Ez 18,25-28 / Ph 2,1-11 / Mt 21,28-32
Chères sœurs, chers frères,
Nous venons d’entendre une petite parabole racontée par Jésus. C’est l’histoire d’un homme qui a deux fils et à qui il demande successivement d’aller travailler à la vigne. Le premier lui dit sans attendre qu’il ne veut pas y aller. Mais ensuite, il est pris de remords et va à la vigne. Le second donne sa parole qu’il ira, mais n’y va pas. Jésus pose ensuite une question toute simple, à laquelle il n’est pas difficile de répondre : « Lequel des deux a fait la volonté de son père ? » Sans hésiter, vous répondez comme ceux à qui Jésus s’adresse : « Le premier ».
Pour comprendre pourquoi Jésus raconte cette histoire, il faut la situer dans son contexte. Jésus est en train de répondre aux autorités religieuses qui l’interrogent. Il est dans le Temple de Jérusalem, avec les grands prêtres et les anciens du peuple. Ceux-ci viennent de le mettre au défi de se légitimer alors qu’il est en train d’enseigner : « En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? Et qui t’a donné cette autorité ? » lui ont-ils demandé (Mt 21,23). Et Jésus, au lieu de leur répondre directement, leur a dit : « Moi aussi, je vais vous poser une question, une seule ; si vous me répondez, je vous dirai à mon tour en vertu de quelle autorité je fais cela. Le baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? » (Mt 21,24-25). Jésus leur parle de Jean le Baptiste, qui a été décapité par Hérode. Le texte dit qu’alors les grands prêtres et les anciens ne lui répondent pas immédiatement, mais se mettent à raisonner en eux-mêmes : « Si nous disons : ‘Du ciel’, il nous dira : ‘Pourquoi n’avez-vous pas cru en lui ?’ Et si nous disons ‘Des hommes’, nous devons redouter la foule, car tous tiennent Jean pour un prophète.’ » (Mt 21,25-26). Après ce raisonnement intérieur, ils répondent à Jésus : « Nous ne savons pas » (Mt 21-27). Et le texte raconte que Jésus leur dit alors : « Moi non plus, je ne vous dis pas en vertu de quelle autorité je fais cela. » (Mt 21,27).
C’est alors que Jésus raconte la parabole que nous venons d’entendre. Le mot « parabole » veut dire « comparaison ». Jésus compare ceux à qui il s’adresse au deuxième fils qui est envoyé dans la vigne. Ils sont des personnes qui disent qu’ils veulent faire la volonté de Dieu, qu’ils veulent suivre la voie de Dieu, mais au moment où il s’agit de le mettre en pratique, ils ne font pas la volonté de Dieu, ils ne suivent pas sa voie. C’est ce que Jésus leur dit à la suite de la parabole : « En effet, Jean est venu à vous dans le chemin de la justice et vous ne l’avez pas cru. » (Mt 21,32). Et Jésus va plus loin dans la comparaison : il oppose les autorités religieuses qu’il a en face de lui aux collecteurs d’impôts et aux prostituées. Ce sont eux qu’il compare au premier fils de la parabole. Contrairement aux grands prêtres et aux anciens du peuple, les collecteurs d’impôts et les prostituées ont cru (Mt 21,32) Jean le Baptiste. Et pour cette raison, Jésus annonce aux grands prêtres et aux anciens du peuple que les collecteurs d’impôts et les prostituées les précèdent dans le Royaume de Dieu.
Jésus s’adresse à ceux qui se croient justes, les gens bien religieux, qui se croient les bons croyants et qui n’ont aucun doute pour identifier les pécheurs, les mauvais croyants. Et Jésus vient renverser les convictions des autorités religieuses qui décrètent qui sont les bons croyants et qui sont les pécheurs. Ceux qui ont cru, ce sont les collecteurs et les prostituées. Ce sont eux les bons croyants aux yeux de Dieu. Quant aux grands prêtres et aux anciens du peuple qui jugent et condamnent, ils feraient bien de prendre conscience que ce sont eux les mauvais croyants.
