Esaïe 22, 19-23   Lettre aux Romains 11, 33-36 et Matthieu 16, 13-23

Qui suis-je ? qui es-tu ? qui est Je suis? est-ce que vous vous êtes déjà demandé cela ?  Si vous êtes à la retraite et que vous vous présentez, vous direz peut-être j’ai été ceci ou cela… Est-ce qu’on a été ou est-ce qu’on est ?

Je peux décliner milles identités variées, je suis blanc, homme, suisse, retraité, habitant Bassins… est-ce que cela dit vraiment qui je suis ? Ce sont des catégories qui sont trop partielles, trop étroites…. Pourquoi ne pas élargir… et si je suis plus que cela ?  Si celui que je rencontre est plus que cela ? qui sommes-nous ?

Si nous prenions du temps pour dire l’un à l’autre qui nous sommes. Mais le savons-nous ? Dans des sessions de travail sur soi, un animateur propose par groupe de deux de répondre à la question qui suis-je, pendant environ 15 minutes.

Certains diront en premier lieu ce qu’ils ont parfois entendu de leur entourage : « je suis nulle, pas ordrée, égoïste, insensible », et j’en passe.

Puis viendront peut-être d’autres termes : »je suis venue de la voie lactée, venue des origines, je suis conscience, je suis Vie, je suis enfant de Dieu, mystère, sœur des arbres, du soleil, éternelle, je suis » et finalement viendra le silence…

Et donc on voit que la question que Jésus pose : qui suis-je ? nous devons aussi nous la poser les uns aux autres, comme Pierre a découvert dans ce dialogue des faces inconnues de son identité et a dû s’interroger sur ce qu’il était. Cela nous concerne de manière vitale et influencera notre quotidien.

Dans le premier texte d’Esaïe 22, le responsable de Juda est remplacé par Elyaquim. Cela interpelle, on est donc interchangeable, quelqu’un peut prendre ma place du jour au lendemain. Cela rappelle la parole de Jésus : Des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants d’Abraham. Il s’agit donc de ne pas trop se prendre la tête sur notre identité visible. J’ai une identité paradoxale : j’occupe une place certaine mais je ne suis aussi qu’une toute petite cellule d’un grand corps.

L’identité de Pierre est contrastée… son prénom change… je peux donc changer d’identité… Je peux devenir vaste à tel point de pouvoir lier ou délier au ciel, et vous aussi, pas seulement l’apôtre… je peux aussi égarer l’autre, être instrument de perdition, diabolique (littéralement qui sépare).

Vertige devant ces perspectives… Comme être ? et alors ne s’agit-il pas simplement de laisser être ? Celui qui est.

Marguerite Porete, béguine du Moyen-âge, dira : « Je suis Dieu » et elle sera brûlée pour cette parole, dénoncée comme hérétique. Et pourtant, si nous pouvions chacun retrouver cette identité qui est première.

Je suis dans le Je suis… je suis buisson ardent.

Je suis à la fois le disciple, Moïse qui regarde le buisson, qui se tourne vers Dieu et je suis aussi le buisson ardent, buisson ardent appelé à resplendir de la lumière divine qui me constitue…

Quand les coreligionnaires de Jésus disent : il est Elie, Jean-Baptiste…. Ce n’est pas tout faut, Jésus est dans la lignée de ces grands prophètes, mais Jésus est bien plus que cela… de même quand on dit des autres, il est ceci ou cela, cela correspond en partie à leur identité, mais l’autre est bien plus que cela…il est partie de ce grand corps divin… il est Un en Dieu.

Comme le dit l’épitre aux Romains, nous ne savons pas vraiment qui est Dieu, cette Présence, ce qu’est la réalité, de même nous ne savons finalement pas vraiment qui nous sommes, qui est l’autre…

Si donc moi et l’autre et l’arbre et la vache… sont des éléments de la grande présence divine… sont en Dieu… je vais interagir différemment avec eux, je vais les considérer autrement. Ils ne sont plus objets, mais sujet.

Je vais arrêter de maltraiter ce grand corps qui est quelque part mon corps.Et si l’autre me fait du mal… je vais le lui dire avec force et respect, avec fermeté et patience en sachant qu’il est partie du Je suis qui est le nom divin : Je suis celui qui est. Cela n’empêche pas que je puisse prendre de la distance, suivant ce que je subis ou fait subir à l’autre, mais dans le respect.

Je suis…. Laisser résonner : Tu es… pas besoin d’ajouter milles étiquettes, milles activités… je suis occupé… et si je devenais vacant…vide, comme encourage tant maître Eckhart, à faire le vide… pour découvrir que je suis plein de Dieu… habité… j’ai un fondement et l’autre aussi…. Pas de souci, pas de stress. Si Je suis en Dieu… que craindre ?

Révolution copernicienne… bien-sûr à intégrer avec prudence, pour ne pas se prendre pour Dieu. Personne ne posséde Dieu, on peut être en Lui. Il n’y a pas trop de risque que cela nous monte à la tête.

En général on a un accent davantage dualiste… Dieu est tout et je suis vis-à-vis…. Juste une créature… de l’herbe qui passe…Mais il s’agit de ne pas oublier l’autre face de chacun… Je suis…je suis né « monogeneis » un , Jean 1,14, comme Jésus, comme chacun … Amour devenu visible, conscience manifestée. Le silence est nécessaire pour accueillir et faire l’expérience de la bonne nouvelle.

On voit en tout cas qu’il ne faut pas se précipiter. Il s’agit de faire halte, d’abandonner les chevaux de bataille, et bien plutôt prendre l’ânon. Écouter, regarder, ne pas juger de l’extérieur.

Notre identité est fluctuante, pas définitive, pas statique. Nous n’avons pas à la solidifier en une identité extérieure définitive, ni à nous y identifier de manière vigoureuse.

Nous avons à cultiver ce regard du cœur, ce regard d’unité profonde qui accueille les 2 faces de la vie, joie et souffrance, éternité et relativité. Ce regard peut nous apporter grande paix et calme. Tout ce qui arrive est partie quelque part du Je suis.

Il y a bien-sûr danger d’être extérieurement comme des bisousnours…. Je proclame : Tout est un, j’accueille tout… alors qu’il y a de grandes violences, des absurdités si douloureuses, comme le montre l’égarement même de Pierre, que je suis habité de tant d’ombre.

Jésus a des paroles vigoureuses… la psychologie nous rend attentif au grand danger des déviations mystiques, des envolées idéalistes. Denis Vasse, psychanalyste jésuite, insiste sur l’importance d’honorer les identités particulières et changeantes. Un enfant adopté a des besoins particuliers. Un enfant qui donne des coups de pied signifie des besoins vitaux. L’autre n’est pas moi… il a ses besoins, comme moi, à honorerL’apôtre Paul dans Romains 12 sur le corps du Christ, met en lumière l’unité et la diversité. Je n’ai pas à vouloir que l’autre fasse comme moi. J’ai à laisser être, à le soutenir, à être attentif à ses propres besoins… de son corps, de son âme, de son espritÊtre dans une passivité active. Etre à l’écoute, puis agir. Cuisine délicate que la construction de nos identités. Entrer dans le sentiment d’unité de l’intérieur, « tout est de lui, et par lui, et pour lui » et respect de la diversité et de la différence.

Nécessité du silence pour passer le rivage de l’objet, de l’objectivation au rivage du sujet :

Je suis.