Mt 9,18-26 Grandchamp
Une femme s’approche de Jésus ; son nom ne nous est pas donné. Cela se passe alors que Jésus, sollicité par un notable, est en route pour rappeler sa fille à la vie.
J’aime ce mot « notable ». C’est quelqu’un bien dans sa chair ; que l’on remarque, que l’on connait ; qui a un statut : quelqu’un qui dispose de moyens considérables, il est entouré par ses subalternes. Habitué à être entendu, il ne doute à aucun moment que Jésus va exaucer sa demande.
Fort contraste entre cet homme sûr de lui et la femme !
Elle, elle n’ose même pas adresser la parole à Jésus. Cependant, elle doit se rassurer en se parlant à elle-même, en se disant que s’approcher de Jésus par-derrière, c’est la bonne démarche, qu’elle a pris la bonne décision.
Nous comprenons que cette femme est habitée par un profond désir. Elle perd du sang, tout le temps, elle est épuisée et rejetée comme impure. Elle est au bout de ses forces, elle est désespérée.
Le sang symbolise la vie, ce qui nous rend vivants et capables.
Son désir c’est de pouvoir enfin participer à la vie, de ne plus être exclue, de pouvoir contribuer à la marche de la société et d’en devenir un membre égal et respecté. L’écart entre ce désir et la réalité décrite par Matthieu est abyssal.
Cette femme me fait penser à ces personnes déçues de la vie, épuisées par des combats sans espoir ; ces hommes et ces femmes à qui la vie n’a réservé que des défaites. Je me souviens de personnes qui ont donné, donné et donné tout au long de leur vie. Quand les forces diminuent, quand le moment vient de faire un bilan, c’est le grand désenchantement. Il leur semble que le résultat de tous leurs efforts ne correspond pas du tout à l’engagement dont elles ont fait preuve. L’amertume les guette, elles tombent dans un vide profond.
Mais, au milieu du récit il y a un tout petit geste, un geste qui déploie un grand effet et produit un grand bouleversement ; un geste plein de lumière. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué.
Il est plutôt masqué par cette foule bruyante, déployée par la présence du notable.
Cette foule qui donne une sorte de cadre aux malheurs qui touchent la femme et la fille du notable ; cette foule voyeuriste qui ne sait que fairedes commentaires destructifs en se moquant de Jésus.
Jésus se retourne et il voit la femme. Enfin, elle est vue, elle est remarquée, notée, elle aussi, comme le notable habitué à être vu. Cette femme désemparée et sans moyens ; elle est enfin perçue ; elle qui était sans cesse rejetée. Jésus crée un ilot de paix au milieu de cette foule agitée et excitée. Il est là, il est avec cette femme, il n’y a rien de plus important en cet instant.
C’est le moment clé de ce passage. Jésus regarde la femme qui vient de toucher les fils de son vêtement comme il regardera plus tard la petite fille et prendra sa main.
Les paroles que Marie a chantées quand elle a senti le bébé bouger dans son ventre se réalisent alors. : Il a précipité les puissants de leurs trônes, et il a élevé les humbles (Luc 1.52).
Le notable et la femme désespérée sont tous les deux désemparés face à la souffrance.
Jésus entend leur souffrance et il les délivre.
Le récit de Matthieu nous invite à nous retourner comme l’a fait Jésus, à nous laisser interrompre dans les occupations si importantes de notre vie.
Il nous invite à écouter, à être présents quand une personne nous sollicite. Il nous invite, nous qui animons des maisons de retraite àsoigner nos lieux d’accueil.
Ils sont plus précieux que nous ne l’imaginons.
Je suis profondément touché quand je vois Jésus se retourner.
Je veux apprendre de lui.
Je veux apprendre à discerner ce qui compte vraiment.
Je veux apprendre à voir son visage à travers autrui.
Il sera présent parmi nous quand nous partagerons le pain et le vin tout à l’heure.
Nous serons toutes et tous touchés.