Entendant cette parabole, nous pourrions à notre tour nous construire des certitudes permettant de catégoriser les bons et les mauvais croyants. Les choses paraissent simples : il faut comprendre qu’il ne suffit pas de dire oui à ce que Dieu propose pour entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui compte, c’est au final de le mettre en pratique. Même si on a commencé par faire les quatre cents coups et que tous nous jugent pour notre inconduite, il y a toujours la possibilité d’être pris de remords, d’ouvrir les yeux, de voir où est le chemin de la vie et de s’y engager avec joie. Ceux qui sont entré dans le Royaume de Dieu et qui travaillent à sa vigne ne sont peut-être pour une bonne part pas dans nos églises. Et beaucoup de ceux qui se croient justes, tout près de Dieu, ne font peut-être que leur propre volonté. Et l’on risque peut-être un peu vite de condamner tous ceux qui exercent une autorité religieuse, y compris dans nos églises, en leur reprochant de dire haut et fort leur foi mais de ne pas la mettre en pratique.
Le risque alors, serait de simplement inverser les rôles, d’idéaliser ceux qui sont hors du monde religieux, hors des églises, et de considérer tous ceux qui se disent chrétiens comme des aveugles qui vont à la perdition. Hors Jésus ne condamne pas les grands prêtres et les anciens du peuple. Il ne conclut pas la parabole en leur disant : vous n’avez pas fait la volonté de Dieu, vous n’avez pas cru en Jean le Baptiste, vous êtes bannis du Royaume de Dieu. Il leur dit au contraire : « Et vous, voyant cela, vous n’avez pas été pris de remords (vous n’avez davantage changé intérieurement) pour croire en lui » (Mt 21,32). Autrement dit, la possibilité de changer est offerte à tous. Et Jésus est venu aussi bien pour les grands prêtres et les anciens du peuple que pour les collecteurs d’impôts et les prostituées.
C’est ce que Jésus raconte dans la parabole qui suit selon l’évangéliste Matthieu (Mt 21,33-46), où justement il est question d’être envoyé dans la vigne. Il raconte comment Dieu a envoyé tout au long de l’histoire du peuple hébreu des prophètes pour l’interpeller et comment ceux-ci ont été rejetés, y compris Jean le Baptiste. Et dans la parabole, il raconte comment le maître de la vigne envoie finalement son propre fils. Jésus raconte cette parabole aux grands prêtres, avec la conscience qu’il est le fils et qu’ils sont ceux qui projettent de le condamner à mort.
Or, selon ce qu’en dit l’apôtre Paul dans sa Lettre aux Philippiens, Jésus est a priori plutôt du côté des grands prêtres que des collecteurs d’impôts ou des prostituées. Paul le décrit comme « de condition divine », donc tout près de Dieu son Père, venant à nous sans se considérer comme supérieur à qui que ce soit (Ph 2,3.7). Au fond, Jésus s’adresse aux grands prêtres pour les inviter à faire comme lui, à se mettre au service des autres dans l’obéissance au Père du ciel, par amour de tous. Mais pour cela, il faut que les grands prêtres et les anciens du peuple soient prêts à se perdre eux-mêmes pour le salut de tous. Jésus sait combien il est difficile de renoncer à ses avantages en ce monde pour vivre en fils et filles du Royaume de Dieu. Paul par la suite, l’a su aussi.
Pour cela, il faut, au moment où l’on comprend que l’on s’est trompé, avoir l’humilité, la simplicité de changer de point de vue et de reconnaître son erreur. C’est ce que fera Judas, après avoir trahi Jésus. Il est dit que, « pris de remords » – c’est le même terme que celui utilisé par Jésus dans la parabole des deux fils et son commentaire entendus ce matin (Mt 21,28-32) – Judas retourna auprès des grands prêtres pour leur rendre l’argent qu’il avait reçu pour leur avoir livré Jésus (Mt 27,3). Mais les grands prêtres, au lieu d’accueillir son changement intérieur, le condamnent : « C’est ton affaire ! » (Mt 27,4) lui répondent-ils. Et Judas va se pendre. Selon la parabole racontée par Jésus, peut-on l’identifier au premier fils qui est pris de remords et qui finalement fait la volonté de son père ? La condamnation des autorités religieuses qui n’accueillent pas son changement intérieur le pousse au suicide. Cela devrait nous alerter, nous gens bien religieux, sur la manière dont nous accueillons ceux qui sont pris de remords, même après les pires actes.