale du mal qui gagne peu à peu de l’ampleur et entraîne bien des malheureux dans son mouvement.

Par rapport à ce danger, il me semble y avoir dans notre texte trois enseignements successifs qui peuvent nous guider dans notre vie qutidienne.

Il y a tout d’abord, à l’opposé du règne des paroles trompeuses, la solidarité et la compassion réciproque que j’ai déjà mentionnées tout à l’heure. Avant la pandémie déjà, mais encore plus depuis qu’elle nous a envahis, certains économistes et philosophes se demandent quel genre d’économie il nous faut, et l’accent est de dire que nous n’avons plus besoin d’une économie du profit à tout prix, du gain, de l’enrichissement, mais d’une économie du « prendre soin ». S’inspirant de l’anglais, ils parlent de l’économie du « care », des soins portés les uns aux autres. Le mot grec qui est à l’origine du terme « économie » est oikos et signifie la maison, la maisonnée. Il s’agit donc de prendre soin de toutes celles et tous ceux qui font partie de cette maisonnée, sans en oublier. Et notre Terre tout entière est une telle maisonnée, une oikos dans laquelle personne ne doit être abandonné, surtout pas les petits, les faibles. LeaveNoOneBehind, « ne laisser personne derrière », était le slogan de ceux qui voulaient que les camps de réfugiés des îles grecques soient évacués.

Voilà un autre discours que le discours à la Trump, qui n’a que faire des petits, qui ne pense qu’au plus fort. Et cela me fait passer à mon deuxième enseignement : face à la médisance des paroles trompeuses, nous sommes exhortés à la bénédiction : « bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter la bénédiction, » (v. 9b) Au sens littéral, « bénir », qui vient du latin benedicere, signifie « dire du bien », « dire le bien », et non pas le mal, justement, comme les paroles trompeuses. Mais cela signifie aussi « faire du bien par la parole », parce que cette parole dit l’accueil, la reconnaissance, le respect, la sollicitude. C’est à cela que nous sommes appelés, dit le texte. La bénédiction est notre vocation. Et cela s’oppose à la spirale du mal évoquée auparavant : comme Dieu nous bénit et nous bénissons Dieu, en répandant la bénédiction autour de nous, nous pouvons susciter une spirale du bien, où celles et ceux qui bénissent, disent le bien, deviennent aussi héritiers de la bénédiction, reçoivent le bien et le partagent avec celles et ceux qui n’en ont que très peu, qui souffrent d’avoir été plus exposés à la médisance, au mal, qu’aux paroles qui font du bien, qui régénèrent, qui guérissent.

Et cela me fait passer au troisième enseignement : pris dans l’heureuse spirale de la bénédiction de Dieu, nous pouvons être sans cesse « zélés pour le bien » (v. 13), sans nous soucier de savoir si cela nous sera source de souffrance ou non. Comme le dit l’épître un peu plus bas : « Car mieux vaut souffrir en faisant le bien […] qu’en faisant le mal. » Faire le bien, comme le dit le Psaume cité, c’est » rechercher la paix et la poursuivre », là où sont semées la discorde, la violence. Certes, nous ne le réaliserons jamais une fois pour toutes, ce bien qui apaise, qui rend heureux, qui donne confiance. Mais nous ne cesserons jamais d’aspirer à lui, malgré les échecs, les revers qui nous guettent.

Parce que Dieu s’est montré solidaire avec nous, nous pouvons répandre cette solidarité autour de nous. Parce que Dieu nous a béni-e-s, nous pouvons redire sans cesse cette bénédiction, source d’amour et de bonheur. Parce que Dieu s’est montré zélé pour notre bien, jusqu’à la mort, nous pouvons être zélés pour le bien de toutes celles et tous ceux qui vivent sur cette Terre, notre grande maisonnée, dans laquelle aucun n’est trop petit pour être respecté. Nous ne cesserons donc pas d’aller chercher ce qui perdu par les grands qui sont sans égards, qui se détournent.

Cette triple espérance ancrée en le Dieu de Jésus-Christ nous porte à travers les temps de fermeture, d’isolement, de restrictions. Cela vaut aussi pour vous, chères sœurs de Grandchamp. Même sous le signe de la pandémie, et je dirais même : surtout sous le signe de la pandémie, avec tous les renoncements qu’elle implique, notre travail peut continuer. Nous pouvons poursuivre notre tâche de témoins. Dans ce sens : soyez compatissantes et animées d’un amour fraternel, miséricordieuses et humbles ; bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelées ; demeurez zélées pour le bien ; comme la femme de la parabole, continuez d’aller chercher celles et ceux qui sont perdu-es. Et votre oikos, votre maisonnée sera un ferment d’espérance et de lumière, en ces temps de tristesse et d’obscurité. Amen.